Inhibiteurs du contrôle immunitaire : changement de paradigme
Pourquoi publier en 2021 un dossier sur l’immunothérapie des cancers par les inhibiteurs du contrôle immunitaire (immune checkpoint inhibitors, ou ICI) ? Parce que nous sommes à la croisée des chemins entre une percée décisive ces dix dernières années et des progrès encore plus importants dans les dix ans à venir.
L’immunothérapie anticancéreuse a en effet fait des progrès essentiels au cours des dix dernières années. Suspectée dès le XIXe siècle, longtemps mise en doute en raison de ses échecs, elle a bénéficié d’une meilleure connaissance du système immunitaire et d’avancées technologiques en utilisant deux approches complémentaires : d’une part, attaquer directement la tumeur par des anticorps monoclonaux (comme par exemple les anti-CD20 dans les lymphomes CD20+), parfois bi- ou tri-spécifiques, ou par des lymphocytes T cytotoxiques dirigés contre les cellules à détruire (CAR T-cells anti-CD19, anti-CD38…) ; d’autre part, en restaurant l’immunosurveillance en bloquant les récepteurs inhibiteurs du contrôle de la réponse immunitaire par des anticorps monoclonaux dirigés contre ces récepteurs. Cette révolution conceptuelle est due aux travaux de James Allison et Tasuku Honjo, récompensés en 2018 par l’attribution du prix Nobel de médecine. La réponse immunitaire déclenchée spécifiquement par la reconnaissance d’un antigène est contrôlée à la fois par des récepteurs activateurs (CD28, 4-1BB, ICOS…) et des récepteurs inhibiteurs (CTLA4, PD-1). Leur hypothèse était que le micro-environnement tumoral activait préférentiellement les récepteurs inhibiteurs et empêchait la réponse antitumorale. Le blocage de ces récepteurs inhibiteurs par des anticorps monoclonaux anti-CTLA4 et/ou anti-PD-1 a permis de restaurer l’immunité tumorale dans certains cancers, comme le mélanome, le cancer du poumon, les cancers de la sphère oto-rhino-laryngée, les cancers de la vessie, exemples faisant l’objet de ce dossier, en sachant qu’il existe d’autres indications (cancers du rein, tumeurs de Meckel, lymphomes hodgkiniens…).
Aussi, la surveillance immunitaire des cancers, qui est longtemps restée une hypothèse, est actuellement une réalité. On considère, en cas de processus cancéreux, qu’il existe trois phases, les trois E : élimination des cellules cancéreuses par le système immunitaire ; équilibre entre cellules cancéreuses et système immunitaire ; échappement, correspondant à la phase clinique.
L’immunothérapie par blocage des ICI est un changement de paradigme. Pour la première fois, le traitement ne s’attaque pas directement à la tumeur. Ainsi il ne s’oppose pas mais, au contraire, il peut s’associer aux autres traitements dirigés contre le cancer. Pour la première fois aussi, une réponse clinique complète durable et prolongée (plusieurs années) a pu être observée avec les ICI chez des patients a priori incurables, ce qui est une révolution dans le traitement des cancers sans espoir de guérison, avec une optique curative. Cette réponse positive avec les ICI n’est pas observée dans tous les cancers, et, parmi les cancers « sensibles », elle n’est observée pour l’instant que chez une minorité de patients, en particulier ceux dont les cellules tumorales expriment à leur surface les ligands de PD-1 (c’est-à-dire PD-L1 et PD-L2).
Il est important d’identifier d’autres biomarqueurs et de caractériser les facteurs de résistance de façon à optimiser l’utilisation de ces traitements coûteux. Revers de la médaille : les effets indésirables sont fréquents mais le plus souvent sensibles à une interruption temporaire des traitements ou à un traitement médicamenteux, en particulier par corticoïdes. En effet, ces effets ne sont pas dus à une toxicité directe des médicaments (comme la chimiothérapie) mais à une réponse inflammatoire exagérée et/ou auto-immune, effets liés à une libération de la réponse immunitaire.
Si cette révolution conceptuelle de blocage des récepteurs inhibiteurs des lymphocytes T par les ICI a permis une avancée majeure, tout porte à croire que dans les 10 années à venir la place de l’immunothérapie ne fera que croître, car de nouvelles perspectives permettent d’envisager de vaincre les résistances aux ICI : augmenter l’immunogénicité de la tumeur, certaines tumeurs étant peu ou pas antigéniques ; induire une réponse immunitaire spécifique par des vaccins, en particulier en utilisant des ARN messagers d’antigènes tumoraux ; bloquer d’autres récepteurs inhibiteurs que ceux des lymphocytes T, comme les récepteurs inhibiteurs présents à la surface des cellules de l’immunité innée (cellules NK, cellules dendritiques) ou des lymphocytes B ; cibler les lymphocytes T effecteurs de la réponse cytotoxique plutôt que les lymphocytes T régulateurs ; analyser l’impact du microbiote… Tous ces éléments qui font l’objet de travaux prometteurs devraient permettre de mieux traiter dans l’avenir les patients cancéreux actuellement résistants aux inhibiteurs de contrôle immunitaire.