Pionnier en clinique, en médecine sociale, en enseignement et en éthique, ce médecin de Boston reste, un siècle plus tard, un exemple pertinent pour les médecins, y compris pour la reconnaissance professionnelle de nombreuses femmes de talent.
Richard Clarke Cabot est né dans un des « clans » influents de Boston, dans le Massachusetts, État de Nouvelle-Angleterre qui a joué un rôle important dans la guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne, puis contre l’esclavage (
Pratique clinique
Après avoir soutenu en 1892 sa thèse sur les guérisons affichées par la Christian Science, il entre au Massachusetts General Hospital (MGH), dont il devient le premier bactériologiste, avant de prendre en charge son service de médecine ambulatoire, puis d’y être promu chef d’un prestigieux service de médecine. En 1897, il ouvre un cabinet privé avec un microscope et bientôt une installation radiologique. L’année suivante, il sert comme anatomopathologiste à Porto Rico pendant la guerre hispano-américaine. En 1917-1919, il est dans une unité de volontaires du corps expéditionnaire américain installée à Bordeaux, qui accueillera plus de 4 000 combattants blessés ou malades. Il y rencontre Jean Bergonié, ainsi que le Dr Anna Hamilton, directrice de l’école d’infirmières de la Maison de santé protestante, qu’il estime être « la seule en France organisée selon les principes américains » : il la recommandera à des mécènes américains, qui permettront de construire une nouvelle école, aujourd’hui l’IFSI Florence-Nightingale. Il déplore l’alcoolisme des Français et leur incapacité à faire les réformes nécessaires. À son retour, il démissionne du MGH et, en 1926, ferme son cabinet privé pour se consacrer à d’autres activités.
Un esprit scientifique exigeant en fait un des premiers à utiliser des statistiques en médecine. Il décrit les « anneaux de Cabot », dans les hématies d’anémies pernicieuses, et le murmure diastolique de Cabot-Locke, en cas d’anémie sévère. Il individualise l’hyperleucocytose pour le diagnostic d’une infection. Il est le premier à isoler l’association fibrome de l’ovaire, ascite et pleurésie, qui deviendra le syndrome de Meigs. La publication de 600 cas de maladies cardiaques, classées pour la première fois selon leur origine, sera saluée comme une contribution majeure à la cardiologie. Il présente de nombreuses observations d’erreurs diagnostiques, vérifiées par une série de 3 000 autopsies, ce qui lui vaudra d’être mal vu par des confrères.
Fondation de l’assistance sociale hospitalière
Dans le service de médecine ambulatoire du MGH, il estime que les facteurs économiques, sociaux, familiaux et psychologiques, mentaux et moraux – en se référant notamment à La Comédie humaine, de Balzac – sont importants, à l’origine des maladies. Il déplore de ne pas avoir le temps pour les apprécier pleinement, alors que, réservé sur la spécialisation médicale, il préconise une approche globale des patients, au présent et dans le temps. Cela le conduit, en s’inspirant de ce qui existe déjà dans le privé, notamment à partir des infirmières sous l’influence de Florence Nightingale (
Les assistantes sociales, qui vont à domicile, sont rattachées aux services médicaux mais autonomes par rapport aux médecins. Elles doivent endiguer l’influence, menaçant la médecine telle qu’il la conçoit, des « technocrates » masculins. Leur développement doit beaucoup à Ida Cannon, infirmière à l’origine, qui animera pendant 40 ans ce service. Il sera bientôt imité par une centaine d’hôpitaux américains et par des hôpitaux français, d’abord en pédiatrie sous l’influence de Marie Wilbouchewitch, deuxième femme reçue à l’internat des Hôpitaux de Paris et épouse de Jean Nageotte, puis financé et étendu grâce aux moyens offerts par Madame Georges Getting, née Joséphine Rothschild, considérée comme la « fondatrice du service social à l’hôpital en France » et qui mourut déportée à Auschwitz.
Ce rôle social des soignants sera reconnu en France par le décret du 27 juin 1922 qui crée le diplôme d’État d’infirmières et infirmiers hospitaliers et ceux d’infirmières visiteuses d’hygiène sociale, de la tuberculose ou de l’enfance, avant le diplôme d’assistante sociale (décret du 11 juillet 1942, repris par celui du 31 mars 1951).
Enseignement
Cabot enseigne dans le cadre de l’université Harvard. Considéré comme un enseignant hors pair, critiquant les leçons magistrales pour préférer les ateliers pratiques, impliquant participation et réflexion des étudiants, il deviendra titulaire de la chaire de médecine clinique. Pendant toute sa pratique, il enregistre des observations, réunies en 36 volumes, qu’il utilise pour les « Conférences anatomo-cliniques du MGH » : de 1924 à 1935, il en assure la publication dans le Boston Medical and Surgical Journal, avant qu’elles soient reprises par le New England Journal of Medicine, où on les trouve toujours.
Son enseignement ne se limite pas à la médecine clinique. En 1896, un ouvrage d’hématologie, le premier à être publié en anglais, lui vaut une reconnaissance internationale. Après un bref enseignement de philosophie à ses débuts, il devient titulaire de la chaire d’éthique sociale en 1920 où il enseignera jusqu’en 1934, avant de finir par enseigner la « théologie naturelle » jusqu’à sa mort. Ces matières alimentent des ouvrages aussi nombreux que ceux de médecine proprement dite.
Ses Essais de médecine sociale – dont le titre est peut-être inspiré par Montaigne, qu’il a retrouvé à Bordeaux après l’avoir lu pendant ses études secondaires – correspondent à des conférences données en français à la Sorbonne à la fin de la guerre (
À la fin de sa vie, il sera réservé sur le rattachement de cette assistance sociale au département de sociologie créé à Harvard, qu’il juge trop théorique et pas assez pratique.
Éthique
Richard Cabot est influencé par sa religion et le transcendantalisme : les malades sont majeurs, responsables et capables de se prendre en charge, éventuellement aidés par des conseils et une assistance seulement temporaires.
Sur cette base, il défend énergiquement qu’il faut parler aux personnes malades franchement – une « information loyale », dira notre code de déontologie de 1995 – qu’elles sont capables de l’entendre, sans cacher que la « vérité » n’est pas toujours facile à connaître, y compris par le médecin.
Dès 1906, il a critiqué les placebos, qui trompent les patients. Leur mentir ne les trompe souvent pas, réduit leur confiance en leur médecin et les isole de leurs proches auxquels on dit la vérité. Plus tard, ceux-ci sauront à quoi s’en tenir à propos des paroles de médecin lorsqu’ils seront malades à leur tour.
Par ailleurs, Cabot soutient la pratique de groupe et la médecine préventive. Il participe à une enquête sur les jeunes délinquants et l’aide que l’on peut leur apporter. Il est réservé sur l’éducation sexuelle, qu’il estime plus incitative que prophylactique. Il défend l’éthique de l’expérimentation animale et les droits des animaux.
Un précurseur
Outre bien d’autres sujets auxquels il s’est intéressé – de la musique religieuse (il jouait du violon) à Gandhi, aux libertés civiles ou à des conceptions écologiques avant l’heure –, il a été précurseur en de nombreux domaines touchant à la médecine. Il a été également associé à plusieurs femmes de talent, qui l’ont inspiré, avec lesquelles il a collaboré ou qui ont prolongé son action.
Les lecteurs trouveront une bibliographie complète sur Richard Cabot dans l’ouvrage : Hœrni B. Richard Cabot (1868-1939). Précurseur de la médecine bio-psycho-sociale. Ses rapports avec la France. Paris, Glyphe, 2019.
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