Pourquoi la cardio-oncologie ?
La cardio-oncologie est une nouvelle thématique interdisciplinaire, à développement rapide, ayant pour objectif la prise en charge des patients cancéreux avec les meilleurs traitements, en prévenant et en limitant au minimum les dégâts cardiovasculaires.
La cardio-oncologie (ou oncocardiologie) est née dans les années 1970 d’observations de patients développant une insuffisance cardiaque après avoir été traités par des anthracyclines.1 Le terme apparaît en 1996. Son développement s’est accéléré depuis le début des années 2000 avec la création d’unités cliniques dédiées, la première par D. Cardinale à Milan en 2009 et, en France, à Marseille en 2013. À l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, une thématique du département hospitalo-universitaire créé en 2012 était la cardio-oncologie. De façon parallèle, la naissance en 2009 d’une société savante internationale, d’un journal spécialisé, de sessions dédiées dans les congrès de cardiologie et d’oncologie, de réunions scientifiques spécifiques et l’explosion des publications traduisent la réalité et l’importance croissante de la problématique.
Qu’est-ce qui justifie cette approche ?
Les maladies cardiovasculaires sont plus fréquentes et plus graves chez les patients atteints de cancer que dans la population générale, et ces patients, de plus en plus nombreux, ne sont pas pris en charge de façon optimale, en l’absence d’organisation adaptée et de recherche dédiée.2-4
Le cancer et les maladies cardiovasculaires partagent des facteurs de risque communs et se disputent la première place de la morbi-mortalité. L’incidence des cancers progresse, et les progrès thérapeutiques améliorent leur pronostic. Toutefois, les bénéfices de ces traitements sont entachés par des effets indésirables cardiovasculaires fréquents, touchant le plus souvent le muscle cardiaque après chimiothérapie, mais pouvant affecter tous les composants du cœur et des vaisseaux, en particulier les artères coronaires après une radiothérapie thoracique.
On estime qu’un tiers des patients cancéreux seront atteints d’une pathologie cardiovasculaire, en sachant qu’en France près de 400 000 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chaque année et que l’on dénombre environ 3 000 000 de sujets de plus de 15 ans ayant survécu à un cancer.
La prévalence des maladies cardiovasculaires est plus élevée chez les patients cancéreux que dans la population générale, et cela à tous les stades du cancer : au moment de sa découverte, pendant les traitements et chez les survivants. Cette prévalence augmente avec l’âge du patient et en fonction de l’organe atteint (le plus souvent en cause étant le poumon). De plus, la mortalité cardiovasculaire est plus élevée chez les sujets ayant survécu à un cancer que dans la population générale, en particulier chez les enfants où elle est multipliée par 8.5, 6 Les pathologies cardiovasculaires sont, après les récidives tumorales, la première cause de mortalité chez les survivants et, parfois, en fonction du type de cancer, le risque de mortalité cardiovasculaire peut être supérieur à la mortalité par récidive de cancer.
Aujourd’hui, la surveillance cardiovasculaire de ces nombreux patients est négligée et, quand elle est réalisée, elle est empirique, non standardisée et fragmentée, car il s’agit d’une nouvelle population pour les cardiologues, souvent jeune, complexe, ayant des atteintes multi-organes, de pathogénie différente. Par ailleurs, les cardiologues n’ont pas l’habitude de travailler avec les oncologues et ne disposent pas de recommandations spécifiques pour la prise en charge de ces patients.
La nécessité d’une recherche dédiée
Les maladies cardiovasculaires chez un patient atteint de cancer ne sont pas la simple juxtaposition de ces deux affections chez un même malade, que l’onpourrait prendre en charge de façon efficace avec les recommandations bien définies pour chacunede ces pathologies. Cette intrication des deux maladiesles modifie l’une et l’autre dans leur prise en charge, leur pronostic et leur traitement.
En effet, la pathogénie des désordres cardiovasculaires chez le patient cancéreux est complexe(v. figure). On pensait jusqu’alors que seuls les traitements anticancéreux (chimiothérapie et radiothérapie) étaient responsables, via leur cardiotoxicité, des lésions cardiovasculaires. Or le cancer peut participer lui-même aux dégâts cardiovasculaires ; par exemple, la thrombose veineuse est 4 fois plus fréquente chez les patients cancéreux, dans la mesure où les cellules tumorales activent les voies de coagulation. On sait aussi aujourd’hui que le cancer peut avoir un effet direct sur les cardiomyocytes, entraînant une atrophie musculaire.
Par ailleurs, il existe chez le patient cancéreux, quand préexistent des facteurs de risque et/ou une pathologie cardiovasculaire, un développement accéléré des lésions cardiovasculaires, en particulier de l’athérosclérose.
Ainsi le développement des atteintes cardiovasculaires chez le patient cancéreux est lié à la combinaison de ces trois mécanismes, et ces atteintes peuvent toucher tous les constituants du système cardiovasculaire, de façon variable suivant le traitement anticancéreux employé ou leur association.
Par ailleurs, il n’existe pas de recommandations spécifiques concernant ces malades en l’absence de données prospectives robustes. Il est intéressant de noter que les essais médicamenteux cardiovasculaires ont exclu les patients cancéreux et que, de façon parallèle, les essais de traitement anticancéreux ont exclu les malades atteints de pathologies cardiovasculaires. On dispose donc seulement d’avis d’experts et de consensus proposés par les sociétés savantes, et de nombreuses questions ne sont pas tranchées.2, 7, 8
Enfin, en l’absence de recherche préclinique et pharmacologique spécifique, les effets secondaires cardiovasculaires n’ont été souvent mis en évidence que lors de l’utilisation clinique des nouvelles molécules.
Ainsi, l’insuffisance cardiaque secondaire à l’emploi de la première thérapie ciblée (trastuzumab) dans le traitement du cancer du sein chez les patientes surexprimant le récepteur HER2 n’a été mise en évidence qu’en 1999, lors des premiers essais cliniques. Il est à noter que cette complication a eu une retombée inattendue qui est la découverte d’un possible médicament de l’insuffisance cardiaque (la neuréguline), ligand du récepteur HER2 bloqué par le trastuzumab.
Cet exemple montre les liens pathogéniques étroits entre cancer et maladie cardiovasculaire et les débouchés thérapeutiques possibles dans les deux affections.
De la même façon, les nouveaux médicaments d’immunothérapie (ipilimumab, nivolumab…), qui révolutionnent la prise en charge de certains cancers, ont montré dès les premiers essais de nombreux effets secondaires de type auto-immun touchant le côlon, les glandes endocrines, le foie, le poumon et beaucoup d’autres organes. Le cœur semblait épargné, mais dans les séries récentes des myocardites sont de plus en plus souvent rapportées.9
Toutes ces questions non résolues justifient le développement d’une recherche spécifique. La recherche clinique bénéficiera probablement de l’apport des « big data » qui pourrait aboutir à formuler des hypothèses novatrices non envisagées. Une approche génétique ciblée et/ou globale pourrait mieux identifier les patients cancéreux à haut risque de développer une complication cardiovasculaire.
La recherche préclinique ouvre un champ inépuisable, en particulier les nombreuses thérapies ciblées et immunothérapies en cours de développement devront être analysées sous l’angle de leur cardiotoxicité, en s’aidant si besoin des nouveaux outils (cardiomyocytes dérivés des cellules induites pluripotentes humaines).
Un besoin d’équipes et de structures pluridisciplinaires
L’amélioration de la prise en charge et le développement d’une recherche spécifique nécessitent des équipes et des structures rapprochant cardiologues et oncologues, ayant acquis une expertise interdisciplinaire, qu’ils soient cliniciens ou chercheurs.10Ces équipes doivent proposer des programmes de soins standardisés et clairs pour ces patients de plus en plus nombreux et complexes avec atteinte multisystémique, et permettre un accès à des consultations et des examens complémentaires cardiovasculaires de qualité dans les meilleurs délais pour ne pas retarder le traitement du cancer en minimisant les risques cardiovasculaires.
Michel Desnos
Références
1. Curigliano G, Cardinale D, Dent S, et al. Cardiotoxicity of anticancer treatments: epidemiology, detection and management. CA Cancer J Clin 2016;66:309-25.
2. Zamorano JL, Lancellotti P, Rodriguez Muñoz D, et al. 2016 ESC position paper on cancer treatments and cardiovascular toxicity developed under the auspices of the ESC committee for practice guidelines. Eur Heart J 2016;37:2768-801.
3. Desnos M. Cardio-oncologie : une nouvelle (sur)spécialité. Arch Mal Cœur Vaiss Prat 2016;2016:1-2.
4. Ederhy S, Izzedine H, Massard C, et al. Cardiac side effects of molecular targeted therapies : towards a better dialogue between oncologists and cardiologists. Crit Rev Oncol Hematol 2011;80:369-79.
5. Effinger KC, Mertens AC, Sklar CA, et al. Chronic health conditions in adult survivors of childhood cancer. N Engl J Med 2006;355:1572-82.
6. Haddy N, Diallo S, El-Fayech C et al. Cardiac diseases following childhood cancer treatment: a cohort study. Circulation 2016;133:31-8.
7. Rea D, Ame S, Charbonnier A, et al. Recommandations 2015 du France intergroupe des leucémies myéloïdes chroniques pour la gestion du risque d’évènements cardiovasculaires sous nilotinib au cours de la leucémie myéloïde chronique. Bull Cancer 2016;103:180-9.
8. Plana JC, Galderisi M, Barac A, et al. Expert consensus for multimodality imaging evaluation of adult patients during and after cancer therapy: a report from the American Society of Echocardiography and the European Association of Cardiovascular Imaging. Eur Heart J Cardiovasc Imaging 2014;15:1063-93.
9. Escudier M, Cautella J, Malisen N, et al. Clinical features, management and outcomes of immune chekpoint inhibitor related cardiotoxicity. Circulation 2017;136:2085-7.
10. Lenihan DJ, Hartlage G, DeCara J, et al. Cardio-oncology training: a proposal from the International Cardio Oncology Society and Canadian cardiac oncology network for a new multidisciplinary specialty. J Card Fail 2016;22:465-71.