Vous êtes de garde aux urgences et recevez M. J., 57 ans, qui consulte car il a des selles blanches et des urines foncées depuis soixante-douze heures. Il décrit également une douleur épigastrique fluctuante irradiant dans le dos depuis deux mois et vous signale qu’il a perdu 5 kg.

Ses constantes sont les suivantes : fréquence cardiaque = 93 battements par minute ; saturation en oxygène = 97 % en air ambiant ; pression artérielle = 100/85 mmHg ; température = 38 °C. Il pèse 85 kg pour 1,78 m.

Cliniquement, il a un ictère avec douleurs à la palpation de l’épigastre. Le reste de l’examen clinique est sans particularité.

Il ne prend aucun traitement, fume 5 cigarettes par jour depuis ses 15 ans, boit de l’alcool de façon occasionnelle.
Question 1 - Devant ce tableau clinique, vous évoquez comme diagnostic (une ou plusieurs réponses exactes) :
M. J. a un ictère associé à des douleurs épigastriques irradiant dans le dos et une altération de l’état général. Les diagnostics possibles ici sont :
– un cholangiocarcinome, cancer des voies biliaires, typiquement révélé par un ictère, des douleurs et une altération de l’état général ;
– un cancer du pancréas qui peut donner le même tableau que le cholangiocarcinome ;
– une angiocholite sur la triade douleur, fièvre et ictère. La cause de l’angiocholite peut être une tumeur du pancréas, un cholangiocarcinome de la voie biliaire principale, un calcul de la voie biliaire principale et tout autre obstacle à l’écoulement de la bile.
La cholécystite est une inflammation de la vésicule biliaire, elle n’entraîne pas d’ictère car il n’y a pas d’obstacle à l’écoulement de la bile. On l’évoque classiquement en cas de fièvre et de douleurs à l’hypochondre droit.
L’hépatite aiguë est également peu probable en raison de la douleur épigastrique qui évoque plutôt une étiologie biliaire ou pancréatique. L’altération de l’état général et la perte de poids depuis deux mois vont également à l’encontre de ce diagnostic.
Question 2 - Afin d’établir votre diagnostic, vous demandez comme examen complémentaire (une ou plusieurs réponses exactes) :
Elle fait partie des examens de première intention lors d’un ictère pour étudier les voies biliaires et vérifier si elles sont dilatées. Ici, en raison de l’altération de l’état général et des douleurs, on aurait pu aussi réaliser un scanner abdomino-pelvien en première intention.
L’hépatite aiguë n’est pas le premier diagnostic à évoquer ici. Pour mémoire, l’hépatite A est un virus à ARN de transmission féco-orale. Le risque endémique en France est faible.
L’ACE est un marqueur des adénocarcinomes. Il n’est jamais utilisé à visée diagnostique en gastro-entérologie, on l’utilise pour le suivi.
L’IRM des voies biliaires n’est pas un examen de première intention. On peut l’utiliser en cas d’ictère à bilirubine conjuguée et de cause non retrouvée à l’échographie abdominale.
L’endoscopie digestive haute n’est pas un examen recommandé pour l’exploration d’un ictère.
Vous récupérez les résultats de la biologie que vous aviez prescrite à l’arrivée de M. J. : hémoglobine = 11,6 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 79 fL ; leucocytes = 16 G/L avec polynucléaires neutrophiles à 14 G/L ; plaquettes = 545 G/L ; créatininémie = 90 µmol/L ; natrémie = 137 mmol/L ; kaliémie = 3,6 mmol/L ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 80 UI/L ; alanine aminotransférase (ALAT) = 90 UI/L ; gamma GT = 600 UI/L, phosphatases alcalines = 590 UI/L ; bilirubine totale = 290 µmol/L ; bilirubine conjuguée = 279 µmol/L ; taux de prothrombine (TP) = 54 % ; facteur V = 98 % ; protéine C réactive (CRP) = 150 mg/L.
Question 3 - En analysant la biologie, vous pouvez dire que (une ou plusieurs réponses exactes) :
La carence en folates est responsable d’une anémie macrocytaire (volume globulaire moyen [VGM] > 80 fL).
M. J. a une anémie microcytaire car son VGM est inférieur à 80 fL. Les deux étiologies principales sont l’inflammation et la carence martiale. Ici la CRP est augmentée donc l’origine inflammatoire est probable mais il peut aussi exister une carence martiale, surtout dans le contexte de la perte de poids et de l’altération de l’état général. 
L’hypothyroïdie, la carence en folates et en B12 sont des causes d’anémie macrocytaire.
L’ictère de M. J. est à bilirubine conjuguée, il n’est donc pas dû à une hémolyse qui entraîne un ictère à bilirubine libre.
L’insuffisance hépatique est caractérisée par une altération des fonctions du foie, avec notamment un défaut de synthèse des facteurs de coagulation et un ictère. Ici le TP est bas mais le facteur V est normal, il s’agit donc d’un trouble de l’hémostase lié à une carence en vitamine K. Les facteurs 10, 9, 7 et 2 dépendent de la vitamine K pour leur synthèse. C’est l’ictère qui entraîne une malabsorption de la carence en vitamine K. En cas d’insuffisance hépatique, le TP et le facteur V auraient été bas.
Le radiologue a d’abord fait une échographie abdomino-pelvienne, qu’il a complétée par un scanner abdomino-pelvien dont voici quelques coupes.
Figure 1 (Élisabeth Capelle, La Revue du Praticien)
Question 4 - En regardant le scanner, vous pouvez dire que (une ou plusieurs réponses exactes) :
Le scanner est injecté au temps portal car l’aorte est rehaussée mais de façon moins intense que l’os. Lorsque l’aorte « brille » autant que l’os, on est au temps artériel.
Ici, on observe une dilatation des voies biliaires et une dilatation du canal pancréatique causées par une masse de la tête pancréatique. Il n’y a pas d’abcès, qui sont des formes rondes, régulières, avec rehaussement de la paroi.
L’estomac n’est pas dilaté, il est de taille normale.
Figure 2 (Élisabeth Capelle, La Revue du Praticien)
Le radiologue vous appelle pour vous indiquer que M. J. a une dilatation des voies biliaires intra- et extra-hépatiques associée à une dilatation du canal pancréatique principal dont la cause est une volumineuse masse de la tête pancréatique, dont l’aspect est évocateur d’un adénocarcinome pancréatique. L’infirmière vous appelle : elle a repris sa température car il frissonnait, qui est montée à 38,7 °C.
Question 5 - Concernant la suite de la prise en charge (une ou plusieurs réponses exactes) :
M. J. est en angiocholite sur sa masse de la tête du pancréas. Il faut donc drainer les voies biliaires en urgence.
Pour drainer on peut :
– mettre un drain biliaire interne-externe en radiologie interventionnelle. Ici, ce n’est pas une option possible car l’obstacle est situé au niveau de la voie biliaire principale. Les drains radiologiques sont placés en distalité et ne permettent de drainer qu’un seul côté du foie. Ici il y a une dilatation des deux côtés ;
– mettre une prothèse au niveau de la voie biliaire principale pour permettre à la bile de s’écouler par les voies naturelles. Cette prothèse est posée en endoscopie interventionnelle en cholangio-pancréatographie rétrograde. On opacifie les voies biliaires puis on place la prothèse sous contrôle scopique. On pourra dans le même temps réaliser une ponction-biopsie de la masse pancréatique à l’aide d’un écho-endoscope.
La duodéno-pancréatectomie céphalique sera à évoquer si la tumeur pancréatique est opérable. Pour l’instant on n’a pas le bilan d’extension donc on ne sait pas. Et, surtout, on ne la réalise pas en situation aiguë d’angiocholite, il faudra de toute façon drainer les voies biliaires avant.
La chimiothérapie n’est pas indiquée car :
– elle ne permettra pas le drainage des voies biliaires ;
– M. J. est septique sur son angiocholite ;
– nous n’avons pas de preuve histologique que la masse est une tumeur maligne.
L’équipe d’endoscopie interventionnelle a pris en charge M. J. et a réalisé une écho-endoscopie haute avec biopsie de la masse pancréatique puis une cholangio-pancréatographie rétrograde avec pose de prothèse biliaire. Le drainage des voies biliaires en fin de procédure est satisfaisant.
M. J. est ensuite hospitalisé en gastro-entérologie pour la suite de la prise en charge.
Le lendemain du geste, l’infirmière arrive en panique dans le bureau médical car M. J. a fait un malaise.
Ses constantes sont les suivantes : fréquence cardiaque = 110 battements par minute ; pression artérielle = 100/70 mmHg ; saturation en oxygène = 100 % en air ambiant ; température = 37,3 °C. Vous constatez dans le lit des selles noires et nauséabondes.
Question 6 - Que faites-vous (une ou plusieurs réponses exactes) ?
M. J. a un tableau d’hémorragie digestive haute post-pose de prothèse biliaire en cholangio-pancréatographie rétrograde. L’étiologie la plus probable est celle d’une hémorragie post-sphinctérotomie. Pour cathétériser la voie biliaire, il faut au niveau de la papille duodénale (l’entrée des voies biliaires), faire une petite incision qu’on appelle une sphinctérotomie. Cette sphinctérotomie peut se compliquer de saignement. Il faut refaire une endoscopie digestive haute classique pour aller faire une hémostase endoscopique. On introduit également des inhibiteurs de la pompe à protons en intraveineuse à la seringue électrique (IVSE) pour diminuer l’acidité gastrique. La Sandostatine n’est pas indiquée ici car M. J. n’a pas de signe clinique d’hypertension portale. La Sandostatine est un vasodilatateur splanchnique qui est indiqué dans l’hémorragie digestive par rupture de varices œsophagiennes.
En dehors des patients ayant une cirrhose, il n’y a pas d’indication à mettre une antibiothérapie lors d’une hémorragie digestive.
L’équipe d’endoscopie fait une fibroscopie qui retrouve une hémorragie au niveau de la papille duodénale, à l’orifice de la sphinctérotomie faite pour cathétériser la voie biliaire. Après hémostase endoscopique, le saignement se tarit. L’hémoglobine se normalise et le méléna disparaît. La bilirubine de M. J. se normalise progressivement. Il sort d’hospitalisation.
Vous le revoyez en consultation sept jours plus tard pour lui annoncer les résultats des biopsies faites lors de l’écho-endoscopie, qui concluent à un adénocarcinome du pancréas. Il n’a plus d’ictère mais se plaint d’une diarrhée avec des selles grasses, flottantes et malodorantes. Il signale également qu’il boit de grandes quantités d’eau et urine très fréquemment.
Question 7 - Vous demandez pour la suite de la prise en charge (une ou plusieurs réponses exactes) :
Il faut faire le bilan d’extension de cet adénocarcinome du pancréas. Le seul examen indiqué est le scanner thoraco-abdomino-pelvien.
Les deux complications possibles de l’adénocarcinome pancréatique sont l’insuffisance pancréatique exocrine qui est caractérisée par un défaut de synthèse des enzymes pancréatiques. On a alors une maldigestion avec malabsorption des graisses qui se traduit par une diarrhée avec des selles flottantes, mousseuses et malodorantes. Le diagnostic se fait en dosant l’élastase (enzyme pancréatique) dans les selles, qui est abaissée. L’autre complication à garder en tête est l’insuffisance pancréatique endocrine avec le diabète. M. J. a un syndrome polyuro-polydispique, il faut y penser et le rechercher.

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