Vous recevez en consultation Mme M., 20 ans, étudiante en psychologie, pour une diarrhée glairo-sanglante évoluant depuis 1 mois, ayant débuté brutalement, et accompagnée de douleurs abdominales diffuses invalidantes. Elle se plaint d’envies impérieuses d’aller à la selle mais évacue principalement des matières afécales avec des glaires. Elle décrit également une altération de l’état général avec perte d’appétit, elle a d’ailleurs perdu 6 kg ces 4 derniers mois.

Elle n’a pas d’antécédent particulier, son seul traitement est une pilule estroprogestative. Elle fume 1 paquet de cigarettes par semaine. Son dernier voyage remonte à 2 ans en Allemagne, elle n’a par ailleurs jamais quitté l’Europe.

À l’examen, vous constatez un abdomen douloureux dans son ensemble, sans défense ni contracture. Le toucher rectal retrouve des traces de sang mais il n’y a pas de masse ni de sténose. Vous constatez également des taches violacées, indurées, fermes à la palpation sur les faces d’extension des membres inférieurs.

Ses constantes : tension artérielle (TA) : = 110/70 mmHg ; fréquence cardiaque (FC) = 85 bpm ; température (T°) = 36,7 °C, saturation en oxygène (SaO2) = 98 %.
Question 1 - Quel(s) diagnostic(s) évoquez-vous devant ce tableau clinique ?
La maladie cœliaque est à évoquer devant un tableau de diarrhée chronique avec signes de malabsorption digestive (maigreur, anémie, carences vitaminiques, etc.). Ici, ce qui va contre ce diagnostic est la diarrhée sanglante, l’érythème noueux des membres inférieurs et le syndrome rectal, qui n’est pas retrouvé dans la maladie cœliaque.
La maladie de Biermer est une maladie auto-immune responsable d’une gastrite atrophique entraînant une malabsorption de la vitamine B12 et donc une anémie. Elle n’entraîne classiquement pas de diarrhée glairo-sanglante.
Tableau typique : femme jeune avec diarrhée glairo-sanglante évoluant depuis plusieurs semaines. La présence d’un érythème noueux, de douleurs abdominales et d’une perte de poids vient renforcer le diagnostic.
Il faut toujours évoquer la possibilité d’une cause infectieuse devant ce type de tableau.
La tuberculose digestive pourrait donner un tableau clinique similaire, cependant il faut une notion de contage familial ou un antécédent personnel de tuberculose. Il est également précisé dans l’énoncé qu’il n’y a pas de voyage en zone d’endémie. L’absence de fièvre va également contre ce diagnostic.
Question 2 - Afin d’étayer votre diagnostic, quel(s) examen(s) complémentaire(s) allez-vous réaliser chez Mme M. ?
Il faut rechercher une anémie par carence martiale, qui viendra conforter l’hypothèse d’une maladie inflammatoire de l’intestin.
Il faut toujours réfuter la piste infectieuse devant un tableau de diarrhée chronique.
Il faut rechercher des stigmates de dénutrition comme une albuminémie basse.
La calprotectine fécale est un marqueur d’inflammation du système digestif. Si elle est élevée, cela viendra renforcer le diagnostic de maladie inflammatoire de l’intestin.
Toujours doser la TSH lors d’un bilan de diarrhée chronique afin d’éliminer la piste d’une dysthyroïdie.
Bilan de diarrhée chronique :
– numération formule sanguine (NFS) à la recherche d’une anémie carentielle ;
– protéine C réactive (CRP) pour syndrome inflammatoire ;
– ionogramme sanguin avec calcémie, phosphorémie, magnésémie (recherche de troubles hydro-électrolytiques) ;
– bilan martial, vitamine B12 et folates sériques ;
– temps de Quick (éventuelle carence en facteurs de la coagulation vitamine K-dépendants [II, VII, IX et X] par malabsorption de la vitamine K) ;
– électrophorèse des protéines (hypo-albuminémie par exsudation) ;
– TSH (hyperthyroïdie) ;
– coproculture AVEC recherche de toxine à Clostridium difficile et examen parasitologique des selles.
Vous décidez de réaliser une coproculture avec recherche de Clostridium difficile qui revient négative. Sur la prise de sang, vous constatez : Hg = 9,8 g/dL avec un volume globulaire moyen (VGM) à 68 fl/t ; plaquettes = 450 G/L ; leucocytes = 10 G/L, ferritine = 300 mg/L ; fer sérique = 11 mmol/L ; coefficient de saturation de la transferrine = 8 % ; CRP = 120 mg/L ; albumine = 28 g/L, bilan hépatique normal.
Question 3 - Concernant la suite de la prise en charge :
La ferritine est faussement haute ici car la CRP est élevée. Mais le coefficient de saturation de la transferrine est bas ainsi que le taux de fer sérique, ce qui signe une carence martiale. L’autre indice est la présence d’une anémie microcytaire.
La coproculture étant négative, une antibiothérapie n’est pas indiquée ici.
C’est le seul examen qui nous manque pour faire le diagnostic de maladie inflammatoire de l’intestin.
Ici, l’anémie est microcytaire, il n’y a donc pas d’indication à faire un myélogramme (jamais de myélogramme devant une anémie microcytaire à l’ECN). De plus, ici nous avons une cause à l’anémie : la carence martiale.
Pas d’indication. Le coloscanner à l’air ou à l’eau est utilisé uniquement en cas d’échec de la coloscopie (dolichocôlon, mauvaise préparation…) ou en cas de contre-indication à l’anesthésie générale et ne permet pas la réalisation de biopsie.
Vous décidez donc en accord avec Mme M. de faire un bilan endoscopique par iléo-coloscopie avec endoscopie digestive haute.
Figure 1 (Source : Elisabeth Capelle, La Revue du praticien)
Question 4 - D’après ces photos (fig. 1), vous pouvez dire que :
On voit une altération de la muqueuse rectale avec une disparition de la trame vasculaire, contrairement à la photo du côlon sigmoïde où on distingue clairement les vaisseaux.
Des micro-ulcérations rectales (perte de substance) sont visibles.
Le granulome épithéloïde est une lésion histologique qui sera visible en anatomopathologie mais absolument pas lors de la coloscopie.
L’aspect de colite pseudo-membraneuse est typique d’une atteinte à Clostridium difficile et montre un aspect de dépôts blanchâtres arrondis parsemés sur la muqueuse.
C’est l’aspect rouge, sombre et friable de la muqueuse, ce qui est le cas ici au niveau du rectum.
Mme M. a donc une atteinte continue du rectum avec une muqueuse inflammatoire saignant au contact de l’endoscope et de nombreuses ulcérations rectales. Le reste du côlon est sain. Vous n’avez pas constaté de lésions ano-périnéales lors de l’examen proctologique.
Les biopsies mettent en évidence une infiltration lympho-plasmocytaire du chorion avec des distorsions glandulaires et des abcès cryptiques épars. Absence de granulome épithélioïde.
Question 5 - Concernant votre diagnostic chez Mme M. :
Lésion histologique typique de la RCH.
Le granulome épithélioïde signe la maladie de Crohn mais il n’est retrouvé que dans 30 % des cas, sa présence n’est pas nécessaire au diagnostic.
Même si le tabac joue un rôle protecteur dans le développement de la RCH, il faut se rappeler qu’il est ensuite associé à une moins bonne efficacité des traitements.
Contrairement à la maladie de Crohn, il n’y a JAMAIS de lésion ano-périnéale dans une RCH. La présence de fissure ou fistule oriente le diagnostic vers une maladie de Crohn.
La positivité est ASCA est associée à la maladie de Crohn et celle des perinuclear antineutrophil cytoplasmic antibodies (pANCA) à la RCH, même si leur présence n’est pas obligatoire pour faire le diagnostic.
Suite à l’ensemble de ces résultats biologiques, endoscopiques et histologiques, vous posez le diagnostic de rectocolite hémorragique chez Mme M. et initiez un traitement par dérivés 5-aminosalicylés (Pentasa) en relais d’une corticothérapie orale de courte durée. Ses symptômes s’amendent grâce à votre traitement et Mme M. peut reprendre une vie normale.
Six mois plus tard, vous êtes appelé aux urgences de votre hôpital où Mme M. consulte pour une récidive de ses symptômes avec 10 épisodes de selles glairo-sanglantes/jour depuis 72 h et rectorragies importantes.
Ses constantes : TA = 130/85 mmHg ; FC= 110 bpm ; T° = 37,9°C ; SaO2 = 97 %.
Question 6 - Devant ces nouveaux symptômes :
Ce sont les critères de Truelove-Witts qui permettent de faire le diagnostic de colite aiguë grave. Ici, la tachycardie, le nombre de selles par jour et l’abondance des rectorragies permettent de faire le diagnostic.
Le scanner abdomino-pelvien permet de diagnostiquer des abcès abdominaux, d’identifier des signes de perforation colique (présence d’une pneumatose colique) et une colectasie (définie par un diamètre supérieur à 6 cm en tout point du côlon).
L’iléocoloscopie est déconseillée lors d’une colite aiguë grave, la muqueuse colique est extrêmement fragile et friable, le risque de perforation est donc trop important.
À chaque poussée de maladie inflammatoire de l’intestin, il faut TOUJOURS évoquer une étiologie infectieuse et donc faire une coproculture accompagnée d’une recherche de Clostridium difficile.
Les corticoïdes et les thiopurines utilisés dans les MICI favorisent la réactivation du CMV. Lors d’une poussée il faut faire une PCR CMV dans le sang et éventuellement sur les biopsies coliques s’il y en a pour documenter une éventuelle surinfection.
Les critères de Truelove-Witts :
– nombre de selles > 5/ 24 h
ET au moins un des critères suivants :
– FC > 90 bpm ;
– T° > 37,5 °C ;
– CRP > 30 G ;
– Hg < 10 g/dL ;
– albuminémie < 35 g/L.
Le scanner abdomino-pelvien réalisé montre un épaississement diffus de la paroi colique avec hyperhémie des mésos. Le bilan infectieux est négatif. Le diamètre du côlon est < 6 cm et il n’y a pas d’abcès ou de perforation colique.
Vous diagnostiquez une colite aiguë grave chez Mme M. et décidez donc de l’hospitaliser dans votre service.
Question 7 - Concernant votre prise en charge :
Les patients atteints de MICI sont particulièrement susceptibles aux thromboses veineuses, ils doivent donc être anticoagulés en préventif dès qu’ils sont hospitalisés, quel que soit leur âge.
Ici, il n’y a pas d’indication immédiate à une colectomie : il n’y a pas de colectastie (diamètre colique 6 cm), il n’y a pas de perforation ou d’abcès. Cependant, lorsqu’un patient est hospitalisé pour une colite aiguë grave, le chirurgien digestif doit toujours être mis au courant pour discuter à chaque étape de l’intérêt d’une prise en charge chirurgicale, qui ne doit pas être retardée si nécessaire.
Le score de Litchiger permet de suivre l’efficacité du traitement et l’évolution des symptômes (v. fig. 2).
C’est le traitement de la colite aiguë grave.
La patiente doit rester à jeun pendant les premières 48 heures, afin de mettre au repos le système digestif.
Score de Litchiger.
Figure 2 (Source : Elisabeth Capelle, La Revue du praticien)

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