Interne en médecine générale, vous êtes de garde aux urgences pédiatriques le 13 mars lors de votre semestre en service d’hospitalisation de pédopsychiatrie. Vous recevez une patiente de 13 ans et 6 mois nommée Olivia, amenée par ses parents pour « anorexie ».

Olivia vit avec ses deux sœurs de 15 et 17 ans et ses parents fonctionnaires. Elle est au collège en 4e avec de bons résultats scolaires et quelques copines. Elle a pour antécédent somatique une algodystrophie au poignet droit depuis l’âge de 8 ans consécutive à une entorse. 

L’interrogatoire vous apprend qu’elle faisait 64 kg pour 1,62 m le 1er janvier quand elle a décidé de perdre du poids. Elle a entamé un régime avec l’aide de ses parents : pesée quotidienne et diminution des apports avec comptage calorique journalier. Elle est ensuite partie en colonie durant les vacances de février. À son retour, elle pesait 58 kg et se disait écœurée par ce qu’elle mangeait. Elle a continué à diminuer les portions alimentaires, ne mangeait plus le matin et a sélectionné le type de nourriture qu’elle avait « le droit » de manger avec une éviction des aliments trop sucrés. Elle a commencé à manger très lentement voire à recracher sans se faire vomir. Le 3 mars, elle faisait 50 kg puis 48 kg le 10 mars. L’entretien avec Olivia ne retrouve pas de conduites purgatives à type de vomissement, mais elle dit avoir beaucoup bu de tisane « ventre plat » et « digestion facile » jusqu’à en avoir la diarrhée durant le mois de février.

Ses parents, inquiets, lui ont pris un rendez-vous chez une psychologue avec laquelle elle n’aurait pas « accroché » et aurait interrompu le suivi. Ils rapportent des comportements compensatoires à type de musculation dans sa chambre (abdos, squat) et Olivia avoue dormir par terre en sous-vêtements avec la fenêtre ouverte pour avoir froid et « se punir ».

L’enfant rapporte des idées suicidaires fluctuantes sans scénario, généralement après le repas une à deux fois par semaine. Elle n’a jamais fait de tentative de suicide. Elle évoque comme facteur protecteur la peur de faire du mal à sa famille.

Depuis deux jours, Olivia refuse de manger et de boire et reste recluse dans sa chambre.

À l’examen clinique, la patiente est prostrée, mutique, s’est mise en boule dans un coin de la pièce et refuse de bouger. Son poids cette nuit est de 47,3 kg.

La pression artérielle est de 89/58 mmHg, la fréquence cardiaque est de 49 bpm et la température à 36,9 °C. L’auscultation cardiopulmonaire ne révèle aucune anomalie, l’abdomen est souple, dépressible, sans masse palpable. Il y a des bruits hydroaériques mais Olivia explique ne pas être allée à la selle depuis 10 jours. Elle a une xérose cutanée avec des signes de scarifications récentes sur les cuisses, une xérostomie et une douleur à la mobilisation du poignet gauche. Le reste de l’examen clinique est sans particularité.
Question 1 - Vous demandez les examen(s) complémentaire(s) suivant(s) en première intention :
Trouble du rythme, hypokaliémie sévère, QT long.
Recherche d’une hyperthyroïdie associée.
Recherche d’une ostéoporose par carence en vitamine D et hypercatabolisme osseux lié à la carence œstrogénique.
Hypoglycémie.
Évaluation de la dénutrition.
L’électrocardiogramme réalisé ce jour est le suivant :
Figure 1 (Source : Marie-Lou Dessus, La Revue du Praticien)
Question 2 - Dans l’attente des résultats de la prise de sang, quel(s) élément(s) chez Olivia vous amène(nt) à poser une indication d’hospitalisation ?
Pas de vomissements incoercibles, pas de perte de contrôle.
ECG normal, bradycardie 40 bpm chez l’adolescent.
Perte de poids > 20 % en 3 mois ou > 2 kg/semaine.
Pas de risque de passage à l’acte imminent, pas de scénario précis, facteur protecteur présent, pas d’antécédent de tentative de suicide.
La patiente refuse de manger et de boire depuis 2 jours, cette restriction extrême nécessite une réhydratation en urgence (par sonde nasogastrique, intraveineuse [IV] ou autre).
Au total, la patiente a une dénutrition sévère sur anorexie mentale avec éléments dépressifs, bradycardie et insuffisance rénale aiguë. Elle est hospitalisée en pédiatrie générale pour prise en charge nutritionnelle et psychiatrique. Au vu de son refus complet d’alimentation orale, une perfusion IV est posée du 13 au 16 mars pour réhydratation puis une sonde nasogastrique à partir du 16 mars pour débuter l’alimentation entérale et une supplémentation en phosphore et en vitamine. Après une stabilisation de son poids à 47,8 kg, elle est transférée en pédopsychiatrie.
Dans le service, Olivia ne s’alimente toujours pas par la bouche. En entretien, elle a une bradypsychie avec des ruminations et un monoïdéisme en lien avec la nourriture. L’observation clinique retient une bradykinésie, une hypomimie avec une aprosodie. Elle verbalise peu ses émotions et ses ressentis dans une forme d’opposition passive hormis un fort sentiment de dévalorisation. Il n’y a pas de clinophilie ni d’incurie, au contraire elle passe sa journée à marcher dans les couloirs du service et se lave méthodiquement matin et soir, en plus de se laver les mains pendant 3 minutes toutes les heures.
Dans les différents ateliers du service, elle dit ne pas prendre de plaisir et semble avoir des difficultés à maintenir sa concentration. Elle est peu en lien avec les autres enfants et peut se montrer irritable en leur présence.
Les parents ont observé le même comportement chez Olivia depuis début mars avec un repli sur soi et des réveils précoces.
Question 3 - Vous proposez le(s) traitement(s) suivant(s) en première intention :
Trouble attentionnel en lien avec l’épisode dépressif et les ruminations anorexiques, pas d’argument actuellement pour un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Antidépresseur recommandé en première intention chez l’adolescent.
Antipsychotique de première génération, non indiqué dans un épisode dépressif caractérisé.
Pas en première intention si absence de contre-indication pour un traitement médicamenteux.
Antidépresseur imipraminique, non recommandé en première intention et encore moins chez l’adolescent.
Vous traitez l’épisode dépressif caractérisé associé à l’anorexie mentale avec de la fluoxétine après accord des parents.
Après une semaine, l’examen clinique d’Olivia retrouve une résistance légère et constante à la mobilisation passive des membres et un maintien des postures imposées contre la gravité. En entretien, elle reste mutique ou répète la fin de vos phrases. Les infirmiers ont observé un comportement de refus et d’opposition aux suggestions et sollicitations d’autrui, que ce soit avec eux, les autres enfants ou ses parents. Elle peut tout de même avoir des mouvements non dirigés vers un but, répétitifs et fréquents.
Question 4 - Vous posez le(s) diagnostic(s) de :
Syndrome catatonique : négativisme, stéréotypies, écholalie, échopraxie, flexibilité cireuse et catalepsie.
Maintien des postures imposées contre la gravité.
Pas d’élément suffisant notamment au niveau chronologique et du développement d’Olivia.
Reproduction des mouvements d’autrui.
Vous posez le diagnostic d’épisode dépressif sévère avec syndrome catatonique dans un contexte d’anorexie mentale. Les parents d’Olivia vous questionnent sur les possibilités de prise en charge du syndrome catatonique chez leur fille.
Question 5 - Votre prise en charge du syndrome catatonique est la suivante :
Le syndrome catatonique d’Olivia disparaît sous benzodiazépine. L’hospitalisation se poursuit avec l’alimentation par sonde nasogastrique. Après un mois, Olivia recommence à s’alimenter par la bouche et à prendre ses médicaments per os, permettant une diminution progressive de la supplémentation par sonde. Des anxiolytiques sont proposés 30 minutes avant le repas pour faciliter ce moment très anxiogène pour elle. La salle de bains de sa chambre est fermée à clef pour l’empêcher de se faire vomir ou de boire une quantité trop importante d’eau avant la mesure de son poids.
Elle décrit toujours des idées suicidaires « auxquelles elle ne fait pas attention » mais son moral reste très bas en lien avec sa peur de prendre du poids. Elle pèse actuellement 48,7 kg.
Un matin, lors d’un atelier sport en dehors du service, Olivia échappe à la surveillance des soignants et s’enfuit du groupe de patients. Elle est retrouvée sur le parking de l’hôpital par un agent de sécurité. Vous reprenez cette tentative de fugue avec elle en entretien : Olivia vous explique en avoir marre de l’hôpital, vouloir partir d’ici à tout prix car « elle n’a rien à faire ici et que de toute manière elle n’est pas malade ».
Question 6 - Concernant la prise en charge en hospitalisation d’Olivia :
N’existe pas chez les mineurs non émancipés. L’accord des parents pour l’hospitalisation suffit.
N’existe pas chez les mineurs non émancipés. L’accord des parents pour l’hospitalisation suffit. S’ils refusent et qu’il existe un danger imminent pour l’enfant, possibilité d’ordonnance de placement provisoire (OPP).
Pas de notion de maltraitance ou de danger immédiat pour Olivia auprès de ses parents.
Seulement en cas de trouble grave du comportement avec risque important d’auto- ou d’hétéro-agressivité. Pas de prescription initiale de 24 h car nécessite une réévaluation rapide de l’état clinique du patient pour lever la contention et la chambre d’isolement le plus précocement que l’état clinique du patient le permet.
Après deux mois, la sonde nasogastrique d’Olivia a pu être retirée. Le service est à nouveau ouvert et sa salle de bains en libre accès. Elle s’alimente dorénavant quasi quotidiennement et n’a plus besoin de supplémentation. Lors des temps de repas thérapeutique, Olivia se précipite de manger et avale tout son plateau en quelques minutes. Lors des temps de permission à son domicile, ses parents rapportent qu’au contraire elle ne mange quasiment pas lors des repas, ce qui peut devenir une source de tension intrafamiliale. Ils disent retrouver des placards entiers de gâteaux vidés après son passage.
En entretien, Olivia dit ressentir des épisodes de « perte de contrôle » pendant lesquels elle ressent le besoin de se « remplir » de nourriture, quelle qu’elle soit. Elle a déjà essayé de boire un litre de thé d’affilée pour essayer de couper cette envie, sans succès. Elle dit ne pas mettre en œuvre de comportement compensatoire mais se dévalorise énormément après ces « crises » et peut aller jusqu’à se scarifier compulsivement à nouveau. Elle ne s’était plus mutilée depuis le début de l’hospitalisation.
Son poids est de 53,05 kg, l’examen clinique est normal mais le bilan biologique retrouve une hypokaliémie sans retentissement à l’ECG.
Question 7 - Votre/vos hypothèse(s) diagnostique(s) est/sont la/les suivante(s) :
Stratégie de contrôle du poids plus qu’une réelle potomanie.
Pas d’obésité et tout de même des comportements compensateurs probables : Olivia ne mange pas lors des repas chez ses parents et son hypokaliémie peut faire suspecter des vomissements répétés.
Pas d’hypersomnie décrite.
Manque d’arguments ici et surtout pas de diagnostic avant 18 ans.

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