Podcast - Diabète : mesure en continu du glucose en médecine générale - Par le Dr Bruno Vermesse

L’utilisation des dispositifs de mesure continue du glucose (MCG) est en forte expansion dans la prise en charge du diabète. En complément de l’HbA1c, la MCG apporte des informations précises et complémentaires sur l’équilibre glycémique. D’abord réservés aux patients vivant avec un diabète de type 1 (DT1), les cadres de remboursement se sont progressivement élargis en France en fonction des dispositifs autorisant son utilisation chez les patients vivant avec un diabète de type 2 (DT2) traités par un schéma comportant au moins 3 injections d’insuline et, plus récemment, pour les patients vivant avec un DT2 traités par une injection d’insuline basale et une HbA1c > 8 %. Compte tenu des différents systèmes de MCG potentiellement disponibles selon les situations cliniques, des recommandations internationales ont défini les modalités d’un rapport standardisé de recueil de données que l’on appelle AGP (ambulatory glucose profile).1 - 3 Après la description des modalités de l’utilisation des dispositifs, nous détaillerons les nouveaux paramètres de l’équilibre glycémique définis par l’AGP et finirons par des questions fréquemment abordées par les patients.

Modalités d’utilisation du dispositif de MCG

Collecte des données 

Compte tenu des contraintes de temps de consultation, il est impératif d’obtenir un accès facile et rapide aux données de MCG. Pour cela, le recours aux plateformes industrielles (Dexcom Clarity®, Glooko®, LibreView®, myDiabby®…) est très utile.4 La création de comptes professionnels sur ces plateformes est nécessaire. Pour gagner du temps, il est également possible d’apprendre aux patients à télécharger leurs données sur ces plateformes en amont de la consultation. Cette étape constitue un élément primordial pour une utilisation optimale de la MCG notamment en soins primaires. À noter que des études sont en cours pour une transmission des données de MCG directement dans le dossier médical partagé. Enfin, en l’absence de transmission de données et de connexion aux plateformes, il reste possible de consulter les lecteurs ou téléphoner en direct afin d’obtenir les principales données glycémiques.

Période d’analyse, pourcentage de données capturées, nombre de scans ou vues par jour

Dans la perspective de pouvoir analyser correctement les données de MCG, il est important de vérifier qu’au moins 70 % des données ont été capturées sur les 14 derniers jours. Les études ont bien montré que les données d’au moins 14 jours de recueil étaient en corrélation avec celles de 90 jours pour la plupart des paramètres d’intérêt, de sorte qu’une période d’analyse de 14 jours de MCG est suffisante pour adapter les traitements du diabète.2 L’absence de port de capteur sur une période prolongée et/ou l’insuffisance de nombre de scans du capteur jour pour le  FreeStyle Libre ® peuvent expliquer un faible pourcentage de données capturées. Ces éléments doivent être abordés avec les patients le cas échéant. Compte tenu de l’existence d’une association entre le bon équilibre glycémique et le nombre de scans par jour, les auteurs s’accordent le plus souvent sur un nombre moyen d’environ 6 - 8 scans ou vues par jour répartis au lever, avant les repas ± après les repas, au cours des activités physiques et au coucher. Pour certains patients, le nombre excessif de scans ou vues par jour (> 20 - 30 par jour) doit être évoqué car il peut nuire à la qualité de vie. 

Paramétrage et utilisation des alarmes

Plusieurs dispositifs de MCG permettent le paramétrage des alarmes hypoglycémiques et hyperglycémiques, le plus souvent définis à 70 mg/dL et 250 mg/dL respectivement. L’utilisation de ces alarmes doit être abordée au cours de la consultation. En effet, il n’est pas rare de constater que les alarmes sont désactivées car, mal réglées, elles génèrent un inconfort de vie pour les patients.

Profil ambulatoire de glucose : de nouveaux paramètres pour analyser l’équilibre glycémique

L’AGP (ambulatory glucose profile)correspond à un rapport standardisé d’une page comportant les principales données standardisées statistiques et graphiques qui rendent compte visuellement des temps passés dans les cibles glycémiques standardisées, de la variabilité glycémique et de l’exposition journalière au glucose (fig. 1).3 Ce rapport est divisé en 3 parties : – les statistiques du glucose et les temps passés dans la cible ; le profil glycémique en ambulatoire schématisé sur 24 heures ; les profils quotidiens de glucose des 14 jours de recueil. 

Le temps passé dans chaque plage cible et les statistiques du glucose  

Temps passé dans chaque plage cible

Le temps passé correspond à la durée (en minutes ou le plus souvent rapporté en pourcentage de la journée) dans la cible (70 - 180 mg/dL) appelé le TIR (time in range), en hyperglycémie (> 180 mg/dL) appelé TAR (time above range), en hypoglycémie (< 70 mg/dL) appelé TBR (time below range). Les situations d’hyperglycémie ou hypoglycémie sévères sont également identifiées respectivement à > 250 mg/dL et < 54 mg/dL et devront être considérées prioritairement. Compte tenu d’une forte corrélation entre les niveaux TIR et les complications micro- et macrovasculaires du diabète d’une part et des résultats obtenus avec les systèmes automatisés d’administration d’insuline d’autre part, les experts ont défini des objectifs de MCG (fig. 2) avec notamment comme critère principal l’obtention d’un TIR > 70 % pour la majorité des patients mais qui peuvent être individualisés.2

Indicateur de gestion de la glycémie

L’enregistrement de 14 jours de données CGM permet d’estimer une HbA1c.  Compte tenu des différences observées chez certains patients entre l’HbA1c du laboratoire et l’HbA1c estimée, il est préférable d’utiliser le terme de glucose management indicator (GMI) ou indicateur de gestion de la glycémie (IGG en français). Le calcul du GMI en pourcentage repose sur l’algorithme suivant :  GMI = 3,31 + 0,02392 x [glucose moyen en mg/dL]. Même s’il existe généralement une bonne concordance entre GMI et HbA1c du laboratoire, cette dernière peut différer du GMI pour de multiples raisons telles que les problèmes d’anémie, de durée de vie des globules rouges, des hémoglobinopathies, d’insuffisance rénale, de certains médicaments…3 De plus, la durée d’analyse de 14 jours pour la MCG peut s’avérer différente dès 3 mois d’équilibre glycémique estimés par le dosage de l’HbA1c notamment en cas d’infection récente, de prise de corticoïdes ou d’activités physiques plus soutenues… Ces éléments sont importants à connaître car les patients peuvent être demandeurs d’explications sur ce point.

Glucose moyen et variabilité glycémique

Le rapport AGP comporte également le niveau de glucose moyen qui peut, pour certains patients, représenter un repère. Contrastant avec l’HbA1c, la MCG permet d’estimer la variabilité glycémique qui est aujourd’hui largement reconnue comme un facteur important impliqué dans la physiopathologie des complications du diabète. L’AGP propose d’utiliser le coefficient de variation défini par [la déviation standard du glucose moyen divisée par le glucose moyen] x 100. Selon les recommandations, un coefficient de variation inférieur à 36 % objective un profil glycémique stable.2

Profil ambulatoire de glucose  

Le profil ambulatoire de glucose correspond à la deuxième partie du rapport et comporte un graphique2 (fig. 1) qui représente la dispersion des valeurs de glucose au cours d’une journée standard de 24 heures. Ce graphique permet d’identifier très facilement les périodes d’hyper- ou hypoglycémies en fonction des créneaux horaires de la journée. Complété par des aires graphiques bleu foncé et bleu clair correspondant respectivement aux valeurs de glucose obtenues entre le 25e et le 75e percentile et le 10e et 90e percentile, ce graphique permet d’illustrer la variabilité glycémique. Il faut toutefois noter que cette représentation peut être impactée par des horaires de repas ou de travail variables.5

Profils glycémiques quotidiens

La troisième partie du rapport comporte une représentation graphique de la MCG de chaque jour sous forme de vignettes. Les zones au dessus de la cible (TAR) et les zones en dessous de la cible (TBR) sont respectivement colorées en jaune et rouge (fig. 2).2 Cette représentation permet d’identifier des jours de la semaine qui peuvent se caractériser par un profil glycémique particulier et donc de susciter des échanges avec le patient pour une adaptation thérapeutique si nécessaire. 

AGP : en pratique comment se l’approprier ?

Après avoir vérifié que le pourcentage de données capturées est supérieur à 70 % sur les 14 jours, l’analyse du rapport AGP peut être envisagée en 2 étapes. 

1re étape : quel est l’équilibre glycémique du patient aux regard des objectifs en mesure continue du glucose (fig. 3) ?

  • Le niveau moyen de la glycémie sera apprécié par le TIR 70 - 180 (objectif > 70 % ou 50 % pour les sujets fragiles) et le GMI (objectif < 7 % ou 8,5 % pour les patients fragiles).
  • Les hypoglycémies seront évaluées par le TBR < 70 (objectif < 5 %,< 1 % chez les patients fragiles).
  • La variabilité sera appréciée par le coefficient de variation (objectif < 36 %).

2e étape : ajustement des traitements  

Si les objectifs glycémiques cités ci-dessus ne sont pas atteints, il convient alors de regarder le profil ambulatoire de glucose pour l’adaptation des traitements.

Par exemple il existe des hyperglycémies nocturnes qui nécessiteront une augmentation de l’insuline basale, des hypoglycémies postprandiales dans la matinée nécessitant une réduction du bolus d’insuline rapide du petit déjeuner…

En cas de variabilité glycémique importante (CV > 36 %), l’analyse des profils quotidiens peut être abordée. 

Il s’agira par exemple de dépister des hypoglycémies liées à l’activité physique ou des hyperglycémies le week-end…

Encadre

Questions fréquemment posées par les patients 

Pourquoi existe-t-il parfois une différence entre les résultats de la glycémie capillaire et la MCG ?

La MCG correspond à une mesure du glucose dans le liquide interstitiel qui est corrélée à la glycémie capillaire. Cependant, en cas de variation glycémique notamment aux moments des repas, il existe un décalage temporel de 2 à 7 minutes entre les valeurs de glucose interstitiel et la glycémie, ce qui peut expliquer des différences entre ces paramètres. 

Y a-t-il un intérêt à réaliser des glycémies capillaires en complément de la MCG ?

En cas d’utilisation de la MCG, il n’est pas nécessaire de réaliser systématiquement des glycémies capillaires. En cas de doute clinique notamment en cas de symptômes d’hypoglycémies ou d’hyperglycémies et de constatation d’une mesure continue du glucose discordante, une glycémie capillaire peut être réalisée. Il est habituellement admis qu’en cas de discordance, le résultat de la glycémie capillaire est prise en compte. 

Y a-t-il un intérêt à maintenir les dosages de l’HbA1c lorsqu’on utilise la MCG ?

La MCG permet le calcul du GMI qui est une estimation de l’HbA1c avec parfois cependant des discordances entre ces paramètres. Comme nous l’avons vu, même si l’expérience tend à nous indiquer que la fréquence des dosages d’HbA1c diminue chez les patients sous MCG, il reste recommandé de maintenir une surveillance de l’équilibre glycémique qui associe la MCG et l’HbA1c.

Conclusion 

L’utilisation de la MCG s’étend rapidement et s’impose de plus en plus pour la prise en charge des patients traités par insuline. Le rapport standardisé AGP permet une analyse rapide des données glycémiques et constitue un outil déterminant pour l’individualisation de la prise en charge thérapeutique.

Cet article fait partie d'un supplément ayant bénéficié du soutien strictement institutionnel du laboratoire Abbott, sans intervention de leur part dans l’élaboration du sommaire, le choix des auteurs et la rédaction des articles.
Références
1. Danne T, Nimri R, Battelino T, et al. International Consensus on Use of Continuous Glucose Monitoring. Diabetes Care. 2017 Dec;40(12):1631-1640. 
2. Battelino T, Danne T, Bergenstal RM, et al. Clinical Targets for Continuous Glucose Monitoring Data Interpretation: Recommendations From the International Consensus on Time in Range. Diabetes Care. 2019 Aug;42(8):1593-1603. 
3. Johnson ML, Martens TW, Criego AB, Carlson AL, Simonson GD, Bergenstal RM. Utilizing the Ambulatory Glucose Profile to Standardize and Implement Continuous Glucose Monitoring in Clinical Practice. Diabetes Technol Ther. 2019 Jun;21(S2):S217-S225. 
4. Martens TW. Continuous glucose monitoring in primary care - are we there? Curr Opin Endocrinol Diabetes Obes. 2022 Feb 1;29(1):10-16. 
5. Tatulahvili S, Sal M, Cosson E. Profil ambulatoire du glucose: proposition d’un guide d’utilisation pratique. Med Mal .Metab(2022).

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Ressources complémentaires

Résumé

La mesure continue du glucose (MCG) devient un élément incontournable dans la prise en charge du diabète. Le plus souvent obtenu sur un recueil de 14 jours avec au moins 70 % de données capturées, le rapport du profil ambulatoire du glucose (AGP pour ambulatory glucose profil) permet une analyse rapide et individualisée des données glycémiques. Le temps passé dans la cible 70 - 180 mg/dL avec un objectif supérieur à 70 % ou 50 % chez les patients fragiles constitue un nouveau paramètre qui s’impose pour évaluer l’équilibre glycémique via la MCG. Complété par l’HbA1c estimée, nouvellement dénommée GMI (glucose management indicator), le temps passé en hypoglycémie (objectif < 5 % voire < 1 % pour les patients fragiles) et le coefficient de variation (objectif < 36 %), la MCG offre une analyse très complète de la glycémie avec un ajustement des traitements individualisé au regard des profils glycémiques ambulatoires.