Vous êtes médecin dans un service de médecine interne, nous sommes le 13 janvier 2022.

Vous recevez un appel de l’unité de dialyse d’une clinique de votre secteur qui vous demande de prendre en charge un patient de 66 ans pour une « pathologie de médecine interne ». Le patient est dialysé dans leur centre depuis plusieurs semaines pour une insuffisance rénale aiguë, dont la cause n’est pas claire. Le patient n’avait aucun antécédent.

Vous avez beaucoup de mal à saisir l’histoire clinique du patient, et vous finissez de guerre lasse par accepter le transfert afin de voir le dossier par vous-même.

Quelques heures plus tard, vous voyez arriver une ambulance non médicalisée qui vous dépose le patient avec un compte-rendu de dialyse d’une page peu informatif.

Vous vous rendez au chevet du patient dont le teint est gris. Sa température est à 36,8 °C, sa pression artérielle à 157/109 mmHg, son pouls à 91 bpm et la saturation à 90 % en air ambiant. Le patient garde les yeux fermés spontanément, les ouvre à la stimulation douloureuse, et pousse des geignements entrecoupés de quelques mots inadaptés. Il a une réaction motrice adaptée à la stimulation douloureuse. Sa peau est froide, ses genoux sont marbrés. L’abdomen semble douloureux car sa palpation déclenche des grimaces. Vous entendez des crépitants bilatéraux à l’auscultation, vous observez une turgescence jugulaire.
Question 1 - Quel est/sont votre/vos diagnostic(s) clinique(s) ?
Les signes d’hypoperfusion périphérique (froideur, marbrures, encéphalopathie signant un bas débit cérébral, douleur abdominale signant un bas débit digestif) combinés aux signes d’insuffisance cardiaque globale (crépitants bilatéraux, turgescence jugulaire) font poser le diagnostic clinique d’état de choc cardiogénique.
L’embolie pulmonaire donne plutôt des insuffisances cardiaques droites isolées sans insuffisance cardiaque gauche.
Question 2 - Quelle(s) mesure(s) prenez-vous dans l’immédiat ?
Le patient est cliniquement dans un état de bas débit cardiaque, et a besoin d’être techniqué et stabilisé avant une éventuelle IRM cérébrale. Souvenez-vous que l’IRM est un examen qui dure au moins 20 minutes, voire plus longtemps.
L’échographie sera faite en réanimation par le réanimateur.
Risque d’aggravation de l’insuffisance cardiaque.
Pas d’argument pour une infection.
La première mesure à prendre est d’appeler le réanimateur afin que le patient puisse bénéficier d’une rapide évaluation hémodynamique (échographie transthoracique [ETT] au lit), de mesures immédiates de réanimation avec mise en place d’amines vasopressives si besoin après évaluation échographique au lit du patient, et de la surveillance adéquate. La cause de la défaillance cardiaque doit être recherchée et traitée.
Vous avez contacté le réanimateur qui est occupé et qui vous dit qu’il vous envoie son interne dans 5 minutes pour évaluer le patient. Vous profitez de ces quelques minutes pour récupérer les coordonnées de la famille du patient.
En reprenant le dossier, le patient a été admis dans leur service de médecine polyvalente en décembre 2021 pour une altération de l’état général depuis plusieurs semaines et une fièvre prolongée avec amaigrissement. Il n'avait aucun antécédent, il est d’origine française métropolitaine et ne prend aucun traitement. Il a exercé la profession de comptable et a pris sa retraite en 2017, il vit avec son épouse et les deux sont parfaitement autonomes, pas de voyage ni d’animaux ou d’expositions particulières. Le compte-rendu mentionne un bilan biologique standard avec NFS-ionogramme-urée créatinine CRP strictement normal en octobre 2021.
Le premier bilan réalisé le 6 décembre 2021 montrait : protéine C réactive (CRP) = 150 mg/L ; hémoglobine (Hb) = 11 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 79 fL ; plaquettes = 544 G/L ; leucocytes = 12 G/L ; neutrophiles = 8 G/L ; éosinophiles = 1,2 G/L ; basophiles = 0,01 G/L ; lymphocytes = 3 G/L ; Na = 137 mmol/L ; K = 3,8 mmol/L ; urée = 17 mmol/L ; créatinine = 143 µmol/L ; bicarbonates = 19 mmol/L ; albumine = 22 g/L ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 17 U/L ; alanine aminotransférase (ALAT) = 12 U/L ; phosphatases alcalines (PAL) = 45 U/L ; gamma-glutamyl-transpesptidase (GGT) = 30 U/L. La protéinurie sur échantillon était à 3,2 g/L, la créatininurie sur le même échantillon à 10 mmol/L, présence de sang ++ à la bandelette urinaire. Les hémocultures et l’examen cytobactériologique des urines (ECBU) sont demeurés stériles, la sérologie VIH est négative.
Le compte-rendu du scanner thoraco-abdomino-pelvien injecté du 8 décembre 2021 mentionne la présence de plusieurs nodules pulmonaires solides dont certains excavés.
Question 3 - Quel(s) examen(s) aurai(en)t été pertinent(s) à ce stade ?
Si on résume le tableau : syndrome néphrotique impur + éosinophilie + syndrome inflammatoire + nodules pulmonaires excavés + évolution ultérieure vers une défaillance cardiaque, évoquant probablement une myocardite.
Le plus probable est une vascularite à ANCA type granulomatose avec polyangéite (toutes les atteintes correspondent) ; néanmoins, à ce stade, vous ne pouvez pas éliminer une étiologie néoplasique/paranéoplasique ou infectieuse.
Pour affiner le diagnostic, le bilan auto-immun notamment les ANCA et la biopsie rénale sont indispensables.
Dans l’hypothèse d’une infection, le patient avait reçu plusieurs antibiothérapies probabilistes d’abord par céfotaxime puis par tazocilline au vu de la persistance de la fièvre, sans efficacité clinique, ni documentation bactériologique.
L’évolution s’est faite vers l’aggravation de l’insuffisance rénale avec anurie et nécessité de mise en dialyse sur un cathéter type canaud à partir du 20 décembre 2022.
En parallèle, eut lieu l’apparition d’une élévation de la troponine et d’une dégradation de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG). Le patient a donc été transféré en unité de soins intensifs cardiologiques (USIC) de la même clinique à partir du 25 décembre 2022. Au cours du séjour en USIC, une aggravation des paramètres cardiaques a été constatée, avec évolution vers une défaillance biventriculaire sévère avec bas débit, FEVG à 10 % le 1er janvier 2022, mise en place d’un traitement par dobutamine.
Question 4 - Quelle aurait été la prise en charge recommandée ? Une ou plusieurs réponse(s) possible(s).
Toute insuffisance cardiaque doit faire rechercher une cardiopathie ischémique par la réalisation d’une coronarographie diagnostique ou bien d’un scanner des coronaires (à la discrétion du cardiologue, selon le terrain du patient).
Les indications de la biopsie endomyocardique sont variables, mais elle ne se discute en tout cas qu’après avoir éliminé une étiologie ischémique.
Par ailleurs, la survenue d’une défaillance myocardique sévère rapidement évolutive chez un patient jeune et chez qui la transplantation peut se discuter nécessite le transfert vers un centre au sein duquel l’ECMO est accessible.
La mise sous ECMO pourra se discuter en attente du diagnostic étiologique « bridge-to-diagnosis », soit en attendant la récupération « bridge-to-recovery » soit en attendant une transplantation « bridge-to-transplantation » soit en attendant une autre modalité d’assistance ventriculaire gauche « bridge-to-bridge » en vue d’une transplantation ultérieure (et parfois laissée à long terme).
Le centre hospitalier intercommunal (CHI) de la clinique mentionne la phrase suivante « arrêt de la dobutamine le 3 janvier 2022 faute de personnel formé ».
Vous n’avez ensuite aucune information sur l’évolution entre le 3 janvier 22 et le 13 janvier 2022, date du jour.
Question 5 - Quelle(s) est/sont votre/vos hypothèse(s) diagnostique(s) concernant le tableau clinique de ce patient ?
Peut entraîner des nodules pulmonaires en cas d’endocardite du cœur droit, ainsi que la défaillance circulatoire, par exemple en cas d’abcès de l’anneau, de dysfonctionnement valvulaire. L’endocardite fait partie des causes de syndrome néphrotique.
Rend compte de l’ensemble des atteintes même si le chiffre d’éosinophiles est souvent plus élevé et que l’atteinte rénale est plus rare.
Absence d’atteinte rénale au cours de cette pathologie.
Il peut s’agir d’un cancer avec manifestations paranéoplasiques.
Il s’agit du mécanisme le plus probable de l’atteinte myocardique même si vous ne pouvez pas encore l’affirmer en l’absence de coronarographie et d’IRM cardiaque.
Quelques heures plus tard, le patient a été admis en réanimation, il est sous support vasopresseur par dobutamine et il a bénéficié d’une séance de dialyse. Le laboratoire vous appelle pour vous prévenir que les ANCA sont fortement positifs, avec une fluorescence périnucléaire.
Il est admis en salle de coronarographie dès le lendemain matin, la coronarographie confirme l’absence d’atteinte coronarienne.
Question 6 - Quel est votre diagnostic ?
Ne pas confondre les ANCA et les anticorps antinucléaires.
Associée aux c-ANCA, de fluorescence cytoplasmique.
Les ANCA sont négatifs dans la sarcoïdose et la manifestation est souvent très différente.
Autrement appelée maladie de Wegener.
La syphilis peut certes donner n’importe quel tableau clinique mais la valeur prédictive positive des ANCA est très forte dans les vascularites à ANCA. On retient donc ce diagnostic.
Vous avez posé le diagnostic de vascularite à ANCA type granulomatose avec polyangéite. Il a été décidé de surseoir pour l’instant à la biopsie rénale en l’absence de modification du traitement.
Le patient reçoit une corticothérapie intraveineuse à fortes doses et une première injection de cyclophosphamide à 1 000 mg.
Question 7 - Quelle(s) mesure(s) allez-vous associer à ce traitement ?
Indispensable, et formellement recommandé dans les vascularites à ANCA (effet anti-inflammatoire propre du Bactrim en particulier sur les atteinte ORL).
Indispensable, prévient également le risque de cancer urothélial secondaire.
Aurait pu se discuter chez une jeune femme dans un état général qui le permet, mais, chez l’homme de 64 ans en défaillance multiviscérale, aucun intérêt.
Aucune place de l’autogreffe dans les vascularites à ANCA.
Indiqué chez le splénectomisé mais pas dans le cadre d’un traitement par cyclophosphamide.
Toute cette histoire est vraie point par point. Le patient n’a malheureusement pas survécu à sa défaillance multiviscérale, or la plupart des atteintes auraient pu être prévenues par un diagnostic et une prise en charge plus rapides. Il s’agit donc d’une mort évitable.
Quand on récupère un dossier, il arrive que la prise en charge antérieure soit loin d’être optimale, voire que le diagnostic soit totalement erroné. D’où le caractère primordial de répéter l’interrogatoire et l’examen clinique et de toujours tout remettre en question.
L’autre morale de cette histoire est de ne pas hésiter à demander des avis à des confrères si on est en difficulté sur un diagnostic avant que le patient ne soit mort ou en passe de l’être !

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