Le 5 novembre 2021, en début de soirée, vous terminez de voir les entrées dans votre service lorsque vous êtes contacté par le service de chirurgie digestive d’un hôpital privé voisin. Votre correspondant téléphonique, chirurgien digestif, souhaiterait vous transférer une patiente qui aurait un ralentissement psychomoteur, des céphalées et de la fièvre, dans les suites d’un épisode de rectite pour laquelle elle est hospitalisée chez eux depuis une semaine. Vous acceptez le transfert dans votre service. La patiente arrive avec des résultats d’examens biologiques et des CD d’imagerie mais sans CRH. 

Vous vous rendez immédiatement à son chevet pour l’évaluer : la patiente est orientée dans le temps et dans l’espace et s’avère apte à répondre à vos questions malgré un ralentissement psychomoteur indéniable. 

Elle a 52 ans, aucun antécédent personnel ni familial. Elle ne prend aucun traitement habituellement, travaille comme hôtesse d’accueil et ne fume pas. Elle a voyagé à Madagascar il y a 2 ans. 

Elle a développé un tableau de douleur abdominale dans la soirée du 28 au 29 octobre 2021, avec fièvre et diarrhée. Elle a consulté aux urgences de votre hôpital le 29 octobre dans la journée devant le caractère sanglant de la diarrhée. Il a été conclu à une gastro-entérite avec saignements hémorroïdaires et elle est rentrée chez elle avec des antalgiques et antipyrétiques. 

Vous récupérez le compte-rendu de passage aux urgences du 29 octobre : la patiente était apyrétique avec une tension à 192/100 mmHg symétrique, la fréquence cardiaque à 92 bpm, l’absence de signes de choc, l’absence d’anomalie à l’examen cardiorespiratoire. L’abdomen était légèrement douloureux sans défense et le toucher rectal mettait en évidence un volumineux paquet hémorroïdaire avec des traces de sang sur le doigtier. La biologie montrait une hypokaliémie modérée à 3,3 mmol/L, une numération formule sanguine (NFS) normale avec notamment :  hémoglobine (Hb) = 13 g/dL ; plaquettes = 149 G/L ; globules blancs = 10 G/L ; créatinine = 72 µmol/L ; protéine C réactive (CRP) = 10 mg/L.

La patiente vous explique qu’elle a consulté à nouveau le 30 octobre, mais cette fois aux urgences de l’hôpital privé voisin. Elle a été hospitalisée en chirurgie digestive au décours de cette consultation. 

L’évolution a été défavorable au cours de son hospitalisation avec une détérioration de son état général et l’apparition de céphalées, d’où son transfert dans votre service. 

La tension artérielle est de 220/110 mmHg aux deux bras, la fréquence cardiaque à 86 bpm, la saturation en oxygène à 100 % en air ambiant, la température à 37 °C. 

Cliniquement, la patiente est stable hémodynamiquement et eupnéique en air ambiant, avec un léger ralentissement psychomoteur. Elle est orientée dans l’espace et le temps et répond à vos questions de manière adaptée. Elle a des céphalées intenses holocrâniennes avec photo-phonophobie franche mais sans raideur méningée. Les pupilles sont symétriques, elle n'a pas de trouble visuel ou oculomoteur. L’examen neurologique est normal. L’abdomen est souple, douloureux dans son ensemble. Il y a des traces de sang sur la protection. 

Vous jetez un coup d’œil rapide sur le dossier médical de transfert, bien qu’il soit incomplet. 

Vous disposez d’un bilan biologique du jour : Hb = 8,8 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 87 fL ; plaquettes = 42 G/L ; globules blancs = 11 G/L ; polynucléaires neutrophiles (PNN) = 9 G/L ; lymphocytes = 1 G/L ; monocytes = 0,8 G/L ; éosinophiles = 0,1 G/L ; basophiles = 0 G/L ; absence de blastes circulants ; taux de prothrombine (TP) = 100 % ; temps de céphaline activée (TCA) ratio 1 ; sodium = 146 mmol/L ; potassium = 4,1 mmol/L ; chlorure = 110 mmol/L ; bicarbonates = 18 mmol/L ; urée = 4 mmol/L ; créatinine = 173 µmol/L ; protéine C réactive (CRP) = 80 mg/L.

Il y a également un CD de scanner cérébral sans injection effectué le jour même qui est normal. 

Une rectosigmoïdoscopie a été réalisée ce jour, le compte-rendu mentionne un aspect de rectite aspécifique. 
Question 1 - Quelle est votre attitude (une ou plusieurs réponses possibles) ?
Déconseillée car plaquettes 42 G/L, et forte suspicion de microangiopathie thrombotique expliquant l’atteinte neurologique.
Sur ce prélèvement vous allez rechercher des schizocytes en faveur d’une microangiopathie thrombotique.
Votre suspicion clinique la plus probable est une microangiopathie thrombotique. Si ce diagnostic est confirmé au frottis sanguin et que l’évolution est favorable sous traitement, vous n’aurez pas besoin de biopsier le rein.
Vous attendez le frottis sanguin. S’il n’y a pas de schizocytes le myélogramme pourra se discuter.
Comme dit plus haut, vous suspectez une microangiopathie thrombotique en premier lieu, et non pas une méningite ou une encéphalite. Vous avez besoin de confirmer le diagnostic de microangiopathie thrombotique (en cherchant des schizocytes sur le frottis) avant de prendre une décision thérapeutique. La discussion thérapeutique se fera principalement sur l’indication des échanges plasmatiques en cas d’atteinte neurologique, dans l’hypothèse d’un purpura thrombopénique thrombopathique (purpura thrombopénique thrombopathique).
Vous êtes face à un tableau très évocateur de syndrome hémolytique et urémique (syndrome hémolytique et urémique) typique (cette patiente a vraiment existé, et l’interne de radio a fait le diagnostic en premier, rien qu’en entendant l’histoire) :
– bicytopénie (il vous manque les schizocytes pour affirmer la microangiopathie thrombotique) ;
– atteinte digestive ;
– insuffisance rénale aiguë ;
– atteinte neurologique.
Vous n’allez donc pas vous jeter sur la ponction lombaire ni sur les antibiotiques avant d’avoir récupéré les schizocytes. 
Contrairement à une idée communément répandue, l’atteinte neurologique est fréquente au cours du syndrome hémolytique et urémique typique (jusqu’à 50 % des patients). 
Question 2 - Quelle est l’hypothèse diagnostique la plus probable ? 
La seule étiologie parmi celles listées ci-dessus qui puisse rendre compte de l’ensemble du tableau à la fois clinique et biologique est le syndrome de microangiopathie thrombotique.
Pour mémoire, le syndrome de microangiopathie thrombotique est défini biologiquement par une anémie hémolytique mécanique (donc avec schizocytes au frottis) + thrombopénie de consommation.
Les manifestations cliniques et les atteintes d’organe procèdent de thromboses microcirculatoires.
Le syndrome hémolytique et urémique s’accompagne plus volontiers d’une atteinte rénale.
Le purpura thrombopénique thrombopathique s’accompagne plus volontiers d’atteintes neurologiques et d’une thrombopénie très profonde.
Le syndrome d’Evans désigne l’association anémie hémolytique auto-immune + thrombopénie périphérique immunologique. Il s’agit d’un diagnostic d’élimination, après avoir écarté le syndrome de microangiopathie thrombotique.
Le biologiste vous téléphone les résultats du bilan biologique qui a été prélevé à l’arrivée de la patiente : la numération est identique à celle du matin,  le taux de réticulocytes est à 170 G/L, la créatinine stagne à 170 µmol/L. Le frottis sanguin montre de très nombreux schizocytes. La bilirubine libre est augmentée, le dosage de la lactate déshydrogénase (LDH) est à 596 U/L, l’haptoglobine est indosable.
Question 3 - Votre interprétation des résultats est la suivante :
Ce qui est affirmé par la présence de schizocytes.
Voir le commentaire de la question 2.
Une anémie régénérative peut orienter vers une hémorragie, une hémolyse (c’est le cas ici) ou bien la correction récente d’une carence vitaminique ou martiale.
Vous craignez une atteinte spécifique de la microangiopathie thrombotique.
Vous craignez une atteinte spécifique de la microangiopathie thrombotique.
Question 4 - Quel est votre diagnostic ? 
Faux car hémostase normale.
Faux car anémie hémolytique associée.
Le plus probable devant un syndrome de microangiopathie thrombotique survenu après une diarrhée, avec une atteinte rénale au premier plan.
Pas de voyage en zone d’endémie, et syndrome hémolytique et urémique beaucoup plus probable.
Non, il s’agit d’une anémie hémolytique mécanique comme en témoignent les schizocytes.
Devant ce syndrome de microangiopathie thrombotique, vous transférez la patiente en unité de surveillance continue après avoir réalisé une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale qui est normale. Les céphalées ont régressé avec des antalgiques simples. Vous pensez qu’il s’agit plutôt d’un syndrome hémolytique et urémique typique mais la présentation neurologique avec ralentissement et céphalées vous fait tout de même craindre un purpura thrombopénique thrombotique.
Question 5 - Quel(s) examen(s) vous permettront-ils de faire la part des choses entre syndrome hémolytique et urémique typique et purpura thrombotique thrombopénique ?
Il permettra de confirmer ou infirmer l’hypothèse du purpura thrombopénique thrombopathique.
Elle met en évidence des lésions de microangiopathie thrombotique sans permettre de différentier le type de microangiopathie thrombotique.
Elle est contre-indiquée par le chiffre de plaquettes.
Elle permet d’explorer les cas de syndrome hémolytique et urémique atypique pédiatriques liés à des mutations sur la voie alterne du complément). Ici nous avons affaire à un syndrome hémolytique et urémique typique. On recherchera des anomalies du complément uniquement en cas d’évolution défavorable et/ou d’épisodes récurrents.
Elle permet, si elle est positive, de faire le diagnostic de syndrome hémolytique et urémique typique.
Le syndrome hémolytique et urémique typique est lié à une souche entérotoxinogène d’Escherichia coli dont la toxine va traverser la muqueuse digestive et causer des lésions endothéliales, elles-mêmes sources de microangiopathie thrombotique.
Le purpura thrombopénique thrombopathique est lié à un déficit acquis ou inné en ADAMTS-13, la protéine qui est censée cliver le facteur Willebrand et contribuer au contrôle de l’adhésion plaquettaire.
Le syndrome hémolytique et urémique atypique est lié à des mutations constitutives sur des protéines de la voie alterne du complément. 
Vous prenez l’avis des réanimateurs  qui vous confirment que le diagnostic de syndrome hémolytique et urémique typique est beaucoup plus probable que celui de purpura thrombopénique thrombopathique, et qu’il convient de traiter cet épisode comme tel. 
Question 6 - Quelle(s) thérapeutique(s) mettez-vous en place ?
C’est un des traitements du purpura thrombopénique thrombopathique.
C’est un des traitements du purpura thrombopénique thrombopathique.
Oui, cela permet d’éradiquer la souche de bactéries entérotoxinogènes.
C’est un des traitements du purpura thrombopénique thrombopathique.
C’est le traitement de la colite à Clostridium.
La physiopathologie du purpura thrombopénique thrombopathique et celle du syndrome hémolytique et urémique sont différentes, les traitements le sont donc aussi.
Le purpura thrombopénique thrombopathique chez l’adulte est lié à un déficit en ADAMTS-13 secondaire à un anticorps anti-ADAMTS-13. Il faut donc éliminer d’urgence cet anticorps de la circulation sanguine (échanges plasmatiques) et empêcher les plasmocytes de continuer à le produire (corticoïdes et rituximab).
Il y a un nouveau traitement dans le purpura thrombopénique thrombopathique aigu : le caplacizumab, un anticorps qui inhibe l’adhésion des plaquettes au sous-endothélium. Il semblerait que l’utilisation précoce du caplacizumab soit très efficace sur la mortalité aiguë dans le purpura thrombopénique thrombopathique.
Pour le syndrome hémolytique et urémique typique lié à une bactérie, il faut démarrer un traitement antibiotique et mettre en œuvre des mesures symptomatiques, voire de suppléance d’organe, en attendant que l’évolution soit favorable. 
Question 7 - Vous décidez de mettre en place une antibiothérapie sans délai au vu de ce tableau. Quel germe souhaitez-vous cibler ? 
Il y a bien des syndromes hémolytiques et urémiques à pneumocoque mais chez le petit enfant.
L’écrasante majorité des syndromes hémolytiques et urémiques typiques sont liés à la souche O157:H7.
Attention ! l’antibiothérapie initiale doit être bactériostatique et non pas bactéricide, pour éviter un relargage massif de toxines et une aggravation du syndrome. Il est d’usage de privilégier les macropodes type azithromycine.

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