La vitamine D exerce de nombreuses actions extra-osseuses, notamment sur les systèmes cardiovasculaire et immunitaire et sur le métabolisme glucidique, suggérant de possibles effets sur les pathologies gravidiques. On sait également que le statut en vitamine D des femmes enceintes est semblable à celui de la population générale, c’est-à-dire insuffisant, alors que la demande calcique est accrue au cours de la grossesse. C’est ce qui est abordé dans le texte ci-dessous.
Modifications du métabolisme de la vitamine D au cours de la grossesse
Dans la physiologie de la grossesse normale, l’augmentation de la production de calcitriol est nécessaire à l’augmentation de l’absorption digestive du calcium et de phosphate chez la mère, elle-même indispensable à la demande fœtale, afin de permettre notamment la croissance et le développement du squelette fœtal.1 Au cours de la grossesse, la concentration maternelle de 1,25-OH-2D augmente en effet progressivement (de 50 à 150 %) du fait d’une hausse de la synthèse rénale et placentaire. Cette augmentation du calcitriol n’entraîne cependant pas d’hypercalcémie, en partie parce que la concentration maternelle de vitamine binding protein (VDBP) augmente parallèlement, réduisant ainsi la concentration de calcitriol sous forme libre (et donc active). Le calcitriol fœtal est quant à lui probablement produit par le rein du fœtus.
Statut en vitamine D au cours de la grossesse
Une comparaison d’un pays à l’autre de la prévalence du déficit en vitamine D chez les femmes enceintes est difficile en raison de la variation de sa définition dans les différentes études. De nombreux rapports de divers pays soulignent toutefois la grande fréquence du déficit en vitamine D aussi bien chez les femmes à peau pigmentée que chez celles à peau claire, et celles peu exposées au soleil en raison du port de vêtements couvrants. Globalement, chez les femmes enceintes, la concentration de 25-OH-D est identique à celle observée dans la population générale. On sait que la concentration de 25-OH-D au sang du cordon reflète le statut en vitamine D du nouveau-né et dépend du statut en vitamine D de la mère. Une étude relativement récente (étude FEPED) a évalué le statut en vitamine D de 2 803 femmes enceintes françaises et de leurs nouveau-nés. La concentration sérique de 25-OH-D était < 20 ng/mL (déficit en vitamine D) chez 46,5 % des femmes au cours du premier trimestre de la grossesse et < 30 ng/mL (insuffisance en vitamine D) chez 76,5 % d’entre elles. En analyse multivariée, le surpoids avant la grossesse, le phototype foncé, le prélèvement en dehors de l’été et l’absence de supplémentation en vitamine D au tout début de la grossesse étaient indépendamment associés à un déficit en vitamine D au premier trimestre.2
Vitamine D et prééclampsie
À côté de ses effets bien connus sur le métabolisme minéral, la vitamine D agit également sur l’immunomodulation, le contrôle de l’inflammation, de l’angiogenèse et de la pression artérielle par répression du gène de la rénine.3 Elle peut donc théoriquement interférer avec de nombreux mécanismes impliqués dans la physiopathologie de la pré-éclampsie (PE) : invasion trophoblastique et implantation, angiogenèse, immunomodulation, inflammation, régulation de la pression artérielle et contrôle de la protéinurie. Une étude récente a montré que les monocytes de femmes présentant une PE surexprimaient des gènes de l’inflammation et que le traitement de ces monocytes par de la vitamine D inhibait l’activation monocytaire en diminuant l’activation des voies de l’inflammation.4
La vitamine D joue également un rôle dans la régulation de la transcription et dans la fonction de gènes impliqués dans l’implantation du placenta, donc hypothétiquement dans la première phase de la genèse de la PE.5 Il a été montré une diminution de l’activité de la 1-alpha-hydroxylase dans le placenta de patientes ayant développé une PE, ce qui signifie que celui-ci ne synthétiserait pas une quantité adéquate de calcitriol.6 Ces anomalies pourraient être accentuées par une insuffi sance en 25-OH-D, celle-ci étant le substrat (ou prohormone) pour la synthèse du calcitriol.
De nombreuses études observationnelles ont montré une association inverse entre concentration de 25-OH-D au cours de la grossesse et risque de PE. La première étude, publiée en 2007, était une étude rétrospective cas-témoins ayant inclus 1 198 femmes enceintes avant la 22e semaine d’aménorrhée (SA) dont 5 % ont présenté une PE. Cette étude a montré que la concentration sérique de 25-OH-D était de 15 % plus basse en cas de PE, qu’une concentration de 25-OH-D < 15 ng/mL (versus une concentration > 30 ng/mL) multipliait par 5 le risque de PE (odds ratio [OR] : 5 ; intervalle de confi ance à 95 % [IC 95%] : 1,7-14,1).7 L’ étude FEPED a par la suite permis de montrer à partir de 83 cas de PE appariés à 319 contrôles qu’une concentration sérique de 25-OH-D >30 ng/mL aux premier et troisième trimestres était associée à une diminution significative du risque de PE (OR : 0,34 ; IC 95 % : 0,13-0,86).8 Ces résultats confirment ceux d’une autre étude cas-contrôle, qui montre également une réduction du risque de PE quand la concentration sérique de 25-OH-D est ≥ 30 ng/mL aux premier et troisième trimestres (OR : 0,28 ; IC 95 % : 0,10-0,96).9 Ces associations ne démontrent toutefois pas l’existence d’un lien de causalité entre une concentration basse de 25-OH-D et la survenue d’une PE. En effet, seules les études interventionelles permettent de confirmer le lien physio-pathologique entre statut en vitamine D et risque de développer une pathologie donnée.
À ce propos, une revue publiée en 2022 a comparé les résultats d’études observationnelles versus ceux d’études interventionnelles dans le domaine des effets extra-osseux de la vitamine D.10 Concernant la PE, les résultats entre études observationnelles et interventionnelles sont concordants. Une méta-analyse Cochrane publiée en 2019 ayant compilé les résultats de 22 études interventionnelles (3 725 femmes enceintes au total) et rapporté les effets de la supplémentation en vitamine D seule versus placebo ou pas d’intervention a montré qu’une supplémentation en vitamine D au cours de la grossesse diminuait le risque de PE (RR : 0,48 ; IC 95 % : 0,30-0,79).11 Une méta-analyse plus récente ayant pris en compte 27 essais contrôlés randomisés a confi rmé ce résultat et rapporte qu’une supplémentation en vitamine D au cours de la grossesse diminue de façon très significative le risque de PE (OR : 0,37 ; IC 95 % : 0,26-0,52). Cette dernière méta-analyse montre de plus que si la supplémentation en vitamine D est débuté précocement (avant la 22e SA), le risque de PE ultérieure est encore plus bas (OR : 0,35 ; IC 95 % : 0,24-0,50).12
Vitamine D et autres pathologies obstétricales et néonatales
Comme cela a été rapporté dans un autre chapitre de ce numéro spécial, la vitamine D favorise l’insulinosécrétion et diminue la résistance à l’insuline.3 De nombreuses études interventionnelles ont rapporté une association inverse entre concentration sérique de 25-OH-D et risque de diabète gestationnel10, et cela a été confirmé dans des méta-analyses d’études interventionnelles montrant une réduction du risque de diabète gestationnel chez les femmes enceintes ayant reçu une supplémentation en vitamine D.10,11 Au-delà du risque de PE et de diabète gestationnel, la méta-analyse Cochrane publiée en 201911 a montré que la supplémentation en vitamine D au cours de la grossesse diminuait de façon significative le risque d’hémorragie sévère du post-partum et de poids de naissance bas (< 2 500 g). En revanche, la supplémentation en vitamine D ne semblait pas avoir d’effet sur le risque de syndrome néphrotique au cours de la grossesse ou sur le risque d’accouchement pré-maturé. Il est intéressant de noter qu’il a été rapporté qu’un déficit en vitamine D était associé à une diminution de la probabilité de naissance vivante après une procédure de fécondation in vitro13 et à un risque accru de fausse couche.14
Supplémentation en vitamine D au cours de la grossesse
Il est connu depuis longtemps qu’une carence en vitamine D chez la mère peut avoir pour conséquence une hypocalcémie néonatale, d’où la recommandation en France de prescrire 100 000 UI de vitamine D3 aux futures mamans au début du troisième trimestre de la grossesse.15 Cette dose unique de vitamine D est efficace pour la prévention de l’hypocalcémie néonatale. L’étude FEPED a toutefois permis de montrer que la supplémentation actuellement en vigueur en France est insuffisante pour assurer une concentration sérique de 25-OH-D > 30 ng/mL au cours du troisième trimestre, qui concerne toujours 58,2 % des femmes supplémentées. Cette étude a aussi montré que cette supplémentation ne prévient pas de façon effi cace la carence en vitamine D (25-OH-D < 10 ng/mL) chez le nouveau-né puisque 12,4 % des nouveau-nés des mères supplémentées sont carencés.1 Les résultats de cette étude ont été transmis au Haut Conseil de la Santé publique, mais les recommandations officielles n’ont pour l’instant pas été modifiées.
Les recommandations américaines de l’Institute of Medicine (IOM) et européennes (EFSA) préconisent de maintenir une concentration sérique de 25-OH-D > 20 ng/mL au cours de la grossesse et d’avoir des apports en vitamine D native compris entre 400 et 600 UI/j sans nécessité de supplémentation.16,17 Il est cependant maintenant clair que des doses de 400 UI/j sont largement insuffisantes pour élever la concentration de 25-OH-D au-dessus de 50 nmol/L chez la majorité des femmes enceintes. De plus, ces recommandations ont déjà plus de dix ans et ne tiennent pas compte des résultats d’études récentes comme ceux présentés plus haut. À noter que l’innocuité de doses relativement fortes de vitamine D a été démontrée au cours de la grossesse. Hollis BW et al. ont publié les résultats d’un essai randomisé portant sur 350 patientes réparties en trois groupes recevant respectivement 400, 2 000 et 4 000 UI/j de vitamine D3. Il n’a pas été mis en évidence de différence entre les groupes en termes de sécurité (hypercalcémie, hypercalciurie) et aucun effet secondaire n’a été attribué à la supplémentation en vitamine D.18
L’Endocrine Society a adopté une position très différente de celle l’IOM de préconiser une concentration de 25-OH-D > 30 ng/mL chez les femmes enceintes, soit un apport de 1 500 à 2 000 UI/j avec réévaluation de la 25-OH-D par un dosage si nécessaire.19 En France, la position de l’Académie de médecine est intermédiaire, avec une recommandation d’apports compris entre 800 à 1 000 UI/j au cours de la grossesse et une cible de 25-OH-D > 30 ng/mL.20 On peut raisonnablement proposer aujourd’hui pour atteindre cette cible (en l’absence de formes pharmaceutiques adaptées à une prise journalière simple) une supplémentation de 50 000 UI/ mois (équivalente à 1 600 UI/j) dès le début de la grossesse. C’est ce qui permettra de se rapprocher au mieux des apports journaliers indiqués ci-dessus tout en respectant un espacement d’un mois entre les prises afin de stabiliser la concentration de 25-OH-D et en étant dénué d’effets potentiellement néfastes. Il est inutile dans ce cas de prescrire en plus la dose de 100 000 UI recommandée en début de troisième trimestre. Il faut toutefois tenir compte des suppléments nutritionnels en vente libre destinés aux femmes enceintes contenant pour la plupart de la vitamine D et ne pas oublier d’interroger les patientes sur ce point.
Cet article fait partie d'un supplément ayant bénéficié du soutien strictement institutionnel de Viatris, sans intervention de leur part dans l’élaboration du sommaire, le choix des auteurs et la rédaction des articles.
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