Vous êtes de garde aux urgences un matin lorsque les pompiers accompagnent Mme P. après un « malaise » dans un supermarché.

C’est une femme de 54 ans, qui a pour antécédents une appendicectomie, un surpoids, un diabète non insulino-dépendant bien contrôlé sous metformine et glimépiride. Elle n’est pas ménopausée, G3P2 (une fausse couche non explorée, deux grossesses menées à terme s’étant déroulées sans problème), elle porte un dispositif intra-utérin (DIU) au cuivre. Elle est fumeuse, et vous évaluez sa consommation tabagique à environ 17 paquets-années (1/2 paquet de cigarettes depuis l’âge de 20 ans). 

Elle n’a pas d’allergie connue.

C’est sa sœur, qui était avec elle lors du malaise, qui l’accompagne et qui vous raconte : Mme P. a ressenti une soudaine faiblesse alors qu’elle marchait dans les rayons, est tombée au sol et a eu quelques « secousses » des bras mal décrites, qui ont duré quelques secondes. Mme P. a repris conscience après 2 minutes environ. 

Devant vous elle est asthénique, ralentie, confuse, une demi-heure après son malaise. Elle a visiblement une amnésie complète de l’épisode, et ne peut vous raconter que le trajet jusqu’à l’hôpital dans le camion des pompiers.

L’examen neurologique ne retrouve pas de déficit sensitif ni moteur, en dehors de la somnolence elle est consciente et orientée. Les nerfs crâniens sont intègres, les pupilles réactives et symétriques. Il n’y a pas de syndrome méningé. Elle marche lentement, mais sans ataxie. Les réflexes ostéotendineux sont retrouvés bilatéraux et symétriques, le réflexe cutanéo-plantaire est en flexion à gauche, en extension à droite.

L’examen cardiopulmonaire est sans anomalie particulière, l’abdomen est souple et indolore. L’inspection retrouve des ecchymoses sur les membres supérieurs, il y a eu une perte d’urine, et elle s’est visiblement mordu la langue sur le côté droit lors de l’épisode.

Elle est apyrétique et stable hémodynamiquement avec des pressions artérielles, un pouls et une saturation corrects.
Question 1 -  Parmi les informations qui sont à votre disposition, celle(s) orientant vers une crise d’épilepsie plutôt que vers une syncope est/sont :
On décrit en général une morsure latérale dans les convulsions épileptiques (souvent lors de la phase tonique), alors qu’une morsure du bout distal de la langue évoque une syncope (lors de la chute).
Il est désormais acquis que les pertes d’urines peuvent survenir dans les deux troubles, sans orienter vers l’un ou l’autre.
On peut également retrouver des secousses myocloniques dans les syncopes, qui débutent, à la différence de crise d’épilepsie, après la perte de connaissance.
On décrit la syncope comme étant à l’« emporte-pièce », avec une récupération très brève, rarement un état confusionnel.
Un effort à l’origine d’une perte de connaissance oriente au contraire vers une syncope.
Après une perte de connaissance brève, l’interrogatoire est fondamental, il faut toujours s’efforcer de chercher un témoin de l’épisode. Le diagnostic est parfois délicat entre syncope, lipothymie et crise d’épilepsie, et ces quelques éléments de sémiologie peuvent permettre de distinguer les différentes étiologies.
Ici c’est le déficit postcritique prolongé qui est l’élément le plus parlant.
Vous vous orientez donc vers une crise d’épilepsie révolue, isolée. La sœur de Mme M. vous dit qu’elle n’en avait jamais fait.
Question 2 - Vous envisagez comme prise en charge (une ou plusieurs réponses possibles) :
Un scanner cérébral avec et sans injection est systématique devant toute première crise sauf si clinique et électro-encéphalogramme (EEG) caractéristiques d’un syndrome épileptique idiopathique bien défini (épilepsie-absence, paroxysme rolandique, épilepsie juvénile). L’imagerie est faite en urgence si signe de focalisation (crise focale ou à début focal, confusion, fièvre…).
La crise est passée. Les benzodiazépines ne sont utilisées que dans l’état de mal épileptique, qui n’est pas présent ici.
Il doit être envisagé dans les 24-48 h suivant la crise. Un EEG normal n’élimine pas le diagnostic de crise d’épilepsie.
Un traitement au long cours est prescrit à partir de la première crise si un facteur prédisposant à la récidive est retrouvé, et sera maintenu jusqu’à disparition de ce facteur.  
Sans facteur prédisposant retrouvé, un traitement au long cours n’est envisagé qu’à partir de la seconde crise d’épilepsie avérée.
Pour l’instant l’on manque d’éléments pour s’orienter vers une ponction lombaire, d’autant plus qu’une altération de la vigilance altérée prolongée impose une imagerie afin d’écarter une menace d’engagement.
Avant d’avoir accès à l’imagerie et l’EEG, Mme M. reprend une conscience et vigilance correcte, et s’en va contre avis médical devant l’attente et son asthénie persistante. Vous la perdez de vue.
Un soir, deux mois après son passage aux urgences, elle revient après une crise tonico-clonique spontanément résolutive au bout de 3 minutes. Arrivée 10 minutes après la fin de sa crise, alors qu’elle est toujours très confuse, elle recommence à convulser.
Question 3 - Vous proposez comme prise en charge (une ou plusieurs réponses possibles) :
L’état de mal épileptique correspond à une crise durant anormalement longtemps (> 30 min si non convulsive, > 5 min si convulsive) ou plusieurs crises se répétant avec des intervalles trop rapprochés, ne laissant pas le temps de retrouver un état normal entre les accès. On entre dans le deuxième cas de figure, les traitements de première ligne doivent être administrés.
L’intubation ne doit être envisagé qu’après 3 ou 4 lignes de traitements médicamenteux (en dehors d’une détresse respiratoire soutenue).
Le traitement de première ligne, à renouveler une fois après 5 minutes si persistance de la crise, est une benzodiazépine : clonazépam en injection intraveineuse directe ou midazolam en injection intramusculaire.
C’est la première ligne de traitement recommandé dans l’état de mal épileptique.
Cela doit être un réflexe devant tout syndrome neurologique, d’autant plus chez cette patiente diabétique traitée par sulfamides hypoglycémiants à risque d’hypoglycémie.
La prise en charge de l’état de mal épileptique est désormais très codifiée.

 

Figure 1 (Léa Peiger [librement inspiré des recommandations formalisées d’experts de la SRLF et de la SFMU], La Revue du Praticien)
Les convulsions cessent en moins de 10 minutes, après la deuxième injection de clonazépam. La glycémie est à 1,17 g/L. Après une surveillance d’environ 1 h au déchocage des urgences, Mme P. a retrouvé une vigilance complètement normale, et elle accepte cette fois les explorations complémentaires que vous lui proposez.
Le scanner cérébral que vous lui faites passer vous montre entre autres cette image.
Figure 2 (Léa Peiger, La Revue du Praticien)
Question 4 - Concernant cette image, vous pensez que (une ou plusieurs réponses possibles) :
Une lésion annulaire à contour hyperdense peut correspondre entre autres à un abcès cérébral.
Aucun vaisseau hyperdense n’est visible.
Les gliomes de bas grade sont volontiers homogènes et apparaissant hypodenses au scanner non injecté.
La coupe coronale correspond à une coupe où le patient apparaît « de face ». Ici l’image représente une coupe axiale = transverse.
Une lésion annulaire à contour hyperdense peut correspondre entre autres à une métastase cérébrale.
Question 5 - Étant donné la localisation de la lésion, vous vous attendez à retrouver à l’examen clinique (une ou plusieurs réponses possibles) : 
Les lésions pariétales ont une sémiologie sensitive prédominante, à type de paresthésies paroxystiques, d’astéréognosies.
Le syndrome pyramidal découle de l’atteinte de la voie cortico-spinale, support de la commande motrice volontaire, qui prend son origine dans le lobe frontal postérieur, et non dans le lobe pariétal postérieur.
L’aphasie non fluente est due à une atteinte de la région fronto-pariétale ou frontale gauche. La lésion ici est trop postérieure.
Une aphasie de Wernicke (fluente) peut arriver lors de lésion de la partie postérieure du lobe temporal gauche, on pourrait donc ici la retrouver si la lésion s’étend caudalement.
Les voies optiques ont une partie de leurs radiations qui passent par le lobe pariétal. Lors de lésions se trouvant dans cette région, on peut donc retrouver une atteinte de ces radiations, et donc une hémianopsie latérale homonyme, souvent des quadrants inférieurs.
La désinhibition est un des signes du syndrome frontal, lors d’une atteinte du lobe frontal, où se trouve la partie du cerveau gérant les troubles comportementaux entres autres.
 Devant l’aspect pouvant évoquer une métastase, vous faites passer une tomodensitométrie (TDM) thoraco-abdomino-pelvienne injectée à votre patiente. Celui-ci retrouve cette image isolée.
Figure 2 (Léa Peiger, La Revue du Praticien)
Question 6 - L’imagerie renforçant votre hypothèse, vous souhaitez obtenir une histologie. Le geste qui vous semble le plus adapté dans le cas de Mme P. est : 
Les cancers du poumon (et du sein) sont à l’origine de plus de la moitié des métastases cérébrales, loin devant les cancers du rein, de l’appareil digestif et des mélanomes. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale doit systématiquement être réalisée au cours du bilan d’extension initial des cancers bronchiques à petites cellules et est recommandée chez tous les patients avec cancers bronchiques non à petites cellules.
Si un cancer systémique est reconnu, une lésion d’aspect métastatique cérébrale ne nécessite pas obligatoirement de confirmation histologique (en particulier s’il est évolutif et s’il existe d’autres localisations métastatiques). Un geste chirurgical de la boîte crânienne n’étant pas sans risque, le mieux est de l’éviter tant qu’il est possible. 
Ici, l’histologie se porte donc sur la lésion pulmonaire. Le choix de la technique diagnostique dépend de la localisation de la lésion :
– lésion centrale (premier tiers du thorax autour de la carène) : habituellement accessible en fibroscopie bronchique ;
– lésion périphérique (tiers périphérique) : habituellement accessible en ponction transpariétale à l’aiguille scanoguidée. À défaut, par vidéothoracotomie exploratrice ;
– entre les deux : accessible en fibroscopie bronchique, en ponction transpariétale à l’aiguille ou par thoracotomie exploratrice ;
– si adénopathies au contact de la trachée : abord ganglionnaire à l’aiguille sous fibroscopie, écho-endoscopie ou médiastinoscopie.
Une exérèse de métastase peut potentiellement être envisagée ultérieurement à visée curative comme à visée symptomatique dans le cadre d’une prise en charge palliative.
La biopsie retrouve un adénocarcinome pulmonaire. Mme P. est traitée par un protocole de chimiothérapie composé de gemcitabine et cisplatine. Elle est également mise sous lévétiracétam pour prévenir une nouvelle crise convulsive.
Trois mois après le début du traitement, elle revient vous voir avec une plainte de paresthésies dans les mains, parfois douloureuses, depuis deux semaines, sans aggravation. À l’examen neurologique des membres supérieurs vous retrouvez un déficit sensitif, pas de déficit moteur, et des réflexes ostéotendineux symétriques mais diminués. L’examen neurologique des membres inférieurs est sans anomalie. Elle n’a pas refait de crise convulsive.
Question 7 - Les deux étiologies à évoquer en priorité sont :
Une lésion de la faux du cerveau pourrait effectivement donner des signes sensitifs symétriques bilatéraux, mais elles sont rares et on retrouverait alors plutôt un syndrome pyramidal avec des réflexes vifs.
Il est bien sûr envisageable, mais ici ce n’est pas l’étiologie à laquelle on doit penser en priorité.
C’est ici la première cause à évoquer pour plusieurs raisons : c’est un effet secondaire connu du cisplatine, qui peut devenir très handicapant, et qui doit faire envisager un arrêt de ce traitement.
Bien sûr envisageable, mais ce n’est pas la première à évoquer ici (absence de diabète au début du dossier). De plus, la neuropathie diabétique étant longueur-dépendante, elle débute en général par une atteinte des membres inférieurs.
Syndrome néoplasique dû à des anticorps anti-Hu, il est plus courant dans le cancer pulmonaire à petites cellules mais se retrouve dans les autres types de cancer bronchique.
Dans près de 80 % des cas, la neuronopathie précède la découverte du cancer de quelques mois à plusieurs années, il ne faut donc pas le méconnaître.
La neuropathie sensitive s’améliore rarement avec le traitement de la tumeur mais la meilleure chance de stabiliser le syndrome est d’induire une réponse complète contre la tumeur.

 

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