Chantal, 61 ans, tabagique, a traité elle-même des douleurs oropharyngées par AINS durant 5 jours. Ses symptômes s’aggravant, elle consulte pour une dysphagie avec limitation de l’ouverture buccale dans un contexte fébrile à 39 °C.

À l’examen : trismus, œdème inflammatoire cervico-facial droit et limitation de la mobilité cervicale. Pas de porte d’entrée infectieuse cutanée ou dentaire.

Au plan biologique : syndrome inflammatoire avec hyperleucocytose (19,5 G/L) à polynucléaires neutrophiles (16,9 G/L), la CRP est à 215 mg/L.

Scanner cervico-facial avec injection : infiltration sous-cutanée cervico-faciale droite diffuse, associée à un abcès de 6 x 6 cm allant de l’espace parapharyngé droit à la fosse infratemporale, occupant la région parotidienne. Thrombophlébite jugulaire interne et externe homolatérale (figure).

Le drainage chirurgical est réalisé en urgence sous anesthésie générale. En probabiliste : ceftriaxone, métronidazole et gentamicine. Anticoagulation à dose curative par énoxaparine.

Les prélèvements retrouvent un Escherichia coli multisensible qu’on traite par amoxicilline et acide clavulanique. Lavages pluriquotidiens par irrigation de sérum physiologique durant toute la durée de l’hospitalisation (11 jours). L’évolution est favorable. Pas de récidive ni de complication ultérieure.

Discussion

Le rôle des AINS dans la survenue d’infections graves, notamment la cellulite cervico-faciale, est toujours débattu. L’Ansm recommande d’être attentif à toute manifestation évocatrice, car les AINS sont susceptibles de masquer les premiers signes d’une infection aggravant ainsi le pronostic de certaines (ORL, dentaires, pneumopathies...). En cas de varicelle, leur prise s’accompagne d’un risque majoré de cellulite sévère.
En 2016, la Société française d’ORL et de chirurgie cervico-faciale limite leur prescription aux infections ORL banales non compliquées pour une durée de 72 heures au maximum. Les AINS doivent être suspendus en cas de tableau atypique.
Leur utilisation dans les infections ORL ou non ORL sévères est déconseillée. Deux études récentes ont évalué l’association entre prescription d’AINS pour une pharyngite et survenue de phlegmon amygdalien. Dans la première, multicentrique (13 CHU), comparant 120 cas de phlegmons péri-amygdaliens à 143 témoins, la prise d’AINS était significativement associée à la survenue de cette complication (OR = 3,5 ; p = 0,01).2 Le tabagisme était aussi un facteur de risque (OR = 2,0 ; p = 0,03). Dans la seconde, 48 phlegmons péri-amygdaliens ont été rapportés pour 105 802 pharyngites. En analyse multivariée, le risque de phlegmon était associé positivement à une prescription d’AINS (RC = 2,9 ; IC à 95 % = 1,6-5,2).3 Dans les infections ORL même banales, il semble pertinent de privilégier un antalgique de palier I comme le paracétamol, éventuellement associé à un palier II.

Références
1. Mikaeloff Y, Kezouh A, Suissa S. Nonsteroidal anti-inflammatory drug use and the risk of severe skin and soft tissue complications in patients with varicella or zoster disease. Br J Clin Pharmacol 2008;65:203-9.

2. Lepelletier D, Pinaud V, Le Conte P, et al.; French PTA Study Group. Is there an association between prior anti-inflammatory drug exposure and occurrence of peritonsillar abscess? A national multicenter prospective observational case-control study. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2017;36:57-63.

3. Piroulas C, Devillers L, Souty C, Sicsic J, Boisnault P, François M. Non-steroids anti-inflammatory drugs and risk of peritonsillar abscess in pharyngitis: a French longitudinal study in primary care. Fam Pract 2018 Nov 12 10.1093/fampra/cmy111. [Epub ahead of print].

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