Une patiente de 76 ans est vue à domicile pour fatigue intense de début brutal depuis quarante-huit heures.
On compte parmi ses antécédents notables : une hypertension artérielle (HTA) nécessitant une trithérapie (candésartan 16 mg/j, lercanidipine 20 mg/j, bisoprolol 1,25 mg/j), une fibrillation atriale paroxystique sous anticoagulants (dabigatran), une insuffisance rénale chronique modérée (débit de filtration glomérulaire [DFG] à 35 mL/min/1,73m2) et un cancer du sein gauche hormonodépendant en rémission depuis 2020 (traité par chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie, puis hormonothérapie, toujours en cours).
La patiente a jusqu’à présent un excellent état général : elle vit seule en parfaite autonomie et a une activité physique régulière.
À l’interrogatoire, aucun facteur n’est identifié comme étant à l’origine de l’asthénie : bonne observance des traitements, notamment des antihypertenseurs, absence de diarrhée, de saignement extériorisé ou de signe infectieux récent.
L’examen clinique révèle une hypotension marquée à 80/40 mmHg, à plusieurs reprises, symétrique aux deux bras. Les bruits du cœur sont réguliers, sans souffle, à 78 batt/min. Le bilan biologique ne décèle rien : absence d’anémie, de syndrome inflammatoire, d’aggravation de la fonction rénale ; la troponine est négative et le taux de peptide natriurétique de type B (BNP) normal.
La suspension de son traitement antihypertenseur a permis un retour à des valeurs tensionnelles normales. Une récidive de l’HTA a amené à la reprise de ses traitements habituels.
La patiente est victime d’un épisode similaire quinze jours plus tard. Elle réalise alors que l’événement déclencheur est l’administration d’un collyre alpha-2-adrénergique (apraclonidine 1 %) prescrit après un traitement au laser de l’œil.
L’arrêt immédiat du collyre a permis le retour à des valeurs tensionnelles normales.
Le diagnostic d’iatrogénie a été posé grâce à la récurrence de l’épisode d’asthénie.
Malgré un interrogatoire poussé pour rechercher un facteur déclenchant récent, la patiente n’a pas mentionné l’administration du collyre, tant ce traitement par voie locale lui paraissait inoffensif et sans risque de déclencher des signes généraux.
L’apraclonidine est un collyre alpha-2-adrénergique utilisé ici pour prévenir l’élévation de la pression intra-oculaire après une intervention au laser sur le segment antérieur de l’œil. Il peut aussi être prescrit en seconde intention dans le glaucome chronique. Bien que son passage systémique soit faible, la possibilité d’hypotension est clairement mentionnée dans les précautions d’emploi, et la vigilance est recommandée en cas de traitement antihypertenseur.1
Une déclaration de pharmacovigilance a été faite.
Interroger le patient est d’une importance capitale, en particulier en matière de prise médicamenteuse. De même, le rapport bénéfices-risques de tout nouveau traitement, même par voie locale, doit être soigneusement évalué.
1. Vital Durand D, Le Jeunne C. DOROSZ Guide pratique des médicaments 2022. 41e édition. Paris: Maloine, 2021.
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