De garde aux urgences générales, vous recevez Mme V., âgée de 56 ans, pour asthénie et dyspnée. Cette patiente sans antécédents, ménopausée, a comme seul facteur de risque cardiovasculaire un tabagisme actif à 50 paquets-années.

L’histoire est celle d’une altération de l’état général évoluant depuis trois mois puisque la patiente vous informe avoir perdu 10 kg. Depuis trois semaines est apparue une dyspnée de majoration progressive, si bien qu’elle ne peut plus tenir allongée.

Les paramètres vitaux à l’arrivée sont les suivants : pression artérielle à 85/45 mmHg (contrôlée à trois reprises) ; fréquence cardiaque à 110/min ; température à 37,8 °C ; saturation à 88 % en air ambiant.

L’examen physique montre une franche turgescence jugulaire avec de discrets œdèmes des membres inférieurs et des marbrures des deux genoux. L’auscultation pulmonaire est normale. Le reste de l’examen physique est sans particularité.
Question 1 - À ce stade, l(es) hypothèse(s) diagnostique(s) la (les) plus pertinente(s) pour expliquer cet état de choc est (sont) :
L’électrocardiogramme (ECG) affinera le diagnostic.
L’échographie cardiaque donnera le diagnostic.
L’auscultation pulmonaire est normale.
L’échographie cardiaque affinera le diagnostic.
L’auscultation pulmonaire est normale.
Le tableau clinique qui vous est dépeint est celui d’un état de choc manifeste, avec des signes droits. Tout état de choc avec des signes droits doit impérativement faire évoquer les étiologies suivantes :
– un infarctus du ventricule droit vu tardivement (l’ECG donnera des informations pertinentes pour affiner le diagnostic) ;
– la tamponnade liquidienne (l’échographie cardiaque donnera le diagnostic) ;
– la tamponnade gazeuse (pneumothorax compressif) : c’est un diagnostic à évoquer systématiquement mais le tableau clinique est bien sûr souvent plus bruyant, dominé par la symptomatologie respiratoire asphyxique. La normalité de l’auscultation pulmonaire ici rend ce diagnostic peu probable ;
– l’embolie pulmonaire grave (l’échographie cardiaque affinera le diagnostic en cas de dilatation des cavités droites.
L’œdème aigu du poumon n’était par définition pas une bonne réponse puisque l’auscultation pulmonaire est strictement normale.
Référence pour la question :
- Source : recommandations ESC 2015 sur la péricardite et les syndromes péricarditiques.

 

L’ECG de la patiente est le suivant :
Question 2 - À propos de cet ECG, on peut dire que :
L’ECG déroule un rythme régulier et sinusal à 110/min. Les QRS sont un peu élargis, autour de 90 ms, avec un aspect positif en V5/V6, ce qui en fait un bloc de branche gauche incomplet (peu de valeur sémiologique). On constate effectivement la présence d’un aspect de S1 et Q3. En revanche, il n’y a pas de sus-décalage du segment ST mais une inversion des ondes T de V4 à V6 ainsi qu’en inféro-latéral.
Il s’agit donc d’un ECG tout à fait aspécifique, qui ne permet ni d’éliminer le diagnostic de tamponnade ni de confirmer le diagnostic d’embolie pulmonaire grave (l’aspect S1Q3 n’est pas spécifique d’embolie pulmonaire). En revanche, l’aspect est peu en faveur d’un infarctus du ventricule droit.
Références pour la question :
- Source : recommandations ESC 2015 sur la péricardite et les syndromes péricarditiques.
- Photo : collection personnelle Dr D. Fard.

 

La radiographie thoracique demandée montre un élargissement important de la silhouette cardio-médiastinale, associée à un émoussement des deux culs-de-sac pleuraux sans décollement pleural notable. Il existe une opacité du lobe supérieur gauche, dont les contours paraissent irréguliers.
Une échographie cardiaque est pratiquée, dont trois coupes vous sont fournies :

Deux extraits de l'échographie cardiaque à visionner : figure 3 et figure 4.
Question 3 - À propos de cette échographie cardiaque, on peut dire que :
Sur ces coupes échographiques, on constate l’existence d’un épanchement péricardique circonférentiel de grande abondance (prenant la forme de la plage hypo-échogène entourant largement le cœur, avec une épaisseur de plus de 30 mm, figure 2). Devant l’abondance de l’épanchement, le cœur décrit un mouvement de balancier dans la poche péricardique, bien visible en coupe quatre cavités (film 1), et c’est ce que l’on appelle le « swinging heart » (pour rappel, le « swinging heart » n’est pas un signe de tamponnade ni de mauvaise tolérance, mais d’abondance de l’épanchement). Le ventricule droit, dont les pressions sont plus faibles que le ventricule gauche, est le premier à être « écrasé » par l’épanchement péricardique. On constate ici qu’il a du mal à se remplir (film 2), ce qui signe un début d’adiastolie et explique les signes droits. Le ventricule droit est plutôt « écrasé », ce qui élimine le diagnostic d’embolie pulmonaire grave qui s’accompagnerait d’un ventricule droit franchement dilaté. On constate enfin que la fonction ventriculaire gauche est visuellement conservée (contraction normale et homogène de toutes les parois).
Références pour la question :
- Source : recommandations ESC 2015 sur la péricardite et les syndromes péricarditiques.
- Photos et films : collection personnelle Dr D. Fard.

 

La patiente est transférée en unité de soins intensifs.
Question 4 - À la lumière des éléments présentés à la question précédente, l(es) élément(s) le(s) plus important(s) des deux premières heures est (sont) :
Vous êtes face à une tamponnade péricardique (état de choc + épanchement péricardique). Le seul traitement ici indiqué est le drainage péricardique en urgence. Le traitement anti-inflammatoire n’a pas sa place en urgence, pas plus que le traitement diurétique qui risquerait de conduire à un désamorçage de la pompe.
L’assistance circulatoire n’est bien entendu pas indiquée (y compris pour traiter l’état de choc) puisque la situation hémodynamique sera stabilisée par le simple drainage de l’épanchement péricardique.
Enfin, la thrombolyse intraveineuse n’a aucune indication puisque nous ne sommes pas face à un tableau d’embolie pulmonaire grave.
Référence pour la question :
- Source : recommandations ESC 2015 sur la péricardite et les syndromes péricarditiques.

 

Vous procédez avec succès au drainage percutané de 1 600 cc de liquide citrin. L’amélioration clinique est rapide.
L’analyse préliminaire en anatomie pathologique montre des cellules suspectes de localisation secondaire d’un adénocarcinome moyennement différencié.
Question 5 - Le bilan étiologique devra comporter, en première intention :
L’examen physique est toujours indiqué dans le cas d’un bilan étiologique de péricardite, et ce d’autant qu’il existe des cellules malignes dans le liquide drainé. Les tumeurs malignes primitives sont rarissimes, et il s’agit donc souvent de localisation secondaire d’un cancer, souvent de proximité (lymphome, poumon, sein, mélanome). L’objectif est ainsi de trouver des arguments pour repérer l’origine de la néoplasie. Cependant, le dosage des marqueurs tumoraux n’est pas recommandé de manière systématique. À noter que les épanchements péricardiques d’origine néoplasique se manifestent souvent par un tableau de tamponnade.
Par ailleurs, nous nous souvenons que la radiographie thoracique initiale faisait mention d’une opacité suspecte du lobe supérieur gauche. Il convient donc de compléter les investigations radiologiques par un scanner thoracique pour préciser l’existence de cette masse et ses rapports anatomiques avant de discuter, dans un second temps seulement, une endoscopie bronchique.
La coronarographie ici n’apportera aucune information pertinente (pas d’argument pour une cardiopathie ischémique, fonction ventriculaire gauche conservée).
Référence pour la question :
- Source : recommandations ESC 2015 sur la péricardite et les syndromes péricarditiques.

 

Le diagnostic d’adénocarcinome bronchique est posé et un traitement est entrepris.
Trois mois après le début du traitement, Madame V. consulte de nouveau aux urgences pour une douleur basi-thoracique gauche évoluant depuis quelques jours en coup de poignard, intense, sans irradiation, associée à une toux sèche. Elle rapporte une aggravation progressive de sa douleur depuis 48 heures.
À l’examen physique, la pression artérielle est à 116/55 mmHg, la température est à 37,9 °C, la fréquence cardiaque est à 115/min et la saturation est à 91 % en air ambiant. L’auscultation cardiopulmonaire est normale.
L’ECG déroule un rythme régulier et sinusal à 115/min avec des ondes T négatives en V1 et V2, sans autre anomalie.
La radiographie thoracique est normale.
Question 6 - Le (les) diagnostic(s) à évoquer dans ce contexte est (sont) :
Cette question fait appel au bon sens. Nous avons une dyspnée aiguë avec désaturation, chez une patiente ayant une auscultation pulmonaire normale, actuellement traitée pour un cancer. L’embolie pulmonaire doit rester une obsession. De plus, compte tenu de l’antécédent de tamponnade, et étant donné le nombre élevé de récidive des tamponnades néoplasiques, ce diagnostic doit également être évoqué.
Le pneumothorax complet bilatéral n’est pas approprié en raison de la normalité de l’auscultation pulmonaire. De même, l’ECG n’est pas compatible avec un infarctus du myocarde antérieur (pas d’autre anomalie que des ondes T négatives en V1 et V2).
Références pour la question :
- Source : recommandations ESC 2014 sur l’embolie pulmonaire.

 

Vous disposez du résultat de l’imagerie suivante :

Il n’y a aucun signe de gravité. Les cavités droites ne sont pas dilatées, le dosage de troponine et de NT-pro-BNP sont normaux.
Question 7 - Quelle(s) molécule(s) peut (peuvent) être utilisée(s) pour le traitement de ce nouvel épisode aigu ?
L’iconographie fournie est une coupe d’angioscanner pulmonaire passant par la bifurcation du tronc pulmonaire en coupe transversale. On constate l’existence de défects endoluminaux multiples dans le tronc de l’artère pulmonaire droite (APD) et gauche (APG), ce qui signe le diagnostic d’embolie pulmonaire bilatérale proximale :

Pas de dilatation des cavités droites ni d’élévation des biomarqueurs : il s’agit donc d’une embolie pulmonaire non grave.

Le seul traitement validé de l’embolie pulmonaire dans un contexte de néoplasie évolutive sont les héparines de bas poids moléculaire (tinzaparine ou énoxaparine). Les anticoagulants oraux directs (apixaban) et les antagonistes de la vitamine K (AVK) [acénocoumarol] ne doivent pas être utilisés.
L’aspirine, enfin, est associée à un haut risque de récidive et ne doit pas être utilisée non plus dans le traitement d’une embolie pulmonaire.
Références pour la question :
- Source : recommandations ESC 2014 sur l’embolie pulmonaire.
- Photos : collection personnelle Dr D. Fard.

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