Il y a tant à dire sur cette spécialité en médecine générale que finalement c’est le titre le plus évident qui vient à mon esprit. Il est loin le temps où, pour équilibrer la glycémie (les années 1970) – car c’est bien de cela qu’il s’agit essentiellement –, le choix se faisait en fonction des profils des patients entre les biguanides et les sulfamides, puis on ajoutait celui que l’on n’avait pas choisi au départ en attendant l’épuisement du pancréas qui induisait le passage à l’insuline… Ces dernières années ont vu arriver dans l’arsenal thérapeutique une avalanche de traitements et d’évolutions technologiques qui imposent aujourd’hui de bien situer la place du médecin généraliste, de l’aider à les appréhender afin d’éviter l’inertie thérapeutique, de lutter contre les habitudes et de comprendre l’importance de la chaîne de soins jusque dans les nouveaux acteurs devenus indispensables qui la constituent, de manière qu’à la fin il n’y ait pas de maillon faible dont souffrirait le patient.
Un tout petit peu d’histoire
Jusqu’en 2008, la priorité sera donnée à l’équilibre de la glycémie « the lower, the better » (au plus bas au mieux), jusqu’aux alertes données par la cardiologie impliquant la responsabilité d’une glycémie trop basse dans la survenue d’événements cardiovasculaires.Il sera alors demandé, avec les études d’efficacité, des études de non-infériorité cardiovasculaire.Dès lors et à partir de 2013, si les gliptines (iDPP4) ont trébuché sur ces études de non-infériorité, deux classes thérapeutiques vont apporter des preuves non pas de non-infériorité mais de protection cardiovasculaire, puis néphrologique, en plus de leur efficacité sur la glycémie et le poids, les aGLP1 et les gliflozines (iSGLT2), au point que désormais le diabète n’était plus « qu’une histoire de sucre ».Aujourd’hui, on insiste à nouveau à juste titre sur l’équilibre de cette glycémie notamment pour son action de protection dans la microangiopathie, mais force est de constater que ces quinze dernières années présentent, du fait de l’importance de ces bouleversements, une digestion un peu difficile pour la médecine générale.De fait, quelle est sa place, comment contrôler au mieux cette glycémie et qui sont les acteurs de la chaîne de soins ?
La place du médecin généraliste et la chaîne de soins
En 2022, 2 092 endocrinologues exercent en France, soit 3,1 pour 100 000 habitants et une population de diabétiques qui dépasse aujourd’hui les 4 millions (santé.gouv.fr). En 2045, un adulte sur huit dans le monde sera diabétique, la croissance des populations de patients et la disponibilité du corps médical imposent l’établissement d’une filière de soins claire et identifiée.92 % des diabétiques sont dits de type 2 et 6 % de type 1. Le médecin généraliste prend en charge 90 % des diabétiques de type 2, soit un accompagnement des patients jusqu’à l’établissement d’une insulinothérapie non intensifiée, les diabétiques de type 2 sous insulinothérapie intensifiée (dite basale/bolus) ou les diabétiques de type 1 relevant de la spécialité, étant entendu que tous les diabétiques gardent un accès à la spécialité, soit directement via le parcours de soins, soit via la télésurveillance (DT1 et DT2 sous insuline) et les téléconsultations.Le médecin accompagne tous les patients diabétiques, seul ou avec le spécialiste selon les profils. Il convient donc d’assurer une mise à jour des connaissances pas toujours facile compte tenu de nos activités et de la disponibilité restante.Sont venus nous renforcer de nouveaux acteurs.Les infirmières de pratique avancée (IPA) améliorent l’accès aux soins et la qualité du parcours des patients et réduisent ainsi la charge des médecins. Après cinq années d’études, elles ont une action d’orientation, d’éducation, de prévention et de dépistage. Elles réalisent des actes techniques et de surveillance, cliniques et paracliniques.Les infirmières Asalée (action de santé libérale en équipe), formées et formant avec le médecin généraliste une association au sein d’un cabinet médical, améliorent la prise en charge globale de patients chroniques et à risque.Les diététiciennes-nutritionnistes et les kinésithérapeutes sont sollicités car, sans amélioration du poids et de l’hygiène alimentaire et de l’activité physique, le reste de la prise en charge perdrait sa base essentielle.Les autres spécialistes concernés sont les cardiologues, néphrologues, ophtalmologues, podologues… ainsi que les pharmaciens – j’y reviendrai – avec le suivi de la mesure continue du glucose.Les associations de patients assurent un lien indispensable d’information avec le patient et lui démontrent que l’on peut vivre avec la maladie « presque » normalement.Enfin, le « malade » doit être considéré comme tel et non pas comme « une maladie » et fait donc partie intégrante de la chaîne de soins.
Le rôle du médecin généraliste
Son rôle est multiple, spécialiste de la prévention, il veille au rappel de l’hygiène alimentaire, de la pratique de l’exercice physique, de la qualité du sommeil, de la gestion des facteurs de risque (tabac, alcool, cholestérol, poids…), de l’état de vaccination du malade diabétique (grippe, Covid, pneumocoque, zona…).Il assure, après avoir participé au repérage, au dépistage et à la prise en charge précoce de la maladie, le suivi avec les spécialités concernées des comorbidités (cardiologique, néphrologique, ophtalmologique) et le lien avec les diabétologues.Et puis, surtout, il veille à la glycémie, c’est ici pour nous le point primordial.L’équilibre du diabète se fait en fonction d’un objectif glycémique tenant compte de l’âge du patient et de l’ancienneté de la maladie ainsi que des comorbidités, défini pour chaque patient dans le cadre d’une décision médicale partagée et selon les recommandations de la Société francophone de diabétologie (SFD). C’est également la SFD qui propose les arbres thérapeutiques.Les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) datant de 2013, s’alignent sur celles de la SFD.
Le contrôle de la glycémie
Les diabétiques meurent d’abord de maladies cardiovasculaires, la maladie rénale chronique a pour première cause le diabète, la première cause de cécité chez l’adulte est encore le diabète et c’est donc bien sur l’hyperglycémie qu’il faut agir.Longtemps, l’équilibre du diabète s’est fait à partir de l’autosurveillance glycémique (ASG).Aujourd’hui, quand les études montrent que seuls 31,5 % des patients réalisent une ASG quotidienne et que 41 % des diabétique de type 2 sous insuline restent avec une hémoglobine glycosylée (HbA1c) supérieure à 8 % sous ASG seule, cette mesure seule est devenue clairement insuffisante.De même, quand on parle d’HbA1c seule, celle-ci ne permet pas de visualiser et d’individualiser des profils glycémiques très différents.MAIS nous avons désormais en médecine générale pour nos patients sous insulinothérapie non intensifiée la mesure continue du glucose interstitiel (MCG). Celle-ci offre un profil ininterrompu pendant toute la durée de port du capteur (14 jours), qui laisse apparaître et sans aucun ajout thérapeutique, une baisse moyenne de 0,55 % d’Hba1c (sur les métanalyses) et de 40 % des complications hypoglycémiques (études Impact et Replace). Son utilisation est simple, le niveau moyen de la glycémie est apprécié par le temps moyen passé dans la cible (70 - 180 mg/dL) et les hypoglycémies par le temps en dessous de la cible, les ajustements de traitements se faisant en fonction de l’identification des périodes d’hyper- et d’hypoglycémie.L’étude Carlson montre une réduction significative de l’HbA1c en 3 à 6 mois chez les patients bénéficiant d’une MCG, et ce quel que soit leur profil et leur âge, et d’autant plus significative que l’écart par rapport à l’objectif est important !Une étude rétrospective de la base de données SNDS a montré une baisse de 63 % à 1 an et surtout durable à 2 ans des hospitalisations pour complications aiguës liées au diabète (hypoglycémies, coma).Ce sont des études comme celles-ci qui ont amené les autorités de santé à ouvrir la prescription de la MCG aux patients sous insulinothérapie non intensifiée à la médecine générale.J’ajoute enfin que si, pour nos confrères spécialistes, la MCG constitue un outil déterminant pour l’individualisation de la prise en charge thérapeutique, elle permet une auto-éducation thérapeutique du patient qui peut constater, à tout moment, l’impact de chaque acte de la vie courante. Elle ouvre au patient et à son entourage la capacité d’anticiper et de réagir notamment en cas d’urgence et il faut rappeler ici la place prépondérante de nos amis pharmaciens ouverts 7 j/7 et 24 h/24 et qui participent également à l’instruction des malades pour la mise en place du système.
Demain ?
Pour conclure, d’autres classes thérapeutiques arrivent encore (double agoniste GLP1 et GIP, triple agoniste...), il nous faut appréhender la révolution numérique, les capteurs et les pompes à insuline de plus en plus « connectés », les mots télésurveillance, téléconsultations, téléexpertises, le développement des algorithmes de contrôle qui permettront l’autonomisation en boucle fermée des capteurs avec les pompes à insuline, sans oublier l’intelligence artificielle (IA) et tout son champ du possible aussi en diabétologie.L’évolution, toujours en tenant compte de la réalité de l’offre de soins, se fera de fait avec la planification de tâches dédiées à chaque acteur de la chaîne de soins et il m’est facile d’admettre que les IPA, par exemple, feront certaines de ces tâches mieux que nous.Il faut trouver des solutions pour une spécialité qui avance très vite et des journées qui ne s’allongent pas. La mesure continue du glucose est en ce sens une avancée majeure et on peut se demander si, dans la mesure où l’éducation thérapeutique doit précéder toute initiation thérapeutique, sa place ne devrait pas être étendue bientôt à tous les diabétiques…