En complément de la magie, les médecins égyptiens ont progressivement élaboré de nombreux remèdes qui se sont ensuite transmis de génération en génération.
Les médecins égyptiens de l’Antiquité, les « sounou »,1 ont étudié les maux qui accablaient leurs contemporains pour tenter d’y remédier ou de les soulager. À l’origine, la magie était le seul recours. À partir de certains remèdes utilisés en complément, ils ont élaboré un art de guérir, à l’origine de la médecine. L’écriture, apparue en Égypte vers -3200, a permis de transmettre de génération en génération les acquis de ce savoir médical.
Des remèdes nombreux et variés
Nombreux et variés, ses remèdes ont fait la réputation de la médecine égyptienne dans le monde antique.2 Kemi, la terre noire, le nom égyptien de l’Égypte, serait à l’origine du mot chimie. Le terme grec « Pharmakon », dériverait de l’égyptien ancien « Pheret-maki » (celui dont les prescriptions protègent), allusion à Thot, le dieu guérisseur, qui a soigné l’œil blessé d’Horus.3
Les préparations médicamenteuses étaient habituellement longues et compliquées. En multipliant les principes actifs, le thérapeute pouvait espérer obtenir un maximum d’efficacité. Leur élaboration était volontiers accompagnée de formules magiques pour en accroître l’efficacité. « Paroles à dire au moment de placer la médication sur tout endroit douloureux d’un homme ; vérifié efficace un million de fois » (papyrus Ebers n° 1).
Pour des problèmes d’interprétation, il faut rester prudent quant à l’identification de certains ingrédients qui les composent. Sur les 500 produits relevés dans la pharmacopée égyptienne, Grapow estime que 358 traductions sont acquises, 167 restent douteuses ou intraduisibles et 19 illisibles.4 Pour les 400 drogues figurant dans le papyrus médical Ebers, Ebbel n’a pu proposer que 240 traductions.5 Certains termes tels que « l’œil du ciel », « l’onguent précieux », « la queue de souris », « la tête d’âne » ou « la dent de porc » désignent probablement des plantes sans plus de précision.
Une pharmacopée abondante
La pharmacopée égyptienne utilisait des substances d’origine minérale, végétale et animale.6
Elle accordait à certaines substances minérales des vertus thérapeutiques. Un onguent à base de poudre d’albâtre permettait d’obtenir une peau parfaite (papyrus Ebers n°715, Hearst n°154), l’ocre jaune (argile riche en oxyde ferrique hydraté) traitait le trachome et la pelade, la galène (sulfure de plomb), la chrysocolle (sulfate de cuivre hydraté) et le granit soignaient les yeux, le natron était utilisé comme émollient, le carbonate de calcium contre les acidités digestives. Parmi d’autres substances minérales de leur pharmacopée, citons le sel marin, la brique, l’argile, la terre, la faïence, le gypse, la pierre de Memphis (calcaire ?), la malachite, la poudre de meule, la boue du Nil, le sable du désert pour soigner une morsure de serpent (papyrus Brooklyn n°44 a), la suie, etc.
Les plantes utilisées par le sounou étaient pour la plupart d’origine égyptienne, qu’elles soient endémiques ou acclimatées. Certaines venaient de l’étranger. Le safran et la sauge, de Crète ; les parfums, les épices, la myrrhe et l’encens d’Arabie, le cannabis et la cannelle d’Inde.
Certains de ces végétaux avaient des vertus curatives incontestables. Comme laxatifs, les fruits du sycomore (Ficus Aegyptiae), la coloquinte, les figues, le ricin et l’aloès étaient sûrement efficaces. La caroube et la levure de bière aidaient à calmer certaines affections intestinales et le saule les états douloureux ou fébriles. Ils utilisaient comme diurétiques les graines de genévrier, la bryone et la scille. Parmi les sédatifs, ils avaient recours au pavot (Papaver somniferum), à la jusquiame, et au datura aux propriétés hallucinatoires. Parmi d’autres plantes utilisées, citons l’acacia, l’ail et l’oignon, le blé et l’orge, les fèves, les dattes, le chou, le céleri, la coriandre, le concombre, le fenouil, les figues, la laitue, le poireau, les pois, les pignons, le radis, le raisin, le melon et la pastèque, le séné, le thym, etc.
Les substances d’origine animale étaient aussi mises à contribution. Grapow en a relevé 984 dans les 1 740 recettes recensées.
Le miel constitue l’un des produits les plus fréquemment mentionnés. Nous lui reconnaissons ses propriétés adoucissantes, cicatrisantes, antibactériennes et antifongiques.7 L’apiculture est fort ancienne et se retrouve dans des scènes des tombes dès la ve dynastie. L’abeille est d’ailleurs le symbole de la Haute-Égypte.
Le recours à l’amalgame est incontestable. Un crâne de silure, frit dans sa graisse et appliqué sur la tête, était censé guérir le migraineux en quatre jours (papyrus Ebers n°250).
Les Égyptiens utilisaient également le lait de vache ou d’ânesse, la graisse de divers animaux. La viande fraîche était utilisée pour la cicatrisation des plaies. Toute une thérapeutique dite excrémentielle (fiente, urine, chiures de mouches...) soulève un certain nombre de questions.
Élaboration des médications
Selon les papyrus médicaux, la préparation des remèdes exigeait rigueur et minutie quant aux ingrédients nécessaires, à leur mode de préparation et à leur voie d’administration.
Ingrédients
Les différentes substances utilisées étaient énumérées, avec pour chacune d’elles le volume (et non le poids) nécessaire à la confection du remède. L’unité de référence était le boisseau ou « heqat », initialement prévu pour mesurer les céréales, et correspondant à 4,5 litres. Son sous-multiple, le « henou », soit 1/10 de heqat, valait 450 mL. Aussi le « ro », littéralement la bouchée, soit 1/320 d’heqat (14 mL) était la mesure la mieux adaptée aux petites quantités de produits utilisées.8
Mode de préparation
Il était énoncé avec précision : « Une fumigation pour rendre agréable l’odeur de la maison ou des vêtements ; les ingrédients seront moulus finement, pétris en une masse homogène, et cuits au feu » (papyrus Ebers n° 852).9 Les excipients les plus utilisés étaient l’eau, la bière, le miel, et plus rarement le vin.
Mode d’administration
Les Égyptiens avaient surtout recours à la voie orale, sous forme de potions, infusions, décoctions, macérations, mais aussi de pilules, pastilles, boulettes, etc. Par voie cutanée ils appliquaient cataplasmes, onguents, pommades, emplâtres. Aux affections respiratoires, ils opposaient fumigations et inhalations, avec des instructions détaillées pour le patient : « Tu iras chercher 7 pierres que tu feras chauffer au feu ; tu apporteras l’une d’elles et tu mettras dessus une portion de ce médicament ; tu le recouvriras d’un pot neuf dont le fond a été percé ; tu y introduiras la tige creuse d’un roseau ; tu placeras ta bouche à l’orifice de cette tige ; de sorte que tu inhales les vapeurs qui s’en exhalent. Et ainsi avec les 6 autres pierres » (papyrus Ebers n° 325). On ne peut être plus précis pour un mode d’emploi. Un praticien spécialisé, le « berger de l’anus », utilisait les suppositoires et surtout les lavements, un mode de traitement couramment appliqué.10 Tampons et injections vaginales traitaient les pathologies féminines. Pour les soins buccaux, on disposait de gargarismes et bains de bouche, pour les yeux, de collyres et pommades ophtalmiques. Des pâtes dentaires apaisaient les algies dues aux caries.
L’ordonnance précisait l’âge auquel la médication s’adresse, l’heure à laquelle on devait l’administrer, le jour, voire la saison et la durée du traitement. « Ce sera cuit, filtré puis absorbé quatre jours de suite » (papyrus Ebers n° 289). Pour soigner un nourrisson, la nourrice devait enduire ses tétons du remède avant l’allaitement ou alors elle absorbait elle-même le traitement que son lait restituait au bébé.
Même la température pouvait être recommandée : « (Ce) sera cuit et absorbé à une température convenable au doigt » (papyrus Ebers n° 799).
Préparateur des remèdes
L’élaboration des remèdes, dans la plupart des cas, était le fait du médecin lui-même. Toutefois, dans certaines situations, il pouvait disposer d’un assistant avec lequel il partageait ses secrets. Ainsi dans un journal de chantier sur un ostracon du Nouvel Empire, il est noté que l’ouvrier de la tombe, Pa-Héri-Padjet, se rend régulièrement au chevet d’ouvriers malades et prépare des remèdes pour la femme du scribe.
Une organisation de la pharmacie est très vraisemblable au sein des « per ankh », les maisons de vie, véritable conservatoire du savoir égyptien antique.11 L’administrateur avait le titre de « chef des pharmaceutes ». Les différentes plantes, après contrôle par le prêtre-Sem,« l’homme aux plantes médicinales », étaient entreposées dans la maison de vie, sous l’autorité du « gardien de la myrrhe ». La myrrhe symbolisait l’ensemble des plantes médicinales. Ce responsable était vraisemblablement chargé de la conservation et de la délivrance des drogues entreposées.12 Aurait-on là le vénérable ancêtre des préparateurs en pharmacie, voire des pharmaciens ?13
1. Ziskind B.Halioua B. Organisation et structure du corps médical dans l’Égypte ancienne. Rev Prat 2004;54;1966-9.
2. Ziskind B. Le renom des médecins égyptiens dans le monde antique. Rev Prat 2014;64:1326-30.
3. Ghalioungui P. La médecine des pharaons. Paris : Robert Laffont, 1983:182.
4. Grapow H et coll. Grundriss der Medizin der alten Ägypter (8 vol.). Berlin: Academic Verlag, 1954-1962
5. Ebbel B. The Papyrus Ebers. London: Levin et Munksgaard, 1937:135.
6. Bowman WC.Drugs ancient and modern. Scott Med J 1979;24:131-40.
7. Zumla A, Lulat A. Honey, a remedy rediscovered. J Royal Soc Med 1989;82:384-435.
8. Nunn JF. Ancient Egyptian medicine. Oklahoma: University of Oklahoma Press, 1996:140.
9. Bardinet T. Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique. Paris : Fayard, 1995:362.
10. Ziskind B. Pratique quotidienne des médecins de l’Égypte ancienne. Rev Prat 2011;61:1473-6.
11. Boulu G. Le médecin dans la civilisation de l’Égypte pharaonique. Thèse de doctorat en médecine. Amiens, 1990:73.
12. Leca AP. La médecine égyptienne au temps des pharaons. Paris : Roger Dacosta, 1988.
13. Halioua B, Ziskind B. La médecine au temps des pharaons. Paris : Liana Lévi, 2002.
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