Julia, 2 ans et demi, consulte accompagnée de ses parents aux urgences pédiatriques car, depuis 5 jours, elle a des douleurs abdominales intenses avec diarrhées et 2 vomissements alimentaires ce jour. Il est 18 h 15 à son arrivée.

Examen clinique : température (T°) = 38,2 °C ; fréquence respiratoire (FR) = 40/mn avec auscultation normale ; fréquence cardiaque (FC) = 160/mn ; pression artérielle (PA) = 123/78 ; souffle = 3/6 ; pâleur marquée, quelques pétéchies du dos et de l’abdomen, la nuque est parfaitement souple, pas de syndrome tumoral, asthénique mais se réveille facilement, muqueuses sèches.
Question 1 -  En complétant votre examen minutieusement, vous recherchez des signes cliniques associés aux pétéchies pour orienter votre diagnostic : 
Le purpura du voile du palais est un signe d’atteinte des muqueuses et donc en faveur d’un purpura thrombopénique.
Le purpura thrombopénique associe classiquement : des pétéchies, des ecchymoses, des vibices (stries linéaires, purpuriques et ne s’effaçant donc pas à la vitropression). L’atteinte des muqueuses est classique, les lésions sont non infiltrées, maculeuses, sans prédominance déclive au contraire du purpura vasculaire.
Vous réalisez un bilan en urgence dont les premiers résultats sont les suivants : 
Biologie : Hb = 5 g/dL, plaquettes = 12 000/mm3 ; GB = 14 000/mm3 dont PNN = 3 000/mm3 ; Na = 136 mmol/L ; K = 6 mmol/L ; urée = 16 mmol/L ; créatinine = 347 µmol/L ; CRP = 80 mg/L. 
Électrocardiogramme (ECG) : ondes T pointues à l’ECG sans autre signe de dyskaliémie. 
Radiographie thoracique : normale sans surcharge alvéolaire.
Question 2 - Vos hypothèses diagnostiques actuelles sont :
Le purpura thrombopénique immunologique ne peut être évoqué devant une bicytopénie.
L’association anémie + thrombopénie + insuffisance rénale doit faire évoquer les 4 autres diagnostics. 
Vous reprenez l’anamnèse en détail avec les parents :
– 4 jours de diarrhées fébriles (5 à 6 par jour) avec traces de sang rouges dans les selles ; 
– diminution franche de l’appétit depuis 2 jours ;
– les couches sont régulièrement sèches depuis 48 heures, les urines sont très foncées ; 
– aucun antécédent médical ; 
– pas de voyage dans les 6 derniers mois ; 
– logement salubre construit dans les années 1990.
Question 3 - Concernant l’état d’hydratation de Julia, vous pouvez affirmer que : 
La fièvre, d’origine centrale, est un signe extrêmement tardif de déshydratation, ici elle ne peut être attribuée à la déshydratation intracellulaire.
Cette question est complexe car la situation doit être analysée selon les différents aspects : 
– il existe une perte hydrique et salée extrarénale en lien avec les diarrhées et les vomissements → Donc une déshydratation extracellulaire initiale (la tachycardie est le meilleur signe) ;
– l’enfant ne s’alimente plus depuis quelques jours, l’hypoalbuminémie et l’hypoprotidémie sont causées par cette dénutrition protéique ;
– l’HTA est en lien avec une hypersécrétion de rénine et d’aldostérone et ne doivent pas à tort faire suspecter une surcharge volémique, sinon la radiographie de thorax montrerait un début d’œdème aigu pulmonaire (OAP) ;
– en premier lieu, il faudra donc restaurer une volémie efficace pour cet enfant.
Le laboratoire vous communique le complément du bilan de biologie :
Sang : réticulocytes = 143 000/mm3 ; schizocytes = 8 %, lactate desydrogénase (LDH) = 10 N ; haptoglobine < 0,01 g/L ; bilirubine libre = 50 μmol/L ; acide urique = 500 μmol/L ; protides = 63 g/L ; albumine = 32 g/L ; bicarbonate (HCO3) = 16 mmol/L.
Urine : protéinurie/créatininurie = 150 mg/mmol ; NaU = 50 mmol/L avec Fe (fraction d’excrétion urinaire) ; Na 2 % ; Na/K urinaire = 3.
Question 4 - Le tableau biologique actuel inclut :
La définition du syndrome néphrotique est : albuminémie 30 g/L et protéinurie > 250 mg/mmoL de créatininurie sur échantillon.
Pour le syndrome d’activation macrophagique, en plus de la bicytopénie, on a une neutropénie et on recherche une hyperferritinémie et une hypertriglicéridémie.
Pour parler de CIVD, il faudrait une diminution du temps de prothrombine (TP) et une augmentation des D-dimères.
Figure 1. Tableau comparatif IRA fonctionnelle et organique. Cyrielle Parmentier, La Revue du Praticien

Dans la situation clinique actuelle, une insuffisance rénale fonctionnelle en lien avec les diarrhées et les vomissements a peut-être précédé l’atteinte rénale. Cette atteinte peut dont être en lien avec une nécrose tubulaire aiguë sur la déshydratation et l’atteinte directe avec la microangiopathie thrombotique (MAT). 
Question 5 - Concernant l’hypertension artérielle de Julia, vous pouvez affirmer que : 
Dans ce tableau, l’HTA est la conséquence de la MAT, mais parfois l’HTA sévère peut être la cause d’une MAT.  
Références pour les normes de la TA chez l’enfant selon l’âge et la taille : 
Pediatrics. 2004 Aug;114(2 Suppl 4th Report):555-76.
The fourth report on the diagnosis, evaluation, and treatment of high blood pressure in children and adolescents.
National High Blood Pressure Education Program Working Group on High Blood Pressure in Children and Adolescents. PMID: 15286277.
Question 6 - À ce stade, vous complétez vos examens complémentaires par : 
La cause de l’HTA est clairement la MAT. Le tableau ne fait pas évoquer un excès de catécholamines (neuroblastome ou phéochromocytome).
La bicytopénie est périphérique avec des réticulocytes augmentés. Le myélogramme n’a donc pas sa place en urgence.
Les MAT peuvent donner des pancréatites et des atteintes hépatiques (cytolyse ou cholestase).
Oui pour la recherche du syndrome hémolitique et urémique (SHU) typique.
Oui, l’infection au VIH et la séroconversion sont une cause de MAT.
Question 7 - Votre prise en charge immédiate pour Julia est :
C’est une priorité. Le seuil transfusionnel selon la tolérance est fixé vers 8 g/dL. Ici, l’enfant est pâle, tachycarde et asthénique. De plus, l’anémie entraîne une hypoperfusion rénale et majore le risque de nécrose tubulaire aiguë.
Contre-indiqué car cela favorise la formation de micro-thrombus sauf si saignement objectivé ou geste opératoire prévu et plaquettes < 30 000/mm3.
Cela pourrait aggraver l’IRA et créer une anurie. Le traitement de l’HTA se fera par nicardipine en intraveineuse à la seringue électrique (IVSE) 0,5 à 5 µ/kg/min.
Un traitement de l’hyperkaliémie est nécessaire.
Cela pourrait avoir pour effet de lyser les bactéries type Escherichia coli avec libération secondaire de shigatoxines, et donc une aggravation de la MAT.
La prise en charge initiale est purement symptomatique. 
Question 8 - Vous décideriez de débuter une dialyse en urgence si vous aviez : 
Le seuil de créatinine n’est habituellement pas discriminant pour démarrer une dialyse.
La toxicité urémique dépend de la rapidité d’installation. Le seuil pour démarrer une dialyse est donc variable mais si l’urée dépasse 40 mmol/L la dialyse doit être démarrée.
L’oligurie seule peut être un reflet de la déshydratation et ne constitue pas un critère pour démarrer une dialyse. Ce sont les signes de surcharge et notamment l’OAP qui guident le démarrage de la dialyse.
Question 9 - Votre collègue néphrologue de garde ne souhaite pas faire de biopsie rénale. Il vous explique que :
L’association anémie hémolytique mécanique + thrombopénie + IRA signe la MAT.
En pratique, chez l’adulte, le SHU post-diarrhéique typique est plus rare et une ponction biopsie rénale (PBR) sera réalisée après contrôle de l’HTA et de la thrombopénie. 
La lésion initiale est endothéliale, à l’origine d’une agrégation plaquettaire et de la formation de thrombi fibrino-plaquettaires.
Figure 2. Mécanisme d'action de la vérotoxine sur la cellule endothéliale glomérulaire. Cyrielle Parmentier, La Revue du Praticien


À la biopsie, on retrouverait, en microscopie optique, des lésions touchant les artérioles et/ou les glomérules :
– turgescence des cellules endothéliales ;
– œdème sous-endothélial ;
– thrombi de fibrine et/ou de plaquettes ;
– hyperplasie concentrique des myocytes artériolaires (aspect en « bulbe d’oignon ») ;
– séquelles glomérulaires et artériolaires fibreuses à un stade chronique.
À 20 h 10, l’infirmière vous appelle pour des convulsions généralisées qui durent depuis maintenant 3 minutes.
Question 10 - Vos hypothèses diagnostiques concernant les convulsions sont :
Vrai, mais en pratique extrêmement rare car la MAT est plutôt prothrombotique et rarement prohémorragique.
Les troubles de la kaliémie ne sont habituellement pas pro-convulsivants (au contraire de l’hyper- ou l’hyponatrémie).
L’encéphalopathie urémique peut se voir pour des chiffres d’urée > 25 ou 30 mmol/L.
Le syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) est en lien avec l’HTA sévère.
PRES : le diagnostic est évoqué par l’imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale qui montre, à un stade précoce, des lésions typiquement bilatérales et symétriques des lobes pariéto-occipitaux, sous forme d’hyperintensités en séquences T2 et fluid-attenuated inversion recovery (FLAIR). Ces lésions correspondent à un œdème vasogénique et sont donc généralement réversibles après traitement étiologique et contrôle de la pression artérielle.
Mohebbi Amol A, Mégarban B, Chabriat H. La leuco-encéphalopathie postérieure réversible. Posterior-reversible encephalopathy syndrome. Reanimation 2007;16:490-7.
Les convulsions cèdent sous traitement adapté.
Question 11 - Vous vous questionnez sur les causes possibles de MAT pour Julia. Vous allez rechercher :
 
Figure 3. Microangiopathie thrombotique. Cyrielle Parmentier, La Revue du Praticien

 
Le diagnostic de SHU typique et la recherche de shigatoxine par PCR est finalement positive.
Question 12 - Votre prise en charge médicale dans les jours à venir consiste à :
Voir question 7.
Le support nutritionnel et l’apport de calories font partie intégrante de la prise en charge précoce.
Les antibiotiques bactériostatiques ont montré un intérêt contrairement à ceux bactéricides. 
Voir question 7.
La dialyse péritonéale est tout à fait adaptée si nécessaire, sauf en cas d’atteinte digestive sévère (colite ulcéro-nécrosante ou douleurs intenses). Elle est d’ailleurs utilisée en première intention chez le petit enfant (moins de 10 kg).
Question 13 - Les parents de Julia vous interrogent sur cette pathologie. Vous leur répondez que :
Le poisson cru ne constitue pas un risque, ce sont les viandes bovines qui transmettent la shigatoxine par l’ingestion de viande de bœuf crue, de produits laitiers non pasteurisés ou d’eau souillée.
À l’inverse, l’anurie de plus de 7 jours constitue un facteur de mauvais pronostic.
Finalement, Julia sort d’hospitalisation mais elle garde des séquelles de son SHU avec une insuffisance rénale chronique. Vous la suivez régulièrement en consultation. 
Lors de votre dernière consultation, Julia a maintenant 4 ans, elle mesure 100 cm, pèse 16,3 kg.
Sa dernière créatininémie était à 135 µmol/L, soit un débit de filtration glomérulaire (DFG) calculé d’après la formule de Schwartz 2009 à 36 ml/min.
Question 14 - Lors de vos consultations et de vos bilans successifs vous surveillez les complications possibles :
Habituellement, la synthèse d’EPO diminue à partir d’un seuil de DFG 30 ml/min.
Le risque est l’apparition d’une hyperphosphorémie en lien avec la diminution du débit de filtration glomérulaire.
La carence martiale est plurifactorielle : 
– absorption digestive est diminuée (accumulation de l’hepcidine) ;
– insuffisance d’apport (régime pauvre en viande) ;
– déficit fonctionnel : diminution de la mobilisation des stocks tissulaires.
Les parents vous posent des questions pour l’avenir, ils sont intéressés par la transplantation, notamment préemptive, et aimeraient un don vivant.
Question 15 - Parmi les personnes mentionnées par la famille, vous validez les potentiels donneurs et leurs expliquez la démarche à suivre :
Depuis 2011, toute personne apportant la preuve d’une vie commune ou d’un lien étroit et stable d’au moins deux ans avec le receveur peut aussi être donneur. Toute personne en bonne santé peut ainsi se porter volontaire pour donner un rein à un proche. Un bilan médical complet est alors effectué pour s’assurer de la compatibilité et de l’absence de risque pour le donneur et le receveur, et de l’excellent état de santé du donneur. La loi de bioéthique n’impose aucune limite d’âge maximal pour le donneur mais, toujours selon la loi, seules les personnes majeures et responsables peuvent être prélevées.

 

Exercez-vous aux ECN avec les dossiers progressifs et les LCA de La Revue du Praticien