Mme F., une jeune patiente de 34 ans, se présente en hôpital de jour d’endocrinologie pour son bilan annuel. Elle a un diabète de type I depuis l’âge de 12 ans. Elle n’a pas d’autre antécédent particulier, hormis une appendicectomie à l’âge de 13 ans et une première grossesse menée à terme à l’âge de 22 ans. Elle fume 5 cigarettes par jour depuis 5 ans. Sa mère est décédée des suites d’un infarctus du myocarde à l’âge de 52 ans. Elle n’a pas de plainte particulière. Elle a trouvé du travail dans une usine de production de voiture il y a trois mois et admet avoir du mal à bien équilibrer son traitement le midi. Sur le plan personnel, elle envisage peut-être une nouvelle grossesse.
Question 1 - L’examen (ou les examens) complémentaire(s) suivant(s) doi(ven)t être réalisé(s) afin d’éliminer une contre-indication à la grossesse chez cette patiente. Une ou plusieurs réponse(s) est (sont) exacte(s).
Toute grossesse chez une patiente diabétique doit être préparée. Il est important de vérifier l’absence de contre-indication à la grossesse : insuffisance rénale, insuffisance coronarienne, rétinopathie diabétique sévère ou proliférante. Sur le plan cardiovasculaire, il faut mesurer la tension artérielle et faire un ECG. Cette patiente, dont le diabète évolue depuis plus de vingt ans, fumeuse avec des antécédents cardiovasculaires familiaux, doit avoir également une épreuve d’effort. Sur le plan rénal, il faut doser la créatinine, faire un test à la bandelette urinaire et une mesure de la micro-albuminurie sur recueil urinaire simple. Un fond d’œil complet doit être réalisé par un ophtalmologue.
Question 2 - Interprétez cet ECG :
Figure 1 (source : G. Hallali)
Cet électrocardiogramme est normal. On note une tachycardie sinusale à environ 100 battements par minute.
À 11 h, la patiente a rendez-vous en ophtalmologie pour contrôle de son fond d’œil.
Elle vous apprend qu’elle revient d’un séjour de plusieurs mois à l’étranger où elle n’a pas pu avoir de suivi médical. Son dernier fond d’œil réalisé il y a quatre ans ne retrouvait pas d’anomalie.
Question 3 - Que devez-vous rechercher à l’interrogatoire au cours de cette consultation d’ophtalmologie pour cette jeune patiente diabétique de type I ?
Un fond d’œil doit s’interpréter en fonction des données cliniques des patients. Il est important de rechercher, en plus des symptômes ophtalmologiques (baisse d’acuité visuelle, métamorphopsies…), la valeur de la dernière hémoglobine glyquée et les facteurs de risque d’évolution rapide d’une rétinopathie diabétique : grossesse en cours ou programmée, mise sous pompe à insuline, chirurgie bariatrique…
Des modifications de la vision des couleurs peuvent survenir lors de rétinopathie diabétique compliquée d’œdème maculaire, mais cela est mis en évidence par des tests très spécifiques, il n’est pas pertinent de les rechercher à l’interrogatoire lors d’une consultation de dépistage.
La patiente vous apprend qu’elle est rentrée en France car elle envisage une grossesse dans l’année. Son HbA1c était à 9,2 % il y a un mois, mais depuis, avec l’aide de son endocrinologue, elle s’est reprise en main. Son protocole d’insuline a été réadapté. Elle s’est même remise au sport pour perdre du poids.
Question 4 - Vous réalisez un fond d’œil et des rétinophotographies. L’examen met en évidence une rétinopathie diabétique minime. Dans quel délai prévoyez-vous de la revoir en consultation d’ophtalmologie ?
L’interrogatoire de cette patiente a révélé des facteurs de risque d’aggravation rapide de sa rétinopathie diabétique et un projet de grossesse. Un contrôle rapproché du fond d’œil dans les deux à trois mois est nécessaire même si l’on ne détecte qu’une rétinopathie diabétique minime.
Deux mois après, la patiente manque son rendez-vous de contrôle. Elle ne revient vous voir que six mois plus tard sur les conseils insistants de son endocrinologue. Elle vous apprend qu’elle est enceinte de deux mois. Son HbA1c est à 6,7 %. Elle vous rapporte aussi la découverte récente d’une hypertension artérielle.
Question 5 - Voici son fond d’œil :
Figure 2 (source : avec l’aimable autorisation du Pr Tadayoni, service d’ophtalmologie, hôpital Lariboisière)

L’anomalie pointée par la flèche rouge correspond à :
Cette rétinophotographie grand champ montre une rétinopathie diabétique sévère. On voit de multiples hémorragies en taches sur l’ensemble de la périphérie rétinienne, des veines tortueuses et dilatées et des anomalies micro vasculaires intra-rétiniennes (AMIR). Il n’y a pas de néovaisseaux visibles. La flèche pointe une hémorragie en tache, aussi appelée hémorragie profonde.
Les néovaisseaux choroïdiens s’observent dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).
Question 6 - Quel(s) examen(s) complémentaire(s) pouvez-vous réaliser afin d’explorer plus en détail les anomalies vasculaires vus au fond d’œil ?
L’angiographie à la fluorescéine et l’OCT angiographique permettent une analyse fine de la maille capillaire. La place de l’OCT-A est encore à définir, mais cette technologie est très prometteuse et pourrait remplacer l’angiographie à la fluorescéine. En effet, l’OCT-A permet de visualiser la maille capillaire sans injection de produit de contraste.
Une angiographie à la fluorescéine est réalisée. À la fin de l’examen, la patiente ne sent pas bien. Elle dit avoir des nausées. Elle est pâle mais n’est pas dyspnéique. L’infirmière vous appelle à l’aide.
Question 7 - Vous prenez immédiatement les mesures suivantes :
Une angiographie à la fluorescéine est un geste potentiellement dangereux. Il y a un risque d’allergie grave. Il existe chaque année des décès à la suite de cet examen. Des mesures préventives sont mises en place : questionnaire-type avant chaque angiographie, prémédication en cas d’antécédent d’asthme ou d’allergie.
Dans la situation décrite dans ce cas clinique, il n’est pas recommandé de faire une injection d’adrénaline en intramusculaire immédiatement. En effet, la réalisation d’une angiographie déclenche régulièrement des nausées et de petits malaises vagaux. Il faut alors dans le meilleur des cas allonger le malade en lui levant légèrement les pieds. Prendre ses constantes vitales et une glycémie. Il faut bien entendu stopper l’injection de colorant mais ne surtout pas retirer la voie veineuse déjà en place. Celle-ci constitue une voie d’abord de choix en cas de choc.

NB : Il n’y a pas de contre-indication à l’angiographie à la fluorescéine en cas de grossesse. Aucune complication fœtale n’a été rapportée. L’angiographie au vert d’indocyanine est à éviter par prudence.
Voici son angiographie :
Figure 3 (source : avec l’aimable autorisation du Pr Tadayoni, service d’ophtalmologie, hôpital Lariboisière)
Question 8 - Votre diagnostic est le suivant :
Le fond d’œil met en évidence des anomalies vasculaires sévères sur l’ensemble de la rétine. (Règle ETDRS des 4/2/1). La phase tardive de l’angiographie à la fluorescéine révèle des zones d’hyperperméabilité vasculaire correspondant aux anomalies microvasculaires intrarétiniennes (AMIR) ; prémices de néovaisseaux).
La notion de rétinopathie diabétique floride est importante à saisir. Cette patiente n’entre pas dans les protocoles de dépistage habituel. Elle peut perdre la vue en quelques mois du fait de sa rétinopathie. L’évolution est très rapide : les lésions « fleurissent » au fond d’œil… Il faut donc traiter de manière agressive.
Question 9 - Votre prise en charge est la suivante :
Le seul traitement qui a fait ses preuves pour stabiliser une rétinopathie diabétique et éviter ainsi la perte de la vision des patients est la panphotocoagualtion rétinienne (PPR) au laser argon. Le laser permet de brûler la périphérie rétinienne qui est ischémique. Une vitrectomie est inutile dans ce cas : c’est une opération à envisager en cas de décollement de rétine tractionnel. Le laser focal sur les AMIR n’a pas d’intérêt. Les injections intravitréenne d’anti-VEGF ou de dexaméthasone sont indiquées dans le traitement de l’œdème maculaire diabétique et non pas dans le traitement de l’ischémie périphérique liée à la rétinopathie diabétique.
Question 10 - Dans quel but réalise-t-on une panphotocoagulation rétinienne ? Une ou plusieurs réponse(s) est (sont) exacte(s).
La PPR permet de stabiliser une rétinopathie diabétique et d’empêcher la formation de néovaisseau pré-rétinien. Ces néovaisseaux se développent en utilisant comme support le vitré. Ils tirent sur celui-ci et peuvent à terme créer un décollement de rétine tractionnel, voire envahir l’ensemble de l’œil et déclencher un glaucome néovasculaire.
Une panphotocoagulation rétinienne rapide est réalisée. (1 séance par semaine pendant 1 mois.) La patiente est suivie régulièrement en ophtalmologie. Sa rétinopathie est stabilisée et son diabète bien équilibré. Sa seule plainte est une gêne dans son champ de vision inférieur lorsqu’elle descend les escaliers ou une difficulté à s’adapter aux environnements sombres, symptômes habituels après une PPR.
Quinze ans plus tard, elle se plaint lors de son rendez-vous annuel d’une baisse de vision d’apparition progressive.
Question 11 - Lors de sa consultation de contrôle, la patiente vous explique que sa vue baisse progressivement depuis que vous la prenez en charge, en particulier sur son œil droit. Elle n’a pas de douleur. Dans ce contexte, vous suspectez le(s) diagnostic(s) suivant(s) :
L’absence de douleur élimine le diagnostic de kératite. Le glaucome chronique à angle ouvert atteint le champ visuel. L’acuité visuelle est conservée pendant des années. La baisse d’acuité visuelle est alors le plus souvent brutale. Une occlusion de la veine centrale de la rétine entraîne une baisse d’acuité visuelle brutale.
La cataracte cortico-nucléaire ou sous-capsulaire postérieure fait progressivement baisser la vision de manière indolore.
Question 12 - Vous recherchez le(s) signe(s) clinique(s) suivant(s) en faveur d’une cataracte sous-capsulaire postérieure :
La cataracte sous-capsulaire postérieure forme des taches sur la partie postérieure du cristallin et gêne la vue très rapidement, aussi bien de près que de loin. Dans une cataracte cortico-nucléaire « classique », la vision de près reste bonne très longtemps, alors que l’acuité visuelle de loin chute progressivement.
Son acuité visuelle est mesurée à 5/10e P6 à l’œil droit et à 8/10e P4 à l’œil gauche. La patiente se dit très gênée dans ses activités quotidiennes. Vous décidez donc de programmer d’opérer son œil droit.
Question 13 - Afin de préparer la chirurgie, vous réalisez le(s) examen(s) complémentaire(s) suivant(s) :
La mesure de la longueur axiale et de la kératométrie (puissance réfractive de la cornée) sont indispensables pour programmer une opération de la cataracte. Ces mesures permettent de calculer la puissance de l’implant destiné à remplacer le cristallin.
L’auto-réfractomètre et votre examen clinique retrouvent les mesures suivantes : œil droit : +2.5 (-3 ; 80) ; œil gauche : +3 (-3.25 ; 90).
Question 14 - Une fois le cristallin retiré, quel type d’implant pourra-t-on mettre en place afin de corriger l’amétropie de cette patiente ?
Question un peu technique, mais ces notions sont présentes dans le référentiel d’ophtalmologie. Les implants toriques permettent de corriger l’astigmatisme du patient. Le choix entre un multifocal et un monofocal relève du spécialiste. Les multifocaux permettent de corriger une partie de la presbytie. Chez le diabétique, ils ne sont pas posés en première intention.
Lors d’une chirurgie de la cataracte, il faut tout faire pour placer l’implant dans la chambre postérieure. Seul une complication opératoire majeure ou une chirurgie très complexe peut faire prendre la décision de poser l’implant dans un second temps.
Six semaines plus tard, alors que l’acuité visuelle de la patiente était de 9/10e P2 pour l’œil droit, celle-ci consulte en urgence. Elle se plaint d’une baisse d’acuité visuelle brutale de près et de loin. Elle vous explique voir une zone grise au centre de sa vision. Les lignes sont déformées. Son acuité visuelle lors de la consultation est de 6/10e P5.
Question 15 - Votre hypothèse diagnostique principale devant cette baisse d’acuité visuelle est la suivante :
Le tableau clinique est typique d’un syndrome d’Irvine Gass. Celui-ci est plus fréquent chez le diabétique et survient généralement quelques semaines après la chirurgie. Il serait secondaire à l’inflammation créée par la chirurgie. Il se traite médicalement en première intention par des collyres anti-inflammatoires.

Conclusion finale 
L’item rétinopathie diabétique est un incontournable. Il est déjà tombé deux fois aux ECNis. Les questions abordées au début du dossier touchent des notions fondamentales (rang A des connaissances pour la réforme). La deuxième partie du cas est un peu plus technique, mais aborde l’acte chirurgical le plus fréquent en France.
La première partie du cas est basée sur une patiente réelle prise en charge dans un service spécialisé en pathologie rétinienne. Il est indispensable d’identifier la gravité potentielle de ce type de patient. Un équilibre rapide du diabète, une grossesse ou la puberté peuvent faire perdre la vue en quelques mois à un patient diabétique. Seule une surveillance très rapprochée et un traitement agressif par des équipes entraînées permettent de stabiliser la maladie et de réduire le risque de cécité.

Références
Nechel V. Collège des enseignants en ophtalmologie, 3e édition, item 245 « Rétinopathie diabétique », et item 125 « Cataracte ». Collège des enseignants en endocrinologie, item 245.

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