En parallèle de sa carrière de peintre et d’ingénieur, Léonard de Vinci a consacré trente ans de sa vie à l’étude du corps humain, de son anatomie et de sa physiologie. De très nombreux écrits et dessins en sont la preuve même s’ils ont été « oubliés » jusqu’à la fin du XIXe siècle. Une exposition temporaire au château du Clos Lucé où il a fini ses jours retrace cette épopée.
Précurseur dans l’observation de l’anatomie, Léonard de Vinci (1452-1519) a dessiné le corps humain sous tous les angles (fig. 1), et en a étudié la mécanique avec une rigueur scientifique. Il a conjugué ses capacités d’ingénieur et ses talents d’artiste graphique pour en explorer les mystères.

Une trentaine de dissections

Léonard de Vinci a inauguré une nouvelle représentation de l’anatomie grâce à une dissection par couches. Il dessine ainsi, une à une, dix couches dans la main et le pied, de la peau au squelette. Il est l’inventeur d’une méthode inédite de dissection, non seulement par couches successives de l’extérieur vers les os mais aussi en coupes (comme le scanner) et en perspective (comme l’imagerie par résonance magnétique). Ces multiples angles de vue permettent d’appréhender toutes les facettes de l’anatomie et rappellent le principe de visualisation de l’imagerie médicale actuelle en 3D... il y a cinq siècles !
Il traque chaque détail et réalise plus de deux cents planches anatomiques, commentées et annotées de son écriture inversée. Pour accéder à cette énorme somme de connaissances, il dissèque – en compagnie de barbiers-chirurgiens, médecins, artistes... – une trentaine de cadavres entre 1487 et 1516, dans les hôpitaux de Florence, Pavie ou Rome.
À la différence de Vésale qui a publié son De humina corporis fabrica en 1543 (lire « Anatomie, ce que nous devons à Vésale », La Revue du praticien, mai 2023), Léonard de Vinci n’a pas publié de Corpus. Ses dessins, dispersés et tombés longtemps dans l’oubli, sont « redécouverts » à la fin du XIXe siècle. Ils sont conservés, pour la plupart, au sein de la Royal Collection Trust de Windsor, en Angleterre.

Père de l’anatomie scientifique

Ainsi, Léonard de Vinci est-il le premier à dessiner de façon précise et détaillée le rachis et chacune de ses vingt-quatre vertèbres avec un rendu quasi identique à l’imagerie médicale (fig. 2). Pour une parfaite compréhension, il représente ces os d’abord réunis, puis séparés et enfin vus de dessus et de dessous.
Ne pouvant dissocier description et fonctionnement, Léonard de Vinci se penche aussi sur la « mécanique du corps ». Ses talents d’ingénieur l’incitent à comparer les tendons du cou à des haubans, ceux de l’épaule à des cordes, les articulations des doigts à des poulies, le fonctionnement du bras et du biceps à un bras de levier... Son intérêt pour les dissections abreuve sa soif de comprendre la fonction et le mouvement. Il s’interroge sur les différences entre ce qu’il observe et les descriptions de ses prédécesseurs. Il étudie donc la physiologie de l’appareil urinaire masculin, celle du cœur ; il mène des expériences pour appréhender les flux dans l’appareil urinaire, modélise la circulation sanguine et les valves cardiaques...

Fusion des sciences et de l’art

Léonard de Vinci a mis l’approfondissement de ses connaissances anatomiques au service de la peinture. Une démarche illustrée de façon magistrale dans sa représentation de la Cène (Milan, 1495-1498). La précision de son dessin capte l’expression des émotions chez les apôtres lors du dernier repas avec Jésus. Cette œuvre est emblématique de la justesse anatomique de ses peintures ; elle évoque le mouvement comme si le temps était suspendu, figeant chaque personnage dans son attitude au moment de l’annonce de la trahison du Christ (fig. 3).
Léonard de Vinci possède la triple compétence de scientifique, artiste et ingénieur.
Les extraordinaires œuvres de Léonard de Vinci ont traversé le temps et apportent un éclairage très intéressant sur la connaissance de l’anatomie grâce à son talent et sa fidélité à l’une de ses devises : « Ostinato rigore » (une rigueur obstinée). 
Encadre

L’œil du commissaire médecin

Dominique Le Nen, chirurgien au CHRU de Brest et commissaire de l’exposition « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie » avec Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne à l’université de Tours.

Pour un médecin, en particulier chirurgien, au-delà de la beauté artistique des dessins de Léonard de Vinci, il est fascinant d’observer leur pertinence au regard de ce que nous connaissons maintenant de l’anatomie grâce à l’imagerie médicale. Ils apportent deux innovations fondamentales : la précision physiologique de ses observations de dissection dans différents plans, couplée à une vérification expérimentale, et des dessins magnifiques, exacts et détaillés. Quelques erreurs sont toutefois relevées car s’il dessinait probablement le plus souvent sur place pendant la dissection menée par ses assistants, il le faisait aussi sans doute de mémoire, à distance. À moins qu’il n’ait voulu faire passer un message comme avec cette coupe de crâne, que nous avons tenté de reproduire en laboratoire à Brest et dont la perspective est fausse. Je formule l’hypothèse qu’il s’agit d’un clin d’œil à la croyance de l’époque que « les yeux sont la fenêtre de l’âme ».

Encadre

L’exposition scientifique « Léonard de Vinci et l’anatomie, la mécanique de la vie » se tient du 9 juin au 17 septembre 2023 au château du Clos Lucé, dernière demeure de l’artiste, à Amboise (37). Elle retrace l’étude du corps humain par Léonard de Vinci grâce à ses dessins, des ouvrages d’époque, des maquettes, de l’imagerie médicale, des interviews de spécialistes et des vidéos 3D. La reconstitution de sa salle de dissection complète le parcours.

https://vinci-closluce.com/fr

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