Vous recevez en consultation, au mois d’avril 2022, Mme N., 65 ans, qui vous est adressée en consultation pour une altération de l’état général. Elle est originaire du Sénégal, parle mal le français, travaille gare du Nord comme agent de nettoyage. Elle ne fume pas. Elle n’a pas d’antécédent. Elle est veuve, sans enfants, sa famille est « au pays », elle vit seule en région parisienne. Elle fait de longs trajets pour se rendre au travail très tôt le matin.

Elle se plaint depuis plusieurs mois de douleurs articulaires et musculaires, avec perte de 20 kg. Elle rapporte également une toux sèche depuis le mois de janvier, avec dyspnée d’effort. Les douleurs prédominent aux mains, pieds, genoux. Depuis quelques années, ses doigts deviennent blancs à l’exposition au froid. Il arrive que les articulations gonflent.

À l’auscultation pulmonaire, vous entendez des crépitants velcro aux deux bases. Vous constatez des synovites des 2e, 3e 4e métacarpo-phalangiennes à gauche et des 4e et 5e métacarpo-phalangiennes à droite. Le squeeze test est positif aux mains et aux pieds. Les masses musculaires sont douloureuses à la palpation, vous constatez un déficit des psoas à 4/5. L’examen cutané est normal.
Question 1 - Quel(s) examen(s) complémentaire(s) demandez-vous ?
Il s’agit manifestement d’une maladie générale associant polyarthrite, atteinte pulmonaire, atteinte musculaire, phénomène de Raynaud.
L’ensemble oriente vers une connectivite du spectre des antisynthétases en première intention.
L’altération de l’état général et la perte de poids doivent faire rechercher un cancer (tomodensitométrie-scanner thoraco-abdominopelvien [TDM-TAP] en première intention en l’absence de point d’appel clinique).
Vous revoyez la patiente une semaine plus tard avec une biologie qui est la suivante : créatine phosphokinase (CPK) = 4 176 U/L ; protéine C réactive (CRP) =13 mg/L ; albumine = 28 g/L ; ionogramme normal ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 119 U/L ; alanine aminotransférase (ALAT) = 99 U/L ; phosphatases alcalines (PAL) = 77 U/L ; gamma-glutamyl transférase (GGT) = 12 U/L ; bilirubine totale = 7 mg/L ; lactate déshydrogénase (LDH) = 724 U/L ; créatinine = 60 µmol/L ; facteurs antinucléaires (FAN) = 1/80 ; anti-ADN négatifs ; anticorps anti-SSA > 240 U/mL ; anticorps anti-Jo-1 = 131 U/mL ; facteur rhumatoïde positif ; anticorps anti-CCP positifs ; anti-neutrophil cytoplasm antibodies (ANCA) négatifs.
Sur les acquisitions thoraciques du scanner, présence de plages en verre dépoli à prédominance postéro-basale avec réticulation intralobulaire et bronchectasie par traction.
Les radiographies des mains et des pieds sont normales.
Question 2 - Quel(s) est/sont votre/vos diagnostic(s) ?
L’association d’une rhabdomyolyse avec une atteinte pulmonaire interstitielle et la positivité des anticorps anti-Jo-1 signe un syndrome des antisynthétases.
La patiente a également une authentique polyarthrite rhumatoïde avec des synovites, des anticorps anti-CCP et un facteur rhumatoïde. Il s’agit donc d’une forme de chevauchement entre un syndrome des antisynthétases et une polyarthrite rhumatoïde.
Vous posez le diagnostic de connectivite de chevauchement associant syndrome des antisynthétases et polyarthrite rhumatoïde non destructrice. La patiente est dyspnéique, très altérée, vous décidez d’initier des bolus de méthylprednisolone 1 000 mg IV à J1, J2, J3.
Question 3 - Quelle(s) mesure(s) prenez-vous ?
On ne traite pas le diabète cortico-induit de façon préemptive.
Toujours en cas de corticothérapie sauf dans les maladies granulomateuses.
En prévention de l’anguillulose maligne sous corticoïdes.
Risque accru de troubles ioniques en cas de fortes doses de méthylprednisolone.
Risque accru de troubles du rythme en cas de fortes doses de méthylprednisolone.
En relais des bolus de méthylprednisolone, vous prescrivez une corticothérapie orale à 1 mg/kg/j. Vous hésitez entre un traitement par méthotrexate avec réévaluation ou un traitement par cyclophosphamide d’emblée. Étant donné la sévérité du tableau, la précarité sociale de la patiente, le risque d’inobservance thérapeutique et de perte de vue, vous optez pour 6 perfusions mensuelles de cyclophosphamide, couplées à la poursuite de la corticothérapie orale avec décroissance progressive.
Vous revoyez la patiente à 1 mois, les myalgies ont disparu, les CPK sont normales, la CRP négative. La patiente se sent mieux sur le plan articulaire. Poursuite des perfusions mensuelles d’Endoxan.
Six mois plus tard, la patiente est réhospitalisée pour la dernière injection, pendant vos congés annuels. Vos collègues introduisent un traitement par méthotrexate avec votre accord téléphonique ainsi qu’une prophylaxie par triméthoprime-sulfaméthoxazole.
Un mois plus tard vous recevez la numération formule sanguine (NFS) suivante par fax : hémoglobine (Hb) = 7,2 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 128 fL ; polynucléaires neutrophiles = 0,3 G/L ; plaquettes = 59 G/L ; réticulocytes = 40 G/L ; frottis sanguin normal. Vous appelez la patiente et, malgré la barrière de la langue, elle parvient à vous expliquer qu’elle ressent des frissons.
Vous faites venir la patiente aux urgences. L’examen clinique est sans particularité, l’hémodynamique stable, la température corporelle à 38,7 °C.
Question 4 - Quel(s) examen(s) complémentaire(s) demandez-vous en première intention ?
À la recherche de blastes, de schizocytes.
Uniquement en cas d’échec du myélogramme.
Indispensable, à réaliser rapidement.
Les pathologies spléniques ne retentissement pas sur les leucocytes.
Devant toute pancytopénie, il convient d’effectuer au plus vite un myélogramme afin de confirmer le mécanisme central et d’en identifier la cause. Le myélogramme permettra notamment de faire le diagnostic d’une éventuelle leucémie aiguë en cas d’infiltration par des blastes.
En cas de moelle pauvre ou impossible à aspirer au myélogramme, il conviendra de compléter par une biopsie ostéomédullaire qui donnera des informations sur l’existence ou non d’une myélofibrose.
Les polynucléaires neutrophiles (PNN) sont inférieurs à 0,5 G/L.
Il s’agit donc d’une neutropénie fébrile, situation très à risque d’infection sévère. Les PNN étant absents, la clinique est souvent abâtardie.
Vous prélevez des hémocultures et un examen cytobactériologique des urines.
Question 5 - Quelle est votre attitude thérapeutique ?
Oui, c’est l’attitude à prendre en contexte d’aplasie fébrile. Vous avez plusieurs options (v. question 6).
Non pas en première intention. À envisager en cas de point d’appel cutané, de fièvre prolongée et/ou de suspicion d’infection d’un dispositif vasculaire.
Attitude dangereuse en contexte d’aplasie car la clinique peut être abâtardie par l’absence de PNN.
Indications restreintes au PTI.
Jamais en phase aiguë et en première intention.
Vous voulez introduire une antibiothérapie probabiliste couvrant le Pseudomonas aeruginosa.
Question 6 - Quelle(s) est/sont la/les option(s) dont vous disposez ?
Antibiotiques ciblant le pyo : tazocilline, cépépime, ciprofloxacine, aztréonam, carbapénèmes (sauf l’ertapénème), céphalosporines de nouvelle génération comme ceftazidime-avibactam, ceftolozane-tazobactam, aminosides (amikacine plus que gentamicine).
Le myélogramme montre une moelle pauvre avec blocage de maturation de la lignée granulocytaire, sans infiltration de la moelle par des blastes.
Question 7 - Quel mécanisme(s) évoquez-vous en première intention pour expliquer cette pancytopénie ?
Faux, absence de blastose médullaire.
Le blocage de maturation de la lignée granulocytaire est en faveur d’une neutropénie médicamenteuse.
Le Bactrim et le méthotrexate sont tous deux pourvoyeurs de toxicité médullaire du fait de leur interaction avec le métabolisme des folates (et non pas de la vitamine B12).
Leur coprescription est donc à éviter absolument (même si vous verrez certains services le faire en pratique).

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