Vous recevez aux urgences M. B., 87 ans, pour des œdèmes des membres inférieurs apparus depuis un mois, avec majoration récente.

Il est retraité, ancien militaire, autonome, et n’a pas d’intoxication alcoolo-tabagique. Il a dans ses antécédents deux accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques, une embolie pulmonaire récente, un diabète de type 2 insulinorequérant, une hypertension artérielle bien équilibrée, une gammapathie monoclonale de signification indéterminée, un carcinome à cellules claires du rein gauche sous surveillance simple. Il rapporte par ailleurs des vertiges invalidants lorsqu’il se lève.

Son traitement comporte :

– protocole insuline lente/rapide ;

– Bipreterax 5 mg/1,25 mg (périndopril/indapamide) ;

– Coumadine 2 mg, 3 cp et demi le soir ; 

– Atorvastatine 40 mg, 1 cp ;

– Ézétimibe 10 mg, 1 cp le soir. 
Question 1 - Pour vous orienter sur l’étiologie de ces œdèmes, vous réalisez en première intention :
Une thrombose veineuse profonde du membre inférieur est généralement unilatérale.
L’insuffisance cardiaque est une étiologie d’œdème des membres inférieurs (OMI) bilatéraux.
Indispensable. La BU peut mettre en évidence une protéinurie abondante ou une hypoprotidémie évoquant la possibilité d’une hypoalbuminémie de syndrome néphrotique.
Au cours de l’insuffisance rénale aiguë sévère oligo-anurique, les œdèmes vont se constituer, parfois majorés par des apports excessifs de sodium et d’eau prescrits dans l’hypothèse d’une insuffisance rénale fonctionnelle.
À la recherche d’une ascite en faveur d’une décompensation œdémato-ascitique de cirrhose.
Devant des œdèmes des membres inférieurs bilatéraux, il faut rechercher :
– une insuffisance cardiaque : turgescence jugulaire, dyspnée d’effort ou de repos, épanchements pleuraux, œdème pulmonaire ;
– une pathologie hépatique : ascite ; intoxication éthylique ; hépatite virale chronique ou aiguë connue ; 
– une insuffisance rénale : élévation de la créatininémie ; affection glomérulaire connue, hypertension artérielle ; protéinurie, hématurie (bandelette urinaire) ;
– une hypoalbuminémie : défaut de synthèse protéique (anorexie ou carence d’apport, malabsorption sévère, insuffisance hépatocellulaire) ; perte de protéines (syndrome néphrotique, entéropathie exsudative, brûlures étendues) ;
– des éléments en faveur d’œdèmes cycliques idiopathiques : il s’agit d’un diagnostic d’élimination. Ils surviennent chez la femme en période d’activité génitale et se caractérisent par une prise de poids rapide en quelques jours ou durant la journée de 1,5 à 2 kg ; ils sont de localisation déclive, et souvent liés au cycle menstruel. Ils sont accompagnés d’une oligurie.
La pression artérielle (PA) est à 102/65 mmHg.
Le bilan biologique est le suivant : hémoglobine (Hb) = 12,1 g/dL ; leucocytes = 9,8 G/L ; polynucléaires neutrophiles (PNN) = 7,6 G/L ; lymphocytes = 1,4 G/L ; plaquettes  = 189 G/L ; créatinine = 208 µmol/L (versus 134 un mois avant) ; urée = 17 mmol/L ; sodium (Na) = 143 mmol/L ; potassium (K) = 4,5 mmol/L ; calcium (Ca) = 2,3 mmol/L ; albumine = 19 g/L. Bilan hépatique normal en dehors de la gamma-glutamyl transférase (GGT) à 2N.
Bilan urinaire : leucocytes – ; hématies + ; protéines +++ ; nitrites –
Créatininurie = 1,5 mmol/L ; protéinurie = 1,2 g/L.
Question 2 - Au vu des constatations cliniques et biologiques :
Le patient a une protéinurie supérieure à 3 g/24 h et une albumine inférieure à 30 g/L.
Il faut calculer le ratio protéinurie sur créatininurie, puis estimer que la créatininurie est d’environ 1 g/j. On trouve donc une protéinurie proche de 7 g/24 h.
La calcémie corrigée est à 2,83 mmol/L.
Le syndrome néphritique associe une hématurie, une protéinurie, une insuffisance rénale et une hypertension artérielle.
Une protéinurie tubulaire est généralement de faible débit ( 1 g/L).
L’excrétion urinaire de créatinine chez un adulte est approximativement de 1 g/j, soit 8,84 mmol. Cette valeur est parfois arrondie à 10 pour l’estimation de la protéinurie des 24 heures pour simplifier le calcul.
Ici : protéinurie/créatininurie = 0,8 g/mmol. On estime la protéinurie à 0,8 x 8,8 = 7 g/g de créatinine, soit l’équivalent de 7 g/24 h.
Vous posez le diagnostic de syndrome néphrotique.
Question 3 - Chez ce patient, au vu des résultats des examens complémentaires dont vous disposez, quelles sont les deux causes les plus vraisemblables de syndrome néphrotique ?
Il n’y a pas d’hématurie et le contexte n’est pas évocateur.
Chez l’adulte, la première cause de syndrome néphrotique est la glomérulonéphrite extra-membraneuse. Elle peut être idiopathique (associée aux anticorps anti-PLA2R ou anti-THSD7A) ou secondaire (principalement : paranéoplasique ou satellite d’un lupus). Bien qu’une GEM soit possible chez ce patient, au vu de l’âge, il est plus probable qu’elle soit secondaire à un cancer.
Il s’agit d’une maladie rare mais le patient a un pic monoclonal et une probable hypotension orthostatique.
La néphropathie diabétique est une cause fréquente de syndrome néphrotique.
La néphropathie hypertensive ne s’accompagne pas de protéinurie abondante.
Question 4 - Pour vous orienter sur l’origine du syndrome néphrotique, vous réalisez :
La BGSA peut orienter vers une amylose et, en cas de positivité, permet de surseoir à la ponction-biopsie rénale (PBR).
L’absence d’une rétinopathie diabétique au fond d’œil rend peu probable une néphropathie diabétique.
La PBR est indiquée mais par voie transjugulaire chez ce patient sous anticoagulants.
Les gammapathies monoclonales peuvent être pourvoyeuses de syndrome néphrotique (amylose ou autre maladie de dépôts, cryoglobuline).
En faveur d’une GEM idiopathique.
Les principales causes de syndrome néphrotique secondaires sont résumées dans le tableau ci-dessous :
La BGSA montre une sialadénite chronique aspécifique, sans dépôt amyloïde. Le fond d’œil est normal.
Vous réalisez une ponction-biopsie rénale par voie transjugulaire au vu de l’anticoagulation curative qui montre :
– amylose rénale de localisation glomérulaire, interstitielle et vasculaire, de type AL ;
– glomérulosclérose diffuse avec 35 % de glomérules en pain à cacheter ;
– retentissement fibreux tubulo-interstitiel diffus estimé à 50 % ;
– néphro-angiosclérose modérée à sévère.
Question 5 - Au vu de ces résultats :
La glomérulosclérose est sans doute la conséquence du diabète.
Il est nécessaire de rechercher une atteinte cardiaque par une échocardiographie transthoracique (ETT) et un électrocardiogramme (ECG) au minimum. En effet, l’atteinte cardiaque est le principal facteur pronostique.
Le myélogramme est nécessaire. La présence d’une amylose ne change pas la démarche diagnostique. Par ailleurs, la situation la plus fréquente est que l’amylose complique une gammapathie monoclonale de signification indéterminée (MGUS) sans myélome.
Ce n’est pas corrélé.
L’amylose ne touche pas le système nerveux central (SNC).
Dans moins de 20 % des cas, l’amylose AL (pour amyloidosis light-chain) est associée à un myélome. Dans la majorité des cas, l’amylose AL complique une gammapathie monoclonale dite « bénigne » (MGUS : monoclonal gammathy of unknown significance). L’amylose AL se caractérise par le dépôt extracellulaire d’un matériel protéique composé de chaînes légères monoclonales (le plus souvent lambda) et d’autres protéines (composant amyloïde P), organisé en feuillets β-plissés formant des fibrilles. Il s’agit le plus souvent d’une maladie multisystémique, pouvant toucher tous les organes à l’exception du cerveau. L’augmentation progressive des dépôts modifie la structure et la fonction des organes atteints, donnant, suivant les cas, une cardiopathie restrictive, un syndrome néphrotique, une atteinte digestive, hépatique, neurologique, articulaire, musculaire ou cutanée.
Source : « Atteintes rénales du myélome et amylose AL », chapitre 16 du référentiel du Collège national des enseignants de néphrologie. 
Le diagnostic d’amylose AL est posé.
Vous décidez de réaliser un myélogramme qui retrouve une moelle de densité cellulaire correcte avec des lignées hématopoïétiques bien représentées et équilibrées sans signes de dysmyélopoïèse. À noter la présence de 11 % de plasmocytes d’aspect dystrophique (éléments de petite taille avec perte de la zone archoplasmique, perte de l’excentricité de noyau, dédifférenciation de la chromatine et rares nucléoles visibles).
Question 6 - Comment complétez-vous le bilan ?
Inutile, le diagnostic de myélome peut être affirmé ici.
Aucune place dans le bilan d’extension du myélome. L’atteinte osseuse est recherchée par radiographie, IRM ou scanner. En revanche, pour information, une scintigraphie osseuse peut être utile en cas de suspicion d’amylose cardiaque (fixation cardiaque en cas d’amylose à transthyrétine, pas de fixation cardiaque pour les amyloses AL).
Le myélome est une maladie plasmocytaire clonale, le suivi se fera sur le pic.
Pas de raison d’avoir des adénopathies ici et surtout, l’injection de produit de contraste est formellement contre-indiquée dans le myélome (risque de précipitation des chaines légères dans les urines), d’autant plus que le patient a déjà une insuffisance rénale aiguë sur chronique.
Elle fait partie des facteurs pronostiques du myélome.
Le cas le plus simple pour faire le diagnostic de myélome est l’association d’une gammapathie monoclonale, d’une plasmocytose médullaire > 10 % (ou moins si les plasmocytes sont très dystrophiques) et de critères CRAB (C = calcium, R = rein, A = anémie, B = bone, os en anglais).
L’électrophorèse des protides plasmatiques retrouve :
– albumine 18 g/L ;
– augmentation des alpha-2-globulines et bêtaglobulines ;
– gammaglobulines à 17 g/L, dont pic estimé à 15 g/L.
Devant le diagnostic d’amylose compliquant un myélome, vous proposez en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) un traitement par bortézomib-thalidomide-dexaméthasone. Le patient reste majoritairement alité, à cause de sensations vertigineuses qui apparaissent au lever et peuvent occasionner des chutes. Il a également des douleurs du rachis qui le réveillent la nuit et l’empêchent de se déplacer.
Question 7 - Concernant la prise en charge, vous proposez :
Les pertes urinaires de facteurs anticoagulants (antithrombine III, protéine S…) et la synthèse accrue des facteurs procoagulants (facteur V, facteur VIII, fibrinogène…) provoquent un état d’hypercoagulabilité. On recommande généralement une anticoagulation curative pour les patients avec une albumine 20 g/L, selon le contexte clinique. Ici le myélome et le traitement par médicaments immunomodulateurs (IMID : thalidomide) sont des facteurs de risque prothrombotiques surajoutés.
Le patient semble décrire une hypotension orthostatique. Tout comme le diabète, l’amylose est pourvoyeuse de dysautonomie, mais en raison du syndrome néphrotique et des œdèmes il faudra limiter les apports hydrosodés chez ce patient déjà en hyperhydratation extracellulaire. En revanche, les diurétiques seront à manier avec précaution car ils augmentent le risque de tubulopathie myélomateuse.
Non indiquée en prévention primaire dans le syndrome néphrotique et le myélome malgré l’hypogammaglobulinémie relative (c’est-à-dire les gammaglobulines hors pic).
Le risque est que les vaccins soient moins efficaces mais ils sont fortement recommandés au vu de l’immunodépression acquise sur hypogammaglobulinémie, en évitant les vaccins vivants.
Pour prévenir les complications osseuses (adapté à la fonction rénale).
Les principales complications du syndrome néphrotique sont : 
– l’insuffisance rénale aiguë (fonctionnelle, nécrose tubulaire aiguë, thrombose des veines rénales) ; 
– les thromboses vasculaires du fait d’une hypercoagulabilité, à prévenir en cas d’hypoalbuminémie profonde ; 
– les complications infectieuses (bactéries encapsulées ++) ;
– les dyslipidémies ;
– l’hypertension artérielle ;
– l’insuffisance respiratoire chronique ;
– la dénutrition ;
– l’augmentation de la fraction libre plasmatique des médicaments liés à l’albumine, donc risque de surdosage.

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