Définitions

Une intoxication est définie comme la survenue de tout effet toxique pour l’homme faisant suite à une exposition, unique ou répétée, à un mélange ou une substance, naturelle ou de synthèse, disponibles sur le marché ou présents dans l’environnement.
Être exposé à une substance toxique ne signifie pas toujours être intoxiqué, si aucun effet toxique n’est observé. Par exemple, l’exposition accidentelle à un médicament pris par erreur, en prise unique, même si ce n’est pas le traitement du sujet, peut n’avoir aucun retentissement clinique ou biologique. En revanche, des expositions répétées, ou l’absence de symptômes immédiats, ne sont pas synonymes d’absence d’intoxication, comme l’exposition chronique à des métaux lourds dans des régions où leur concentration est élevée.

Circonstances de l’exposition/intoxication

On distingue habituellement :
  • les intoxications accidentelles, qui sont les plus fréquentes, surtout chez l’enfant et la personne âgée ;
  • les intoxications volontaires, que l’on rencontre dans un but suicidaire ou addictif, et qui sont les plus fréquentes chez les adolescents et les adultes ;
  • intoxications spécifiques :
  • professionnelles : généralement accidentelles mais de pronostic plus sévère, au regard de la plus grande toxicité des produits industriels par comparaison aux produits domestiques ;
  • dans le cadre de soumissions chimiques ou de maltraitances, rencontrées dans tous les milieux socio­culturels et à tout âge.

Appel et organisation de la prise en charge urgente

Cette phase initiale est cruciale pour que le médecin régulateur de l’aide médicale urgente (AMU) puisse engager les moyens médicaux et paramédicaux adaptés pour assister la victime et proposer son orientation (maintien à domicile ou hospitalisation).
Durant cette phase, ce médecin régulateur recherche des signes de gravité immédiate qui nécessitent l’envoi, auprès de la ou des victimes, de moyens médicalisés :
  • nombre de victimes, âge, sexe, antécédents, traitements en cours, grossesse… ;
  • type de toxique et dose supposée ingérée ;
  • état de conscience ;
  • détresse respiratoire ;
  • convulsions ;
  • trouble du rythme cardiaque ou arrêt cardio-circulatoire.

Décision médicale et réflexion dans l’attente du bilan clinique de la victime intoxiquée

Le médecin régulateur de l’AMU appréciera aussi la localisation géographique de la victime intoxiquée et la distance par rapport à un établissement de santé possédant le plateau technique adapté pour accueillir cette victime en fonction des données de l’interrogatoire.
Après la prise de décision sur l’adaptation des moyens engagés, dans l’attente du bilan clinique de l’effecteur, ce médecin régulateur peut contacter le centre antipoison de sa région pour connaître les doses toxiques de la substance possiblement ingérée, les traitements préconisés, l’aide à l’identification d’un toxique. Enfin, il contactera le service d’urgence ou de réanimation qui va recevoir la victime pour organiser la prise en charge et informer les équipes médicales du service d’accueil de l’arrivée de ce patient.

Toxidromes : une façon systématique d’appréhender les intoxications (v. item 337, partie 1, tableau 1, Rev Prat 2021;71(8):896)

Une façon systématique d’appréhender les intoxications repose sur le regroupement des symptômes cliniques, biologiques et électrocardiographiques évocateurs d'une cause toxique. En d’autres termes, un toxidrome est caractéristique d’une intoxication mais n’est en aucun cas spécifique d’une cause toxique. Le toxidrome est observé pour un toxique, et le tableau clinique peut être modifié par la prise de plusieurs substances, comme c’est souvent le cas dans les passages à l’acte suicidaires où le toxidrome est donc modifié. De plus, il est important de comprendre qu’une classe médicamenteuse peut être responsable de plusieurs toxidromes. L’intérêt de connaître les toxidromes est de pouvoir évoquer une cause toxique en regroupant des symptômes évocateurs et qui permettent une réflexion argumentée des hypothèses diagnostiques.

Examen clinique

Pour tout patient intoxiqué, quels qu’en soient l’âge et le sexe, l’examen est complet, systématisé et consigné, car ce patient va évoluer, soit vers l’aggravation, soit vers l’amélioration. Les données toxicocinétiques de la substance, les comorbidités de la victime, les traitements déjà entrepris (ventilation, antidotes, vasopresseurs, décontamination digestive…) sont les facteurs qui doivent rigoureusement être pris en compte.

Examens complémentaires

L’électrocardiogramme est obligatoire.
Le bilan biologique est guidé par l’orientation diagnostique. Les troubles électrolytiques sont fréquents, en relation avec le toxique ou ses complications (vomissements, hypotension et insuffisance rénale…).
Le dosage quantitatif des toxiques n’est obligatoire que pour les substances dont la gravité du tableau clinique est corrélée à la concentration sanguine du toxique, ou pour guider une thérapeutique d’épuration.
Les principaux toxiques dont le dosage quantitatif est indiqué pour guider la prise en charge sont :
  • le paracétamol ;
  • le lithium ;
  • l’aspirine ;
  • la digoxine ;
  • l’acide valproïque.

Traitement

Il est global et doit prendre en compte toutes les dimensions :
  • les effets spécifiques de l’intoxication ;
  • l’aggravation des symptômes de l’intoxication ;
  • l’aggravation d’une pathologie préexistante ;
  • la décompensation d’un trouble psychiatrique.

Décontamination : limiter l’absorption du toxique

Lavage gastrique

Après une ingestion de toxique, le lavage gastrique reste controversé. Il est encore utilisé, bien que son efficacité soit débattue. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour juger de son efficacité : la nature du toxique et sa présentation (solubilité, vitesse d’absorption, liquide, forme à libération prolongée), son effet sur la vidange gastrique, la quantité supposée ingérée et le temps écoulé depuis l’ingestion. Il faut garder à l’esprit que, même dans les intoxications massives avec des comprimés ou un toxique solide, le lavage gastrique reste incomplet, y compris s’il est complété par une fibroscopie gastrique. De plus, il n’est pas dénué de complications, de type perforation œsophagienne ou gastrique, hémorragie digestive, pneumopéritoine, pneumothorax, intoxication à l’eau et troubles de la natrémie, hypothermie, œdème pulmonaire, pneumopathie d’inhalation, laryngo­­spasme, tachycardie et troubles du rythme. Le lavage gastrique reste contre-­indiqué dans les situations suivantes :
  • trouble de conscience (sans protection des voies aériennes par une intubation) ;
  • ingestion d’une substance corrosive ou avec un fort risque d’inhalation (hydrocarbures, produits moussants) ;
  • risque d’hémorragie digestive, défaillance hémodynamique ou respiratoire non stabilisée.

Administration de charbon activé

Le charbon activé permet d’adsorber les substances dont le poids moléculaire est compris entre 100 et 1 000 daltons (Da), de limiter l’absorption et la biodisponibilité des substances encore présentes dans le tractus digestif et d’en augmenter l’élimination. Les indications sont rares et réservées aux intoxications dont le risque toxique est avéré et lorsque la dose supposée ingérée est importante, apportant la certitude que le toxique est encore en transit dans le tube digestif. Une dose unique de charbon peut limiter l’absorption d’un toxique carbo-adsorbable, à condition que le charbon soit administré dans l’heure qui suit l’ingestion du toxique. L’adsorption du toxique par le charbon étant saturable, la dose communément recommandée correspond à un ratio de 10 : 1 entre la quantité de charbon administrée et celle du toxique ingéré, soit 25 à 100 g chez l’adulte et 1 g/kg chez l’enfant.
Au cas par cas, dans le cadre d’une discussion argumentée, il est possible de répéter plusieurs fois l’administration de charbon activé pour certains toxiques dont l’absorption est différée dans le temps.
Comme pour le lavage gastrique, l’administration de charbon activé est contre-indiquée si les voies aériennes ne sont pas protégées, en cas de chirurgie récente, d’iléus intestinal et d’absence d’intégrité du tube digestif.

Quand le toxique est absorbé et que l’objectif est de lutter contre la toxicité systémique

Une fois le toxique absorbé, la prise en charge médicale se concentre sur la lutte contre les effets, grâce aux antidotes des toxiques pour lesquels cela est possible.
Les antidotes sont des substances, médicamenteuses ou non, capables :
  • soit de modifier la cinétique du toxique ;
  • soit d’en diminuer les effets au niveau de récepteurs ou de cibles spécifiques.
Leur utilisation améliore le pronostic vital ou fonctionnel de l’intoxication. Connaître les mécanismes d’action des antidotes permet de distinguer la classe des antidotes modifiant la cinétique du toxique (action toxicocinétique) de celle des antidotes modifiant les effets du toxique (action toxico­dynamique).
Parmi les antidotes les plus utilisés, on retiendra :
  • la N-acétylcystéine dans les intoxications au paracétamol ;
  • la naloxone dans les intoxications aux opiacés ;
  • le flumazénil dans les intoxications aux benzodiazépines.

Entité particulière : l’effet stabilisant de membrane (ESM)

Plusieurs toxiques provoquent des troubles cardiovasculaires graves et une surmortalité importante. L’effet stabilisant de membrane résulte d’une inhibition des canaux sodiques rapides, responsables du courant entrant rapide, lors de la phase « 0 » du potentiel d’action (PA).
Les conséquences en sont :
  • une diminution de la vitesse d’ascension du PA ;
  • un allongement de sa durée ;
  • un ralentissement de sa vitesse de propagation ;
  • une prolongation des périodes réfractaires ;
  • donc la diminution de la conduction et de l’automaticité et l’augmentation du seuil d’excitabilité (v. tem 337, partie 1, encadré 2, Rev Prat 2021;71(8):903).
Le traitement de l’ESM nécessite l’admission en réanimation, et sa sévérité impose un monitorage constant. L’administration de bicarbonate de sodium à 8,4 % est recommandée, à raison de 100 à 250 mL en 15 à 20 minutes, sans dépasser la dose maximale de 750 mL. Il faut suppléer l’apport alcalin avec du potassium (entre 1,5 et 3 g de KCl pour 250 mL).

Favoriser l’élimination du toxique

Il est possible de recourir à des techniques d’épuration du toxique.
La diurèse osmotique n’est plus utilisée.
Une autre solution repose sur l’épuration extrarénale, si la réversibilité par un antidote n’est pas possible ou si l’état du patient continue de s’aggraver malgré le traitement bien conduit.
L’hémodialyse, comme les autres techniques, a des indications pour certains toxiques mais pas pour tous. Il faut que le toxique puisse être épuré par ce moyen et il faut connaître ses caractéristiques physicochimiques, notamment :
  • son poids moléculaire (idéalement inférieure à 500 Da) ;
  • le volume de distribution (idéalement inférieure à 1 L/kg) ;
  • le taux de liaison aux protéines plasmatiques (idéalement inférieure à 60 %) ;
  • la clairance endogène (idéalement inférieure à 4 mL/min/kg).

À la sortie du patient

Le lien avec le médecin traitant est essentiel pour le suivi post-intoxi­cation.
Dans le cadre d’intoxications accidentelles, surtout chez les enfants, il est nécessaire d’éduquer les parents sur le risque d’accidents domestiques et de mettre en place des mesures de prévention des expositions des enfants aux médicaments.
Si l’intoxication est volontaire, dans un but suicidaire, un avis psychiatrique avant la sortie de l’hôpital est indiqué.