Les représentations antiques révèlent parfois des états pathologiques, dont les manifestations visibles ont frappé les artistes.
Dans Les Maladies dans l’art antique, ouvrage publié en 1998 chez Fayard, Mirko Grmek et Danielle Gourevitch avaient tenté de définir l’iconodiagnostic,1 considérant que l’art peut dire beaucoup de la situation pathologique des civilisations non historiques. Cette idée reste vraie pour les civilisations historiques – c’est-à-dire disposant également d’une documentation écrite – si l’on reste en dehors du milieu médical et de sa littérature. La notion a été très violemment et méchamment critiquée, mais qu’à cela ne tienne ! Il suffit de préciser que, pour pouvoir se lancer humblement et raisonnablement dans ce genre de recherches, il faut que les états pathologiques envisagés aient des manifestations éclatantes et chargées d’émotion, frappant l’artiste assez fort pour qu’il ait envie de représenter d’emblée sans passer par l’étape d’une présentation rationnelle, même s’il en connaît l’explication scientifique proposée à l’époque. Nous continuons donc d’appeler iconodiagnostic le diagnostic rétrospectif des maladies fondé sur l’étude des images, complétant ce qu’apportent la paléopathologie, la pathographie et les données fondamentales des écrits médicaux.
Le corpus alors accumulé n’avait pas envisagé l’extraordinaire production artistique de l’Égypte gréco-romaine que sont les portraits dits « du Fayoum », actuellement quelque 900 exemplaires. L’expression désigne un type d’effigies plutôt qu’une stricte origine géographique ; il s’agit de portraits de morts grecs ou gréco-romains, partiellement égyptianisés, posés sur le coffrage de leur momie ou peints sur leur linceul. Ils disparaissent peu à peu au ive siècle, sous l’effet, entre autres facteurs, de la christianisation.
Le corpus alors accumulé n’avait pas envisagé l’extraordinaire production artistique de l’Égypte gréco-romaine que sont les portraits dits « du Fayoum », actuellement quelque 900 exemplaires. L’expression désigne un type d’effigies plutôt qu’une stricte origine géographique ; il s’agit de portraits de morts grecs ou gréco-romains, partiellement égyptianisés, posés sur le coffrage de leur momie ou peints sur leur linceul. Ils disparaissent peu à peu au ive siècle, sous l’effet, entre autres facteurs, de la christianisation.
Faciès hippocratique
Parmi ces portraits, celui d’une petite fille porteuse de plusieurs indicia mortis,2 et notamment d’un extraordinaire hippocratisme digital. Elle a la peau plombée, celle du front tendue, d’immenses yeux enfoncés, le nez pincé et effilé, les oreilles écartées (surtout la droite, mais les lobes sont malheureusement peu visibles) : c’est le « faciès hippocratique » de Pronostic 2 = LII 112-115 : nez effilé, yeux enfoncés, tempes affaissées, la droite noirâtre, oreilles contractées, teint de toute la face livide ou plombée.3 Elle a aussi les doigts des deux mains « en baguettes de tambour », livides surtout à droite, avec des ongles griffus et aplatis, les dernières phalanges trop longues. Hippocrate a été le premier à décrire cette anomalie, à côté d’autres indicia mortis (Prénotions Coaques XXVII 483 = Littré V 692-693 et Pronostic 9 = Littré II 132-133, bien repris par Celse II 6).4 L’hippocratisme digital s’observe dans de nombreuses maladies, mais sa physiopathologie reste inconnue, l’hypoxie jouant certainement un rôle. Et dans le cas de cette petite, un diagnostic probable est celui de tuberculose pulmonaire, la tuberculose ayant été biologiquement attestée en Égypte dès les premières recherches d’ADN. Certains y voient un garçon, mais la boucle de l’enfance (cette fois derrière l’oreille droite) peut aussi être portée par les filles ; et quant à la breloque en pendentif, ce n’est pas une bulla réservée aux garçons de naissance libre, mais une coquille ouazou ou ouza qui signifie santé ; autrement dit, à nos yeux, on la savait malade et on avait essayé de la protéger.
Consomption
On peut rapprocher ce cas de celui d’un autre enfant antique, un garçon étrusco-romain cette fois, Aulus Caecina Selcia, mort à l’âge de 12 ans (musée Guarnacci, Volterra), avec son nez effilé aux narines réduites, ses oreilles saillantes, ses joues creusées autour des pommettes, le menton apointé. Les doigts sont de moins belle facture mais tout de même nettement aplatis. Pour plus de sûreté diagnostique, choisissons le diagnostic des anciens, phtisie ou tabès,5 dépérissement dramatique dont les causes ne sont pas assurées, mais où nous voyons le plus souvent la tuberculose pulmonaire longtemps appelée phtisie ou consomption en médecine moderne.6
Références
1. Grmek M, Gourevitch D. Les maladies dans l’art antique. Paris : Fayard, 1998 : 27-8. Voir aussi D. Gourevitch. L’iconodiagnostic et l’histoire des maladies dans le monde gréco-romain. In : Charlier P (dir). Pour un manuel pratique de paléopathologie humaine. Paris : De Boccard, 2008:577-87.
2. Grmek MD. Les indicia mortis dans la médecine gréco-romaine. In : Hinard F (ed.). La mort, les morts et l’au-delà dans le monde romain. Caen : université de Caen, 1987:129-44.
3. Adjectif sur la même racine que celui qui décrit les cheveux vieillissants et blanchissants, mais les nuances sont bien différentes.
4. Color aut niger aut perpallidus, cutis circa frontem intenta, les yeux subsederunt, etc. Et nos lecteurs latinistes apprécieront aussi la belle formule de Pline qui, comme notre artiste, connaît le contexte médical général mais ne se prétend pas médecin ; parmi les signa letalia en VII 171 il insiste sur l’aspect des yeux et des narines : in oculorum quidemet narium aspectu indubitata maxime (= letalia). Les reprises galéniques d’Ars medica 22 = K I 364-365 et Boudon, p. 342-345, et De Crisibus I 5 = K IX 566-567 n’évoquent rien de ce qui se voit sur le visage ou le corps.
5. Debru A. Consomption et corruption : l’origine et le sens de tabes. In : Sabbah G (éd.). Études de médecine romaine. Mémoires du centre Jean-Palerne, VIII, 1988 : 19-31. Et Skoda F. Le marasme dans les textes médicaux grecs. Sens et histoire du mot. Revue des études grecques 1994:107-28.
6. Dictionnaire de médecine dit « de Littré et Robin » : phthisie (avec les deux h étymologiques) « particulièrement toute lésion du poumon qui tend à produire une désorganisation de ce viscère à la suite de laquelle survient son ulcération ». Et consomption : « diminution lente et progressive des forces et du volume de toutes les parties molles du corps », dû « particulièrement à la phthisie dont il est un des principaux symptômes ».
2. Grmek MD. Les indicia mortis dans la médecine gréco-romaine. In : Hinard F (ed.). La mort, les morts et l’au-delà dans le monde romain. Caen : université de Caen, 1987:129-44.
3. Adjectif sur la même racine que celui qui décrit les cheveux vieillissants et blanchissants, mais les nuances sont bien différentes.
4. Color aut niger aut perpallidus, cutis circa frontem intenta, les yeux subsederunt, etc. Et nos lecteurs latinistes apprécieront aussi la belle formule de Pline qui, comme notre artiste, connaît le contexte médical général mais ne se prétend pas médecin ; parmi les signa letalia en VII 171 il insiste sur l’aspect des yeux et des narines : in oculorum quidemet narium aspectu indubitata maxime (= letalia). Les reprises galéniques d’Ars medica 22 = K I 364-365 et Boudon, p. 342-345, et De Crisibus I 5 = K IX 566-567 n’évoquent rien de ce qui se voit sur le visage ou le corps.
5. Debru A. Consomption et corruption : l’origine et le sens de tabes. In : Sabbah G (éd.). Études de médecine romaine. Mémoires du centre Jean-Palerne, VIII, 1988 : 19-31. Et Skoda F. Le marasme dans les textes médicaux grecs. Sens et histoire du mot. Revue des études grecques 1994:107-28.
6. Dictionnaire de médecine dit « de Littré et Robin » : phthisie (avec les deux h étymologiques) « particulièrement toute lésion du poumon qui tend à produire une désorganisation de ce viscère à la suite de laquelle survient son ulcération ». Et consomption : « diminution lente et progressive des forces et du volume de toutes les parties molles du corps », dû « particulièrement à la phthisie dont il est un des principaux symptômes ».
Dans cet article
Une question, un commentaire ?