Vous recevez aux urgences M. H, 64 ans, amené par sa femme devant un tableau de désorientation évoluant depuis 48 heures.

Il s’agit d’un patient suivi pour une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) post-tabagique (dernières explorations fonctionnelles respiratoires [EFR] il y a 6 mois montrant un volume expiratoire maximal par seconde [VEMS] à 52 %), une cardiopathie ischémique stentée (2 stents sur l’interventriculaire antérieure [IVA] il y a deux ans à l’occasion d’un syndrome coronaire aigu [SCA]), avec une dernière fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) mesurée à 45 % il y a 3 mois. Il est également suivi pour un diabète de type 2 et une hypertension artérielle. Son traitement actuel comporte : bisoprololol, simvastatine, aspirine, ramipril, metformine, inhalations de tiotropium.

Il est tabagique actif à 60 paquets-années, et consomme de l’alcool de manière occasionnelle.

Ses constantes sont les suivantes : fréquence cardiaque (FC) = 87/min ; fréquence respiratoire (FR) = 18/min ; saturation en oxygène (SpO2) = 94 % en air ambiant ; pression artérielle (PA) = 134/98 mmHg ; température (T°) = 37,3 °C.

À l’examen clinique, il existe une désorientation temporo-spatiale et le patient décrit voir des oiseaux voler dans sa chambre. Pas de signe d’hypertension intracrânienne (HTIC), pas d’anomalie des paires crâniennes, pas de déficit sensitivomoteur.

Bruits du cœur réguliers sans souffle, pas de signe d’insuffisance cardiaque droite ni gauche.

Murmures vésiculaires assourdis mais bilatéraux et symétriques, sans bruit pathologique surajouté.

Abdomen souple dépressible indolore sans hépatosplénomégalie ni argument pour une insuffisance hépatocellulaire ou une hypertension portale.
Question 1 - Vous prescrivez le bilan complémentaire suivant :
Un trouble métabolique peut expliquer un tableau de confusion.
Le tableau associant ici une désorientation temporo-spatiale et des hallucinations visuelles est évocateur d’une confusion et non d’un trouble psychotique.
Pas d’argument clinique pour une décompensation cardiaque, rarement associée à une confusion, hormis des cas d’hypercapnie principalement.
Pas d’argument pour une comitialité.
En première intention devant un tableau de confusion, il faudra réaliser :
– un examen clinique poussé (argument pour origine neurologique, globe, fécalome, recherche d’infection…) ;
– un bilan biologique à la recherche notamment :
         . d’une hyponatrémie,
         . d’une hypercalcémie,
         . d’anomalies du bilan hépatique ;
– une imagerie cérébrale.
Le scanner cérébral injecté est normal.
Le bilan biologique est le suivant :
– numération formule sanguine (NFS) : hémoglobine (Hb) = 8,7 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 76 fl ; plaquettes (Pl) = 176 000/mm; leucocytes = 3 700/mm3, dont 2 400 polynucléaires neutrophiles (PNN)/mm3 et 1 000 lymphocytes/mm;
– ionogramme sanguin : sodium (Na) = 122 mmol/L ; potassium (K) = 4,1 mmol/L, chlore (Cl) = 97 mmol/L ; bicarbonate = 21 mmol/L ; calcium = 2,26 mmol/L ; créatinine = 47 µmol/L (débit de filtration glomérulaire estimé à partir de la créatinémie par l’équation CKD-EPI [Chronic Kidney Disease EPIdemiology] (DFG : CKD-EPI) =134 ml/min) ;
– bilan hépatique sans particularité : albumine = 29 g/L ; CRP = 45 mg/L ; glycémie = 4,8 mmol/L ;
– ionogramme urinaire : Na = 126 mmol/L, K = 48 mmol/L ; urée = 13 mmol/L. 
Question 2 - Les éléments suivants font partie de votre prise en charge :
Le seul traitement du syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH) en première intention, c’est la restriction hydrique.
Le patient est confus à cause d’une hyponatrémie hypotonique. Il ne faut pas lui apporter d’hydratation hypotonique.
Seuil de 10 g/dL vu l’antécédent de cardiopathie ischémique.
Devant un SIADH (diagnostiqué ici devant hyponatrémie vraie + secteur extracellulaire normal + osmolalité urinaire supérieure à 100 mmol/L), il faut réfléchir à :
– une origine médicamenteuse ;
– des origines :
         . tumorales ou infectieuses,
         . cérébrales et pulmonaires.
Vous avez fait réaliser un scanner thoracique devant ce SIADH chez ce patient tabagique.
Figure 1 (Source : Radiopedia)

Il n’y a aucune autre lésion à distance. Vous suspectez un cancer.
Question 3 - Au vu de l’ensemble du tableau, vous pouvez dire que :
Les adénocarcinomes sont préférentiellement plus distaux, même si ce n’est pas automatique.
On est dans le pic épidémiologique : 60 ans environ, chez les sujets masculins lourdement tabagiques.
Ces deux types tumoraux sont majoritairement associés au tabac.
Les carcinomes épidermoïdes comme les cancers bronchiques à petites cellules sont plutôt proximaux.
Devant une masse proximale aussi volumineuse et unique chez un patient tabagique, difficile de ne pas évoquer un primitif pulmonaire.
Les carcinomes épidermoïdes et carcinomes bronchiques ont tendance à se développer de manière plus proximale que les adénocarcinomes bronchiques. Tous sont liés au tabac, même si l’adénocarcinome est plus fréquent chez les patients faiblement ou non fumeurs.
Question 4 - Vous réalisez les examen(s) suivant(s) :
Dans le cadre du bilan d’extension.
Étant donné la localisation, on proposera préférentiellement une biopsie transbronchique (on voit d’ailleurs que la bronche souche droite est comprimée, on aura aucune difficulté à obtenir une histologie à ce niveau-là).
Elle est à réserver aux cas avec des ganglions médiastinaux, sans autre moyen d’obtenir une anatomopathologie… Quasiment disparue.
Il existe une dénutrition sévère (albumine = 29 g/L) à l’entrée.
Dans les faits, c’est vrai : le cancer du poumon est le seul à nécessiter obligatoirement une imagerie cérébrale, même sans point d’appel. Mais là, on l’avait déjà faite.
Bilan d’extension : 60 % des cancers sont métastatiques au diagnostic :
– imagerie cérébrale ;
– tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdominale ;
– tomographie par émission de positons (TEP) si localisé ;
– biopsie du ganglion médiastinal si cela doit changer la prise en charge ;
La fibroscopie fait partie du bilan d’extension locorégional (et permet souvent d’obtenir l’histologie).
L’état neurologique du patient s’améliore progressivement sous restriction hydrique.
Vous récupérez les éléments d’anatomopathologie suivants : carcinome peu différencié à petites cellules synaptophysine+, chromogranine+, CD57+, CK7- , CK20-, TTF1-, PD-L1 = 85 %.
Le bilan d’extension est encore en attente.
Question 5 - Vous complétez le bilan avec le(s) élément(s) suivant(s) :
À l’heure actuelle, pas d’altération moléculaire ciblable identifiée dans le carcinome bronchique à petites cellules.
Les altérations moléculaires sont à rechercher en cas d’adénocarcinome ou de carcinome épidermoïde du petit fumeur :
– mutation EGFR + BRAF V600E (comme dans le mélanome) ;
– réarrangement ALK, ROS1 ;
– statut PDL1 (réalisé ici, mais non nécessaire).
Pas d’indication à faire de la biologie moléculaire dans les carcinomes bronchiques à petites cellules.
Le bilan d’extension montre la présence de 2 lésions hépatiques, d’une lésion osseuse L3 non menaçante (après imagerie par résonance magnétique [IRM] rachidienne) et une métastase surrénalienne à droite.
Vous venez d’annoncer au malade le diagnostic de carcinome bronchique à petites cellules et vous apprêtez à discuter du dossier en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP).
Question 6 - Vous préconisez la prise en charge thérapeutique suivante :
Pas de chirurgie (sauf symptomatique) en cas de maladie disséminée. Le traitement sera systémique seulement. Par ailleurs, même si localisé, pas de chirurgie dans les cancers bronchiques à petites cellules.
Celle-ci est la base du traitement du cancer bronchique à petites cellules, très chimiosensible. Il y aura classiquement une fonte tumorale rapide puis une récidive entre 6 et 12 mois après l’arrêt du traitement, celle-ci chimiorésistante.
Les ITK ciblant notamment l’EGFR, mais aussi BRAF, ALK, ROS1… sont utilisés dans les adénocarcinomes bronchiques.
Cancers où l’hormonothérapie peut être utilisée à l’ECN : cancer du sein, cancer de prostate.
La RCP valide votre proposition de traitement systémique premier, et vous organisez la chimiothérapie par carboplatine-étoposide, à laquelle vous ajoutez de l’atézolizumab (anti-PD-L1).
Question 7 - Ce régime thérapeutique associe :
L’étoposide est un inhibiteur de topoisomérase de type II non intercalant (à la différence des inhibiteurs de topoisomérase de type II intercalants que sont les anthracyclines).
Les anticorps anti-PD(L)1 et anti-CTLA-4 sont les deux immunothérapies à connaître. Il s’agit d’anticorps monoclonaux, comme en témoigne le suffixe -mab (monoclonal antibody).
Petit rappel sur les chimiothérapies
 
Alkylants (formation de ponts interbrins) :
– dérivés de la moutarde azotée (cyclophosphamide, melphalan)
– sels de platine (cisplatine, carboplatine, oxaliplatine)
– autre (mitomycine C)
Antimétabolites (inhibent la synthèse des bases nucléotidiques ou agissent en s'incorporant dans l’ADN) :
– antipurines (fludarabine, 6-mercaptopurine)
– antiacides foliniques (méthotrexate, pemetrexed)
– antipyrimidines (5-FU, gemcitabine)
Inhibiteurs de topoisomérase :
– inhibiteurs de topoisomérase I (irinotécan)
– inhibiteurs de topoisomérase II : 
         . intercalants (anthracyclines)
         . non intercalants (étoposide)
Poisons du fuseau :
– alcaloïdes de la pervenche (vincristine, vinblastine)
– taxanes (paclitaxel, docétaxel)
– autre : bléomycine (radiomimétique)

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