Juillet 2017, vous êtes interne aux urgences générales d’un centre hospitalier universitaire (CHU), M. Cordéon, 27 ans, se présente accompagné de ses parents pour des « problèmes d’agitation ».

En effet, durant l’entretien, M. Cordéon a des difficultés à tenir en place, il bouge sur sa chaise, se lève à plusieurs reprises et marche de long en large. Il est vétérinaire et passe actuellement des vacances chez ses parents.

Ses parents rapportent depuis 72 heures une rupture avec l’état antérieur, leur fils n’a pas dormi, il ne mange quasiment pas, mais, en parallèle, il déborde d’énergie. Il a entrepris de repeindre toute la maison, mais, n’arrivant pas à se décider sur la couleur, il a acheté des dizaines de pots de peinture différents. Lorsque que ses parents essaient d’intervenir, il s’emporte et devient verbalement violent. Cette attitude les surprend particulièrement, leur fils étant d’habitude calme et introverti.

Vous vous entretenez maintenant avec lui. Il vous explique avoir beaucoup de projets pour la maison de ses parents, ses idées fusent et il ne comprend pas pourquoi ses parents l’emmènent aux urgences. Il se présente comme « un grand artiste », ce serait « un honneur pour [s]es parents d’avoir son œuvre sur leur façade ». Il envisage par la suite de « repeindre toute la ville pour que celle-ci rayonne à l’international, attirant des touristes du monde entier ».

Il justifie son manque de sommeil par la consommation de plusieurs litres de café par jour. Vous trouvez qu’il est difficile de suivre ses propos, sa pensée n’est pas structurée, il parle très vite et change rapidement de sujet. Vous avez des difficultés à mener l’entretien et vous êtes obligé(e) de lui couper la parole à plusieurs reprises.
Question 1 - Votre analyse sémiologique est la suivante :
La palilalie est un trouble du langage parlé consistant à répéter spontanément et involontairement une ou plusieurs phrases.
La catalepsie est une suspension complète du mouvement volontaire des muscles, et n’est pas décrite ici.
L’alogie est un appauvrissement de la pensée perceptible à travers le discours et le langage, et peut se traduire par des réponses courtes et concrètes aux questions posées et par une réduction quantitative du discours spontané. Ce n’est pas une absence de logique !
Une hyperprosexie est une polarisation attentionnelle exagérée sur un stimulus, non retrouvée ici.
Voir : Verdoux H. Item 346 - Agitation et délire aigus. Rev Prat 2018;68:e243-8.
Les examens cliniques et paracliniques ont éliminé une cause organique. Aucun toxique n’a été retrouvé. Vous décidez une hospitalisation en urgence en psychiatrie. Après avoir exprimé vos inquiétudes au patient, celui-ci refuse l’hospitalisation, ne s’étant « jamais senti aussi bien que ces derniers jours ». Vous êtes alors amené à lui imposer des soins psychiatriques sans son consentement.
Question 2 - Concernant les soins sans consentement possibles pour ce patient :
Les soins sans consentement peuvent être levés à tout moment sur avis d’un psychiatre, sur ordonnance du juge, à la demande de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), pour défaut dans les procédures, ou à la demande d’une tierce personne.
L’OPP ne peut concerner que les mineurs.
Cela prend du temps et ne se fait jamais en urgence. La curatelle ne permet pas d’imposer des soins.
Les parents sont témoins depuis 3 jours de l’état de santé de leur fils. La demande du tiers apporte un témoignage et ne rompt en rien le secret médical.
L’information du patient est une obligation légale.
M. Cordéon est finalement hospitalisé en soins psychiatriques à la demande d’un tiers en urgence (SPDTu) dans le service de psychiatrie général où vous travaillez. Pour affiner votre diagnostic, vous rencontrez ses parents, vous revenez plus longuement sur son parcours de vie et ce qui a conduit à l’hospitalisation.
Leur fils est un enfant discret, studieux, il a toujours eu de très bons résultats scolaires et a sauté le CE1. Il connaît son meilleur ami depuis le collège ; il avait l’habitude de fréquenter quelques copains de l’école vétérinaire mais, depuis qu’il s’est installé dans une nouvelle ville, il a moins de contacts avec eux. Il a entretenu une relation amoureuse avec une jeune femme pendant deux ans à l’université mais, à la suite de leur rupture, M. Cordéon a perdu plusieurs kilos. Il est resté enfermé chez lui, il a raté 3 semaines de cours et a redoublé son année.
Les semaines avant son hospitalisation, leur fils leur avait semblé plus ouvert, plus bavard que d’habitude. Il avait repris confiance en lui et s’était remis au sport. Ses parents avaient initialement attribué ce changement à son nouveau travail.
Question 3 - Concernant vos hypothèses diagnostiques :
La description de la personnalité du patient dans cet entretien est insuffisante pour nous orienter vers un trouble de la personnalité. Il n’y a pas d’altération du fonctionnement social ni une incapacité à s’adapter aux différentes situations de la vie. Le comportement du patient à la suite d’une rupture amoureuse peut être l’expression d’un épisode dépressif (> 2 semaines) mais nécessite approfondissement.
Idem réponse 1.
Un épisode hypomaniaque ne nécessite pas d’hospitalisation. Si la sévérité es telle qu’un séjour à l’hôpital est nécessaire, on parle alors d’un épisode maniaque.
Idem réponse 1.
Vous posez le diagnostic d’un trouble bipolaire de type 1 en phase maniaque.
Question 4 - Sur le plan thérapeutique :
La lamotrigine est indiquée pour les épisodes dépressifs aigus des troubles bipolaires, mais n’est pas indiquée pour un épisode maniaque.
Certains antipsychotiques sont recommandés en première intention lors d’un épisode maniaque : aripiprazole, quétiapine, olanzapine, etc.
Le valproate peut voir sa concentration sanguine diminuée s’il est associé à une prise de millepertuis (phytothérapie accessible sans ordonnance, notamment pour des troubles psychiques : dépression, hyperactivité…  Attention à l’automédication !)
Ce risque n’est présent que chez la femme. Pour une patiente en âge de procréer, ce traitement doit être proposé en dernière intention et associé à une contraception efficace.
L’ajout d’un antidépresseur de type inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) est possible lors d’un épisode dépressif caractérisé chez un patient bipolaire stabilisé sous lithium ou valproate.
Vous décidez d’instaurer du lithium en première intention.
Question 5 - Concernant la mise en place et le suivi d’un traitement au lithium chez l’adulte :
Première lithémie à J5.
La lithémie doit être mesurée à 12 heures de la dernière prise.
Calcémie + électrocardiogramme (ECG) une fois par an.
Effets neurologiques du lithium : tremblements (fréquents), signes extrapyramidaux.
Contrôle de la thyréostimuline (TSH) tous les 6 mois à la recherche d’une hypothyroïdie.
M. Cordéon est stabilisé après plusieurs semaines d’hospitalisation. Il ne vient pas aux consultations de suivi et vous le perdez de vue pendant deux ans. Vous le revoyez en consultation en août 2020. Le patient parle lentement, s’arrête brusquement en milieu de phrase et ne vous regarde pas dans les yeux. L’entretien retrouve une anhédonie, une aboulie et un apragmatisme depuis plus de 1 mois. Il est hypomimique et incurique.
Question 6 - Concernant la conduite à tenir en consultation, sur le plan thérapeutique :
Il faut rechercher un sous-dosage en lithium (inobservance, prise de corticoïde, mannitol, etc.). Si la lithémie est à dose thérapeutique, il est possible d’ajouter un traitement antidépresseur de type inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine (ISRS) pour traiter l’épisode dépressif.
Pas d’arrêt brutal du lithium sans signes d’effets secondaires ou de surdosage grave. De plus, le lithium a un effet curatif de l’épisode dépressif et pourrait tout à fait être conservé, voire augmenté dans cette situation.
Il est nécessaire de s’assurer que le lithium est en dose thérapeutique avant d’introduire un antidépresseur.
Les antipsychotiques de première génération non pas d’indication dans le traitement d’un trouble de l’humeur, à l’inverse des antipsychotiques de deuxième génération.
La voie d’administration orale est la seule galénique possible pour le lithium. La prise sera toujours quotidienne.
M. Cordéon ne vient pas à la consultation suivante, vous n’avez pas pu modifier son traitement (Théralite LP 400 mg, un comprimé le soir). Il est emmené aux urgences générales 15 jours plus tard pour confusion. C’est un de ses collègues qui a prévenu les pompiers, inquiet de ne pas le voir au travail. Ils l’ont découvert somnolent dans son jardin avec plusieurs boîtes de lithium vides dans son salon.
L’examen clinique retrouve des tremblements et des vertiges. L’entretien est infructueux du fait de la somnolence et de difficultés d’articulation. Il a vomi dans la salle d’attente.
Question 7 - Dans cette situation clinique, aux urgences, sur le plan thérapeutique :
Le flumazénil est l’antidote recommandé pour une intoxication aux benzodiazépines. Il n’existe pas d’antidote pour un surdosage en lithium.
La diurèse saline favorise l’élimination rénale du lithium.
Le lithium n’est pas absorbé par le charbon activé. Un lavage gastrique est possible en fonction du délai passé depuis la prise.
Vous êtes face à une intoxication aiguë au lithium, probablement par ingestion médicamenteuse volontaire (IMV). Une IMV provoquera une intoxication plus grave s’il y a une prise chronique de lithium que si l’IMV a été réalisé chez quelqu’un n’étant pas traité par lithium.

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