M. D., 67 ans, conducteur de travaux à la retraite, consulte aux urgences ophtalmologiques pour un voile noir devant son œil gauche. Il s’en est rendu compte ce matin au réveil, il avait du mal à lire l’heure sur son réveil situé à sa gauche. Il a l’impression que toute la partie inférieure de son champ visuel gauche est assombrie. Il vous assure qu’il ne s’est rien passé de particulier la veille au soir ni les jours précédents. Il n’a jamais été malade et prend seulement de l’irbésartan pour une hypertension artérielle essentielle depuis une dizaine d’années et une statine pour un taux de cholestérol trop élevé.
Question 1 - Pour affirmer que le déficit visuel de M. D. est monoculaire vous allez lui demander si (une seule réponse juste) :
Si le flou visuel disparaît à l’occlusion d’un œil quel qu’il soit (et donc aussi en cas d’occlusion seulement de l’œil gauche) il s’agit d’une diplopie binoculaire qui est parfois difficile à caractériser et perçue comme un simple flou visuel par les patients. En cas d’hémianoptie latérale homonyme (HLH) gauche, le flou visuel concernera l’hémichamp des deux yeux et les deux yeux sont donc atteints (réponses 4 et 5). La seule façon d’affirmer qu’un trouble est monoculaire est de s’assurer que le patient a bien fait le test de cacher chaque œil séparément, et que la gêne n’était présente que sur un seul œil.
Vous mesurez une acuité visuelle réduite à 5/10 à gauche contre 10/10 à droite. Votre examen du fond d’œil retrouve l’image suivante :
Source : M. Philibert
Question 2 - M. D. présente :
Les hémorragies en nappe sont plus volumineuses et souvent retrouvées dans d’autres étiologies comme la rétinopathie hypertensive. Les nodules cotonneux donnent des images blanchâtres arrondies.
Source : M. Philibert
Question 3 - L’élément qui vous permet d’affirmer que la baisse visuelle est liée à une atteinte du nerf optique gauche est :
Le seul élément qui permet d’affirmer qu’une baisse visuelle est liée à une atteinte du nerf optique est la recherche d’un déficit pupillaire afférent relatif (ou signe de Marcus Gunn) qui est mis en évidence par l’éclairement alterné des deux pupilles dans l’obscurité. Un œdème papillaire n’est pas forcément secondaire à une pathologie du nerf optique et n’entraîne pas systématiquement de baisse d’acuité visuelle (comme dans l’hypertension intracrânienne, par exemple). L’examen simultané des pupilles à la lumière et à l’obscurité est utile pour la caractérisation d’une anisocorie. L’examen du champ visuel permet de préciser la topographie d’une atteinte au niveau des voies visuelles (à savoir si l’atteinte est pré-chiasmatique, chiasmatique ou rétro-chiasmatique) mais ne permet pas de distinguer une atteinte de la rétine d’une atteinte du nerf optique. L’IRM orbitaire n’est utile que dans certaines pathologies du nerf optique (comme les tumeurs ou les inflammations) et ne permet pas d’évaluer le retentissement d’une lésion sur le nerf optique.
Votre examen clinique vous confirme la présence d’un déficit pupillaire afférent relatif gauche. Vous complétez votre examen clinique par un examen du champ visuel :
Source : M. Philibert
Question 4 - Votre suspicion diagnostique principale est :
L’examen du champ visuel (champ visuel automatisé) montre un déficit monoculaire gauche (signant donc une atteinte pré-chiasmatique), altitudinal inférieur à prédominance nasale. M. D. présente une NOIA qui est définie par l’association d’une baisse d’acuité visuelle unilatérale souvent brutale, d’un œdème papillaire et d’un déficit pupillaire afférent relatif. Le champ visuel retrouve classiquement un déficit altitudinal. Celui-ci est également retrouvé en cas d’occlusion de branche de l’artère centrale de la rétine (branche supérieure en cas de déficit inférieur du champ visuel), mais il n’y a dans ce cas pas d’œdème papillaire. Un œdème papillaire secondaire à une rétinopathie hypertensive ne donne pas de baisse d’acuité visuelle et serait associée à d’autres signes de rétinopathie hypertensive au fond d’œil. L’hypertension intracrânienne est responsable d’un œdème papillaire bilatéral et symétrique, le plus souvent asymptomatique et ne donne que très rarement une baisse de l’acuité visuelle.
Source : M. Philibert
Vous suspectez une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë gauche.
Question 5 - Vous demandez en urgence l’examen complémentaire suivant :
Le seul examen à demander chez un patient qui présente une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë est un dosage de la VS/CRP afin d’éliminer une artérite à cellules géantes (maladie de Horton) qui constitue une urgence de prise en charge absolue.
Vous demandez un dosage de la CRP dont le résultat est 24 mg/L.
Question 6 - Vous complétez votre examen clinique à la recherche :
Ici encore, la seule obsession devant un patient qui présente une NOIA est d’éliminer la maladie de Horton. Le résultat de la CRP est positif mais peu élevé. Pour étayer la suspicion diagnostique de maladie de Horton, il faut donc rechercher les signes cliniques de la maladie à l’interrogatoire. Le signe le plus sensible est la claudication de la mâchoire. La physiopathologie de la NOIA n’est pas la même que celle de l’accident vasculaire cérébral (AVC) et elle n’est qu’exceptionnellement associée à une sténose athéromateuse carotidienne ou d’origine embolique. Les associations NOIA et AVC sont très rares et l’AVC est le plus souvent lacunaire, asymptomatique et découvert fortuitement lorsqu’une IRM cérébrale est réalisée.
Question 7 - Après le résultat de la CRP, votre suspicion diagnostique principale est :
La seule suspicion diagnostique chez un patient présentant une NOIA et une CRP élevée est la maladie de Horton actuellement renommée artérite à cellules géantes.
Vous suspectez fortement une artérite à cellules géantes.
Question 8 - Votre prise en charge immédiate est :
L’artérite à cellules géantes est une urgence de prise en charge absolue. Dès la suspicion diagnostique il faut administrer en urgence au patient une corticothérapie à la dose de 1 mg/kg (per os ou en bolus) avant tout examen ou avis complémentaire. La biopsie de l’artère temporale n’est pas un examen disponible en urgence.
Vous administrez en urgence 1 mg/kg de corticoïdes à M. D.
Question 9 - En cas de retard de prise en charge thérapeutique, M. D. serait exposé aux risques :
En cas de retard thérapeutique, M. D. est exposé aux autres risques d’ischémies secondaires à la maladie de Horton. L’artérite à cellules géantes est une vascularite qui touche les artères de gros et moyen calibre avec une plus grande fréquence pour les branches de la carotide externe. Elle peut entraîner une NOIA avec un risque important de bilatéralisation rapide, une occlusion de l’artère centrale de la rétine, un AVC ou encore le décès. En revanche, elle n’est pas responsable d’occlusion de branches de l’artère centrale de la rétine car ce ne sont pas des artères musculaires.
M. D. est actuellement hospitalisé en service de médecine interne pour la suite de sa prise en charge. Une biopsie de l’artère temporale est programmée.
Question 10 - Le diagnostic d’artérite à cellules géantes serait confirmé par le résultat anatomopathologique suivant :
L’artérite à cellules géantes touche la média des artères de gros et moyen calibre. L’examen anatomopathologique confirme le diagnostic s’il met en évidence une inflammation prédominant au niveau de la média des artères associée à des granulomes et des cellules géantes. L’inflammation à éosinophile est caractéristique de la granulomatose éosinophilique avec polyangéite. L’inflammation et la nécrose de la média des artérioles se retrouve dans les vascularites de petit calibre comme la polyangéite microscopique. Les dépôts d’IgA se retrouvent dans les vascularites à IgA qui touchent les vaisseaux de petit calibre. La nécrose caséeuse est caractéristique de la tuberculose.
Alors même qu’il est hospitalisé et bénéficie d’une corticothérapie par voie systémique adéquate, M. D. se plaint d’une aggravation de sa baisse visuelle gauche. Il vous rapporte la survenue brutale d’un voile noir total qui est venu se surajouter au déficit précédent. L’acuité visuelle est réduite à une perception lumineuse à gauche. Votre examen du fond d’œil est le suivant :
Source : M. Philibert

 

Question 11 - Vous constatez :
Voir le schéma légendé ci-dessous.
Source : M. Philibert
Question 12 - D’après le résultat du fond d’œil, vous concluez que la progression de la baisse visuelle de M. D. est liée à :
M. D. présente une occlusion de l’artère centrale de la rétine gauche caractérisée par la pâleur rétinienne globale et la macula rouge cerise (car la macula n’est pas vascularisée par l’artère centrale de la rétine). Malgré l’introduction précoce d’une corticothérapie, des complications secondaires à la maladie peuvent survenir sous traitement.
Très inquiet, M. D. vous demande si la corticothérapie va permettre d’accélérer la récupération de sa vision.
Question 13 - Vous lui répondez que :
La corticothérapie a pour but d’éviter de nouvelles complications vasculaires et l’enjeu chez M. D. est d’éviter une atteinte de l’œil controlatéral et la cécité. Le pronostic visuel de l’œil gauche est effectivement très mauvais et les chances de récupération très faibles. Classiquement, il n'y a pas de récupération visuelle après une occlusion de l’artère centrale de la rétine et la corticothérapie n’a aucun effet sur le pronostic visuel de l’œil atteint.
M. D. va devoir suivre une corticothérapie au long cours pendant au moins une année.
Question 14 - Vous lui expliquez que ce traitement implique :
Toute corticothérapie prolongée implique des mesures associées pour en compenser les effets indésirables. Elle sera donc associée à un régime pauvre en sel et en sucre, riche en protéine, une surveillance de la tension artérielle, une supplémentation en potassium, un traitement par inhibiteur de la pompe à protons afin de prévenir un ulcère gastrique, un traitement hypnotique si besoin et surtout un traitement préventif de l’ostéoporose d’autant plus indispensable chez les sujets âgés.
M. D. présente des douleurs articulaires depuis plusieurs mois qui avaient été attribuées à de l’arthrose. Il se plaint de douleurs scapulaires qui le réveillent parfois la nuit. Il lui faut souvent du temps pour se mettre en route le matin. Il espère que la corticothérapie aura aussi un effet sur son arthrose.
Question 15 - Votre diagnostic concernant les douleurs articulaires de M. D. est :
M. D. présente des douleurs des ceintures de rythme inflammatoire qui doivent faire évoquer le diagnostic de pseudo-polyarthrite rhizomélique dans le contexte d’artérite à cellules géantes. 

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