Le 5 décembre 2021, vous recevez en consultation Mme M., 60 ans, adressée par son médecin généraliste pour fièvre. Elle exerce comme technicienne de laboratoire, ne fume pas, ne prend pas d’alcool. Son dernier voyage était en Birmanie en 2015. Elle vit avec son mari. Elle a une fille de 35 ans et une petite-fille de 19 mois qu’elle garde une fois par semaine lorsqu’elle n’est pas à la crèche. Elle a un chat à domicile et est une grande adepte des promenades en forêt.

Elle a eu au cours de l’été 2021 divers problèmes rhumatologiques mécaniques avec notamment une lombosciatique L5 gauche infiltrée à plusieurs reprises, avec protrusion discale L4-L5, responsable d’un conflit disco-radiculaire concordant avec la clinique. Elle a également eu une lésion méniscale après avoir fait du trampoline à outrance avec son neveu. Elle ne prend actuellement aucun traitement. 

Elle a depuis 10 jours une fièvre vespérale aux alentours de 39 °C avec altération de l’état général et grande asthénie. Elle n'a aucun signe fonctionnel respiratoire digestif ou urinaire, pas de céphalées. Absence de douleur. 

L’examen clinique est assez pauvre, en dehors de quelques ganglions sous-mentonniers infracentimétriques indolores et mobiles et d’un rash cutané roséoliforme du dos. Absence d’hépatosplénomégalie.  

Son médecin généraliste vous l’adresse suite aux résultats de son bilan sanguin effectué en ville l’avant-veille : hémoglobine = 12,7 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 89 fL ; leucocytes = 13 G/L ; polynucléaires neutrophiles = 4,2 G/L ; polynucléaires éosinophiles 0,2 G/L ; polynucléaires basophiles = 0 G/L ; lymphocytes = 8 G/L ; plaquettes = 275 G/L ; frottis sanguin non vu ; ferritine = 1 213 µg/L ; aspartame aminotransférase (ASAT) = 111 UI/L ; alanine aminotransférase (ALAT) = 201 UI/L ; gamma glutamyl transférase (GGT) = 523 UI/L, bilirubine totale = 7,2 µmol/L ; phosphatases alcalines (PAL) = 415 UI/L ; protéine C réactive (CRP) = 32 mg/L ; taux de prothrombine (TP) = 93 %, temps de céphaline activée (TCA) ratio patient/témoin = 1 ; fibrinogène = 5,1 g/L ; facteurs antinucléaires = 1/160 sans spécificité ; anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) positifs mais sans spécificité ni anti-protéinase 3 (anti-PR3) ni anti-myéloperoxydase (anti-MPO).
Question 1 - Comment interprétez-vous ces résultats biologiques ? Une ou plusieurs réponse(s) possible(s).
De nombreuses pathologies peuvent s’accompagner d’une positivité des ANCA sans spécificité, notamment l’endocardite, les infections virales ou bactériennes chroniques, les cancers solides, les lymphomes. Les ANCA des vascularites sont le plus souvent de spécificité anti-PR3 ou anti-MPO et s’accompagnent de manifestations cliniques évocatrices.
Le diagnostic de syndrome d’activation macrophagique repose sur un faisceau d’arguments cliniques et biologiques. Les manifestations biologiques les plus fréquentes sont les cytopénies, l’augmentation majeure de la ferritine (souvent au-delà de 5 000) et l’élévation des triglycérides. Les autres manifestations sont plus variables, comme la cytolyse, les troubles ioniques, les troubles de la coagulation. Il existe un score (le « H-score de Saint-Antoine ») validé chez l’adulte pour prédire la probabilité de syndrome d’activation macrophagique. Ici au vu des données dont nous disposons, le H-score est à 0, ce qui correspond à une probabilité de SAM avoisinant les 0 %.
Ici il n’y a pas de cytopénies. Une élévation de la ferritine et une hépatite ne sont pas des arguments suffisants pour poser ce diagnostic.
La présence d’anticorps antinucléaires est aspécifique en l’absence de contexte clinique évocateur de maladie de système. Ils peuvent se rencontrer en population générale en dehors de tout contexte pathologique et se positiver transitoirement à la faveur d’une infection.
Il y a une lymphocytose sur la formule mais rien ne vous permet d’affirmer qu’il s’agit de blastes ou au contraire de lymphocytes matures. Par argument de fréquence, il est plus probable qu’il s’agisse de lymphocytes matures.
L’ensemble du tableau (caractère aigu, fièvre altération de l’état général) est plutôt évocateur d’un syndrome mononucléosique avec expansion polyclonale de lymphocytes T activés. Le frottis vous permettra de vous orienter vers l’un ou l’autre de ces diagnostics.
Vous vous interrogez sur la nature de la lymphocytose que vous constatez sur la numération de ville. 
Question 2 - Quel(s) examen(s) allez-vous demander en première intention pour caractériser cette lymphocytose ?
Pas en première intention. Cette lymphocytose a l’air réactionnelle et donc polyclonale.
Pas en première intention. Vous le demanderez ultérieurement si vous cherchez une infiltration lymphomateuse médullaire, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.
Servirait en cas de suspicion de leucémie lymphoïde chronique, que l’on évoquerait devant une lymphocytose persistante dans le temps, sans contexte infectieux.
Pas en première intention. Vous le demanderez ultérieurement si vous cherchez une infiltration lymphomateuse médullaire ce qui n’est pas le cas pour l’instant.
Cet examen vous permettra d’identifier rapidement un syndrome mononucléosique.
Situation très fréquente en médecine de ville, aux urgences et en médecine interne. Ne pas se lancer dans des examens complémentaires coûteux et anxiogènes lorsque vous êtes face à un syndrome mononucléosique typique.
Vous avez demandé un frottis sanguin, le biologiste vous répond qu’il constate la présence de grands lymphocytes activés au cytoplasme hyperbasophile.
Question 3 - Quel(s) est/sont votre/vos diagnostic(s) ? Une ou plusieurs réponse(s) possible(s).
Syndrome mononucléosique typique, évoluant depuis seulement 10 jours : donc en défaveur d’une phase circulante de lymphome T.
Ce tableau est fortement évocateur d’une primo-infection virale, en premier lieu le virus d’Epstein-Barr (EBV) ou cytomégalovirus (CMV). Le rash cutané est parfaitement typique de ces situations.
Défini par une expansion lymphocytaire T polyclonale avec des marqueurs d’activation. Tire son nom de la fréquente association avec la primo-infection/réactivations EBV mais peut se voir dans d’autres circonstances la plupart du temps infectieuses, parfois succédant à une situation de stress intense (réanimation cardiopulmonaire, choc septique…), parfois dans des circonstances allergiques.
Le DRESS survient dans un contexte allergique et s’accompagne d’une éosinophilie.
Le phénomène de démargination concerne les polynucléaires neutrophiles.
Question 4 - Quel bilan étiologique de ce syndrome mononucléosique prévoyez-vous ? 
L’ensemble des virus ci-dessus peuvent s’accompagner d’un syndrome mononucléosique. 
Les plus pourvoyeurs en sont l’EBV et le CMV. 
Ne jamais oublier de faire la sérologie VIH et de la répéter dans le temps en l’absence d’autre étiologie retrouvée. En effet, la primo-infection VIH peut donner exactement ce type de tableau.
Vous récupérez le résultat de la sérologie EBV qui montre les résultats suivants :
– anticorps IgG contre l’antigène de la capside virale du virus Epstein-Barr (IgG anti-VCA) POSITIFS ;
– anticorps IgG contre l’antigène nucléaire du virus Epstein-Barr (IgG anti-EBNA) POSITIFS ;
– anticorps IgM contre l’antigène de la capside virale du virus Epstein-Barr (IgM anti-VCA) NÉGATIFS.
La sérologie CMV est également positive en IgM.
La polymare chain reaction-cytomégalovirus (PCR-CMV) est positive à 3,6 log.
Question 5 - Quel est votre diagnostic ? 
La sérologie CMV positive en IgM et non en IgG est en faveur d’une primo-infection à CMV. La double positivité des IgG et IgM peut faire évoquer soit une réactivation, soit une primo-infection vue tardivement.
La négativité des IgM anti-VCA et le diagnostic différentiel évident de primo-infection CMV éliminent le diagnostic de primo-infection ou de réactivation EBV.
Vous faites le diagnostic de primo-infection CMV et la patiente rentre chez elle. 
Question 6 - Quel mode de contamination suspectez-vous ?
Le CMV est un virus endémique chez les enfants en bas âge, il s’agit du mode de contamination le plus probable.
La semaine suivante, la fille de la patiente vous appelle affolée car elle est enceinte (8 semaines d’aménorrhée) et elle a entendu parler d’un risque pour le fœtus de l’infection à CMV. Elle est en contact quotidien avec sa fille de 19 mois. 
Elle vous faxe sa sérologie CMV effectuée la veille : double positivité IgG-IgM. Le bilan hépatique et la CRP sont normaux, la ferritine est à 56 mg/L.
Question 7 - Quelle est votre attitude ? 
Il s’agit du test à privilégier en première intention pour faire la part des choses entre une primo-infection récente (avidité faible) ou une réactivation / infection > 3 mois (avidité forte). Vous auriez aussi pu proposer une mesure de la cinétique des IgG à 3 semaines.
Pas en première intention
Seuls les cas de primo-infection pendant la grossesse devront conduire à une prise en charge spécifique qui commencera le plus souvent par une amniocentèse. En cas de PCR-CMV positive dans le liquide amniotique, la suite de la prise en charge sera décidée au centre de diagnostic anténatal.
Ici le diagnostic d’infection à CMV n’est pas confirmé, donc la prophylaxie n’est pas encore à l’ordre du jour. Par ailleurs, l’utilisation de ganciclovir ne fait pas consensus.
Il s’agit d’un traitement anti-VZV (virus varicelle-zona) donc il n’a aucune place ici.
 

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