Les enfants migrants sont en nombre croissant en Europe1 depuis 2014 (un demi-million selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés [UNHCR],2 dont près de 70 000 en France [ministère de l’Intérieur 2020]), et les consultations médicales les concernant sont de plus en plus fréquentes.3, 4 Ils sont très souvent dans une situation de vulnérabilité – liée à leur déracinement socioculturel et familial, à des troubles psychologiques parentaux, à leurs conditions socio-économiques précaires, à leur état nutritionnel, immunitaire et vaccinal déficient et au contexte épidémiologique critique du ou des pays où ils ont résidé ou par lesquels ils ont transité – qui les expose à une morbidité et à une mortalité supérieures à celles des enfants sédentaires.5 L’UNHCR estime à près de 5 000 le nombre d’enfants décédés ou perdus lors de leur migration vers l’Europe ces huit dernières années.2
La prise en charge de la santé de l’enfant migrant est indissociable de l’évaluation de son contexte socio-éducatif de vie (voir l’article « Organisations des structures d’accueil des enfants migrants » de Laëtitia Sorlat,
Que l’enfant migrant apparaisse bien portant ou malnutri, l’attention du praticien devrait être concentrée sur les conséquences des carences et des stress vécus au cours de son aventure migratoire, les pathologies d’importation du pays d’origine et des régions traversées, sans omettre les maladies cosmopolites d’acclimatation.
L’archétype d’un bon état de santé sélectionné par les épreuves de la migration nécessite d’être nuancé : il est certain que la mortalité des enfants sur la route migratoire est sous- évaluée2 et nous ignorons le nombre d’enfants qui ont quitté leur terre d’origine pour une migration aléatoire.
Les principales maladies observées sont liées à la malnutrition et aux carences en fer et en vitamine D, ainsi qu’à l’exposition à des toxiques (saturnisme). Ce sont aussi des infections communes et souvent liées à des conditions de vie précaires, comme les caries dentaires, la gale, l’impétigo, la teigne, les parasitoses intestinales, la tuberculose, l’hépatite virale B et, plus rarement, le paludisme, la schistosomiase ou une infection sexuellement transmissible, dont la syphilis et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).6
Dénutrition et obésité sont fréquentes
La dénutrition et l’obésité sont fréquentes dans les pays d’origine des enfants migrants.
La prévalence de la dénutrition (indice de masse corporelle [IMC] inférieur au 3e percentile) est de 18 % dans la cohorte de la consultation dédiée aux enfants migrants de l’hôpital Necker-Enfants malades de 2017 à 2021.7 Elle est ainsi comparable à celle observée dans une méta-analyse de publications concernant des enfants migrants originaires d’Afrique (17,2 %).4
Les enfants en surpoids peu après leur arrivée en Europe représentent 11 à 20 % des enfants examinés dans les cohortes de consultations dédiées à Paris.3, 7 Une prévalence considérable d’obésité chez des enfants réfugiés aux États-Unis est également rapportée.8
Rechercher une anémie
La prévalence de l’anémie (définie selon l’âge)7 varie, selon les différentes études, de 6 à 48 %.4
Dans la cohorte de l’hôpital Necker-Enfants malades d’enfants âgés de moins de 12 ans, elle est de 36 %.7 La principale cause de l’anémie est la carence martiale (ferritinémie inférieure à 15 µg/dL), en particulier chez le jeune enfant : 45 % dans l’ensemble de notre cohorte et 72 % chez les enfants d’origine africaine.7
La prévalence est de 17 % (de 13 % à 22 %) parmi les enfants migrants d’origine asiatique examinés en Grèce (moyenne d’âge 7 ans).9
La prévalence moyenne est de 12 % selon le Haut Conseil de la santé publique (HCSP).10
Les hémoglobinopathies et les anémies hémolytiques par déficit enzymatique érythrocytaire (G6PD) sont des causes possibles d’anémie chronique étant donné l’origine ethnique et la consanguinité non rare de ces enfants selon les populations (prévalence de la thalassémie : 1 0/00 ; prévalence du déficit en G6PD : 39 0/000).4
L’anémie est un facteur de risque de morbidité et de mortalité des enfants et impacte négativement leur développement physique et cognitif.
Les anémies doivent être traitées : les carences martiales sont supplémentées (dispensation par la permanence d’accès aux soins de santé [PASS] ou la pharmacie hospitalière), et les enfants atteints d’une hémoglobinopathie sont orientés vers des réseaux de soins spécialisés.11
Identifier une carence en vitamine D
La prévalence de la carence en vitamine D (25 OH-vitamine D < 25 nmol/L) est de 67 % dans la cohorte d’origine africaine de l’hôpital Necker-Enfants malades ;7 elle est évaluée entre 42 et 70 % dans la méta-analyse de Baauw.4
Vérifier l’état bucco-dentaire
L’hygiène buccale de certains enfants est particulièrement négligée, avec de nombreuses caries dentaires. Leur prévalence moyenne est ainsi de 43 % (de 20 à 48 %), selon la recherche bibliographique du HCSP.10
Le saturnisme en cause dans les troubles précoces du neurodéveloppement
La prévalence du saturnisme est de 13 % dans la cohorte d’origine africaine de l’hôpital Necker-Enfants malades.7 Les seuils de vigilance varient selon les pays (plus de 25 µg/dL en France ; plus de 10 µg/dL dans les études anglo-saxonnes ;4 plus de 5 µg/dL pour les Centers for disease control and prevention [CDC] aux États-Unis). La prévalence est de 30 % chez les immigrants asiatiques en Grèce.9
Les plombémies nécessitant un traitement chélateur sont rares.
L’exposition au plomb est un des facteurs liés aux troubles précoces du neurodéveloppement qui sont observés plus souvent chez les enfants migrants en comparaison aux autres groupes.12
Dermatophytoses cutanéo-phanériennes : peu symptomatiques
L’incidence des teignes est variable, d’autant qu’elles ne sont souvent pas très symptomatiques. La prévalence était de 4 % dans la cohorte d’enfants migrants de l’hôpital Necker-Enfants malades.7
Dépistage de la tuberculose
Le dépistage systématique de la tuberculose par intradermoréaction (IDR) et/ou interferon gamma release assays (IGRA) chez les enfants migrants montre une prévalence d’infection tuberculeuse latente variant de 2,5 % en Grèce9 à 25 % observée à Paris,7, 3 en Allemagne,13 aux États-Unis,14 en Australie et en Nouvelle-Zélande15 et 60 % en Espagne chez des mineurs isolés subsahariens.16
La probabilité de l’évolution d’une infection tuberculeuse latente en tuberculose maladie est plus élevée chez l’enfant, et une antibioprophylaxie est recommandée.17
La prévalence de la tuberculose maladie est de l’ordre de 1 % dans les études parisiennes,3, 7 comme en Allemagne.13
Hépatites : un risque variable
Concernant l’hépatite virale B, la prévalence de l’Ag HBs est très variable selon l’origine des enfants ; elle est en moyenne de 3 % (de 4 à 15 %).3, 16
L’hépatite C est rare dans les populations d’enfants migrants, à l’exception des enfants originaires d’Égypte.
En revanche, la majorité des enfants ont une immunité postinfectieuse contre l’hépatite A ;7 certains sont en phase aiguë contagieuse, exposant la communauté d’accueil à un risque épidémique.
Rares cas d’infection au VIH
L’infection au VIH est rarement observée chez l’enfant migrant et, dans l’expérience de l’hôpital Necker-Enfants malades, ce sont des cas de migration pour raisons médicales.
Penser aux parasitoses
Fréquence variable selon la région d’exposition au parasite
La prévalence du paludisme, asymptomatique (semi-immun), est de l’ordre de 2 %.7 Il requiert néanmoins un traitement curatif, selon les recommandations nationales.18
La prévalence des schistosomoses (Schistosoma mansoni [bilharziose intestinale], Schistosoma haematobium [bilharziose urogénitale]), dépistées par sérologie selon les recommandations,8, 19 est différente en fonction de l’exposition des populations migrantes aux bilharzioses. Elle est de 9 à 60 % chez les mineurs non accompagnés (MNA) subsahariens.3, 11, 16
La prévalence de l’anguillulose (Strongyloides stercoralis) est également variable en fonction des populations examinées. Elle est de 28 % chez les MNA en Espagne.19 Cette infection parasitaire peut devenir grave en cas d’immunodépression.20 Elle est traitée par les antiparasitaires prescrits de façon présomptive systématiquement.21
Possible traitement présomptif des parasitoses intestinales
La prévalence des parasitoses intestinales dans les populations d’enfants migrants est de l’ordre de 35 % dans les études qui ont pu réaliser des examens parasitologiques des selles (EPS). La prévalence moyenne chez les MNA était de 21 % dans l’étude d’Angers22 et de 26 % dans celle menée à Bordeaux.23
Mais il est compliqué de faire réaliser trois EPS, en particulier chez des MNA ; de nombreuses équipes suivent donc les recommandations pragmatiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) en prescrivant un traitement antiparasitaire présomptif systématique de type albendazole-ivermectine.15
Effectuer un rattrapage vaccinal
L’insuffisance d’immunisation vaccinale observée24 requiert une évaluation et un rattrapage vaccinal décrit dans l’article concernant le bilan initial et les mesures prioritaires à prendre (« Quel bilan initial et quelles premières mesures prendre chez un enfant migrant ? »,
Compenser le défaut de nombreux dépistages
Le défaut fréquent d’accès aux dépistages anténataux, néonataux et post-nataux dans le pays d’origine impose d’examiner soigneusement ces enfants pour rechercher une pathologie endocrinienne, neurologique, cardiorespiratoire chronique, orthopédique ou de santé reproductive nécessitant un bilan complémentaire et une prise en charge spécialisée.
La revue bibliographique du HCSP8 a mis en évidence dans ces populations des prévalences de 9 % pour les troubles cardiovasculaires, 5 % pour les troubles respiratoires, 35 % pour les troubles de la vue et de 12 % pour les troubles musculosquelettiques.
On constate également que l’insuffisance de prise en charge préventive des femmes enceintes migrantes est liée à un risque d’hypotrophie néonatale et de prématurité en France ;25, 26 cela constitue un des facteurs favorisant l’augmentation de la mortalité infantile en France depuis dix ans.27
Une consultation longue et complexe
Au total, la consultation d’un enfant migrant primo-arrivant est longue et peut être complexe en matière de communication. Elle permet le dépistage et la prise en charge précoce de pathologies potentiellement graves ; elle est suivie d’une consultation de restitution des résultats et des prescriptions éventuellement nécessaires. Il convient de veiller à la mise à disposition des traitements nécessaires et à leur observance grâce à un réseau de soins médicosocial. Ces consultations sont souvent riches en échanges socioculturels. Elles font partie de l’accueil minimal que ces enfants sont en droit d’attendre du système de santé des pays qui ont ratifié la Convention des droits de l’enfant28 et qui aspirent à appliquer une couverture santé universelle.29
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3. Bergevin A, Hussain M, Cruz M, Le Blanc C, Dieme A, Giradin ML, et al. Medical check-up of newly arrived unaccompanied minors: A dedicated pediatric consultation service in a hospital. Arch Ped 2021;28:689-95.
4. Baauw A, Kist-van Holthe J, Slattery B, Heymans M, Chinapaw M, van Goudoever H. Health needs of refugee children identified on arrival in reception countries: A systematic review and meta-analysis. BMJ Paediatr Open 2019;3(1):e000516.
5. Stevens AJ. How can we meet the health needs of child refugees asylum seekers and undocumented migrants. Arch Dis Child 2020;105:191-6.
6. Salami B, Fernandez-Sanchez H, Fouche C, Evans C, Sibeko L, Tulli M, et al. A scoping review of the health of african immigrant and refugee children. Int J Envir Research Pub Health 2021;18(7):3514.
7. Lafay C. État de santé des enfants migrants à leur arrivée en France : une étude rétrospective comparative entre enfants migrants et enfants adoptés en Île-de-France de 2017-2021. Thèse de doctorat en médecine. Paris, 2021.
8. Dawson-Hahn E, Pak-Gorstein S, Matheson J, Zhou C, Yun K, Scott K, et al. Growth trajectories of refugee and nonrefugee children in the United States. Pediatrics 2016;138(6):e20160953.
9. Pavlopoulou I, Tanaka M. Dikalioti S, Samoli E, Nisianakis P, Boleti O, et al. Clinical and laboratory evaluation of new immigrant and refugee children arriving in Greece. BMJ Pediatrics 2017;17:132.
10. HCSP. Avis relatif au bilan de santé des enfant étrangers isolés. 7 novembre 2019. www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=753
11. de Montalembert M, Brousse V, Taylor Marchetti M, Allali S. La drépanocytose de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Elsevier Masson, coll. Pedia, 2020.
12. Schmengler H, El-Khoury Lesueur F, Yermachenko A. Maternal immigrant status and signs of neurodevelopmental problems in early childhood: The french representative ELFE birth cohort. Autism Research 2019 ;12(12) :1845-59.
13. Kortas AZ, Polenz J, von Hayek J, Rudiger S, Rottbauer W, Storr U, et al. Screening for infectious diseases among asylum seekers newly arrived in Germany in 2015: A systematic single-centre analysis. Public Health 2017;153:1-8.
14. Yun K, Matheson J, Payton C, Scott KC, Stone BL, Song L, et al. Health profiles of newly arrived refugee children in the United States, 2006-2012. Am J Public Health 2016;106:128-35.
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17. HCSP Infections tuberculeuses latentes. Détection, prise en charge et surveillance 2019. www.hcsp.fr hcspr20190510_infetubelatedtecprisencharetsurv.pdf
18. SPILF. Prise en charge et prévention du paludisme d’importation. Mise à jour 2017 des RCP 2007. www.infectiologie.com/UserFiles/File/spilf/recos/2017-palu-texte-final-flash.pdf
19. Leblanc C, Brun S, Bouchaud O, Izri A, Vichita O, Caseris M, et al. Imported schistosomiasis in Paris region of France: A multicenter study of prevalence and diagnostic methods. Travel Med Infect Dis 2021;41:102041.
20. Buonfrate D, Requena-Mendez A, Angheben A, Munoz J, Gobbi F, Van Den Ende J, et al. Severe strongyloidiasis: A systematic review of case reports. BMC Infect Dis 2013;13:78.
21. World Health Organization Guideline. Preventive chemotherapy to control soil-transmitted helminth infections in at-risk population groups 2017.
22. Peaud C, de Gentile L, Cateland L, Foucault N, Chabasse D, Pichard E, et al. Évaluation de l’état de santé des mineurs isolés étrangers. Médecine et maladies infectieuses 2017;47:S95.
23. Monpierre O, Baudino P, Rio-Rene P, Maurice S, Malvy D, Receveur M-C. État de santé des mineurs isolés étrangers en Gironde entre 2011 et 2013. Bull Soc Pathol Exot 2016;109:99-106.
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25. Bourdillon F. Éclairage sur l’état de santé des populations migrantes en France. Bull Epidemiol Hebdo 2017;19-20:373-4.
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27. Trinh N, de Visme, Cohen J, Bruckner T, Adnot P, Lelong N, et al. Recent historic of infant mortality in France: A time-series analysis, 2001 to 2019. Lancet Reg health Eur 2022;16:100339.
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29. Baggaley R, Zenner D, Bird P, Hargreaves S, Griffiths C, Noori T, et al. Prevention and treatment of infectious diseases in migrants in Europe in the era of universal health coverage. Lancet Public Health 2022;7(10):e876-e884.
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- Dénutrition et obésité sont fréquentes
- Rechercher une anémie
- Identifier une carence en vitamine D
- Vérifier l’état bucco-dentaire
- Le saturnisme en cause dans les troubles précoces du neurodéveloppement
- Dermatophytoses cutanéo-phanériennes : peu symptomatiques
- Dépistage de la tuberculose
- Hépatites : un risque variable
- Rares cas d’infection au VIH
- Penser aux parasitoses
- Effectuer un rattrapage vaccinal
- Compenser le défaut de nombreux dépistages
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