Interne un soir de garde aux urgences, vous prenez en charge M. A., patient de 68 ans, pour des vomissements.

M. A. n’a pas d’antécédent particulier hormis une allergie à la pénicilline. Son épouse qui l’accompagne vous raconte que M. A. est très fatigué : cela fait deux jours qu’il n’est pas sorti de chez lui, et depuis ce midi il présente des vomissements. Il ne présente pas d’autre signe fonctionnel en dehors de douleurs abdominales diffuses.

M. A. présente à l’examen clinique un abdomen souple, sensible dans son ensemble. L’examen cardio-pulmonaire est sans particularité en dehors d’une tachycardie. Il est conscient et bien orienté. Ses paramètres vitaux sont les suivants : TA = 100/50 mmHg, FC = 115 bpm, FR = 12/min, SaO2 = 95 %, T° = 37,6 °C. Poids = 85 kg pour 1,70 m.
Question 1 : Ce tableau clinique est compatible avec :
Toujours penser à l’insuffisance surrénale en cas de douleur abdominale
L’examen clinique est assez succin et devra être complété.
L’absence de fièvre ne permet pas d’exclure une complication infectieuse.
L’absence de défense n’élimine pas une pathologie digestive non compliquée, mais rend très peu probable une péritonite dont le tableau clinique est généralement bruyant (signes généraux importants ou contracture abdominale).
Mme A. ajoute que son époux n’arrête pas de boire depuis deux jours, et qu’il urine à peu près tout autant.
Question 2 : Cette nouvelle donnée est compatible avec :
- Un syndrome polyuro-polydipsique doit faire évoquer des hypothèses métaboliques, en premier lieu le diabète, qu’il soit sucré ou insipide, et en dernier lieu une potomanie…
- L’hypercalcémie doit être évoquée devant un tableau de polyuro-polydypsie car celle-ci est responsable d’un diabète insipide néphrogénique (insensibilité à l’ADH).
Vous recevez les éléments de biologie suivants :
leucocytes = 10 G/L, dont PNN = 6,9 G/L, lymphocytes = 3,0 G/L,
Hb = 13 g/dL, VGM = 78 fL, plaquettes = 250 G/L.
Sodium = 146 mmol/L, potassium = 3,2 mmol/L, chlorure = 110 mmol/L, bicarbonates = 19 mmol/L, créatininémie = 160 µmol/L, urée = 14,8 mmol/L, glucose = 5,5 mmol/L, calcium = 2,80 mm/L, CRP = 45 mg/L
ASAT = 35 UI/L, ALAT = 32 UI/L, phosphatases alcalines = 250 UI/L, gamma-GT = 45 UI/L, bilirubine totale = 5 mmol/L, albumine = 32 g/L.
TP = 80 %, TCA patient = 32s, témoin = 30s.
Question 3 : Ces éléments permettent d’éliminer :
La glycémie est normale
Non, pas sans TSH
Non puisqu’il y a une insuffisance rénale dont l’acuité reste à avérer
Il existe un syndrome inflammatoire et digestif, aucune imagerie n’a été réalisée, aucun diagnostic n’explique le tableau pour le moment, même si l’hypercalcémie est atypique dans ce contexte
Il existe un syndrome inflammatoire et digestif, aucune imagerie n’a été réalisée, aucun diagnostic n’explique le tableau pour le moment, même si l’hypercalcémie est atypique dans ce contexte
Question 4 : Vous complétez votre bilan en urgence par :
Deux urgences diagnostiques :
- caractériser l’insuffisance rénale (en particulier insuffisance rénale obstructive +/- pyélonéphrite obstructive) ;
évaluer la gravité de l’hypercalcémie.
- La scintigraphie osseuse est inadaptée dans ce contexte d’urgence.
Le scanner avec injection est contre-indiqué du fait de l’insuffisance rénale aiguë, de plus il n’est pas nécessaire au diagnostic d’une dilatation des cavités pyélo-calicielles, l’échographie ayant un bien meilleur rapport bénéfice/risque.
Vous recevez les éléments complémentaires suivants :
- ionogramme urinaire : Na = 17 mmol/L, K = 22 mmol/L, urée = 160 mmol/L, glucose = 2,0 mmol/L ;
- BU : traces de protéines, pas de sang, quelques leucocytes (+), pas de nitrite, pas de glucose, pas de cétone ;
- osmolarité plasmatique = 314 mOsm/L ;
- échographie rénale : cavités pyélo-calicielles dilatées à gauche, diamètre de l’uretère proximale gauche estimé à 12 mm. Pas de calcul visible, nombreuses adénopathies iliaques bilatérales. Pas de dilatation des cavités pyélo-calicielles à droite.
Question 5 : Vous retenez les diagnostics de :
Non (v. commentaire général)
Oui, calcémie corrigée = 3,0 mmol/L
Dilatation unilatérale, insuffisante pour provoquer à elle seule une insuffisance rénale aiguë
Non, peu de leucocytes ni de nitrites, pas en faveur d’une infection de l’appareil urinaire
Non, peu de leucocytes ni de nitrites, pas en faveur d’une infection de l’appareil urinaire
- Définition de l’hypercalcémie : calcémie corrigée > 2,62 mmol/L ou calcémie ionisée > 1,32 mmol/L.
- Formule de la calcémie corrigée par l’albumine : Ca corrigée (mmol/L) = Ca mesurée(mmol/L) + 1/40*(40 – albuminémie (g/L).
Pourquoi évoquer un diabète insipide ?
- Devant le syndrome polyuro-polydipisique, associé à une hypernatrémie témoin d’une déshydratation intracellulaire et d’une hyperosmolarité plasmatique.
- En outre, l’ionogramme urinaire montre une osmolarité inférieure à l’osmolarité plasmatique, l’osmolarité urinaire est < 300 mOsm/L: Osm u = Na(mmol/L)*2 + K(mmol/L)*2 + urée(mmol/L) + glucose (mmol/L) = 240 mOsm/L.
Ici il y a bien un diabète insipide, mais aucune donnée ne permet de faire la différence entre un diabète insipide neurogénique (défaut de sécrétion d’hormone antidiurétique ADH) ou un diabète insipide néphrogénique (défaut de sensibilité rénale à l’ADH). Pour trancher il faudrait réaliser un test au Minirin – desmopressine (positif si augmentation de plus de 50 % de l’osmolarité urinaire).
Dans un contexte d’hypercalcémie, le diabète insipide est d’origine néphrogénique.
Question 6 : Vous mettez en place en urgence :
Les diurétiques de l’anse ne sont plus recommandés en première intention dans le traitement de l’hypercalcémie
Évaluation de la gravité de l’hypercalcémie :
- hypercalcémie corrigée > 3,8 mmol/L ;
- troubles neurologiques (convulsions, confusion, coma) ;
- l’ECG montre une tachycardie sinusale mais pas d’autre signe électrique (raccourcissement du QT, allongement du PR, aplatissement de l’onde T, troubles du rythme (FA, TV, FV, TP) ;
- fonction rénale : insuffisance rénale, diabète insipide.
La présence d’un ou plusieurs critères de gravité impose au minimum de prévenir la réanimation.
Dans le cas présent, deux facteurs de gravité sont présents :
- l’hypokaliémie (bien que modérée) associée, qui majore le risque de troubles du rythme graves => à corriger en urgence ;
- l’insuffisance rénale : corriger l’ensemble des paramètres responsables de l’insuffisance rénale (déshydratation extracellulaire, limiter la prise de néphrotoxiques, levée de l’obstruction urétérale gauche).
Le traitement de base de l’hypercalcémie est donc :
- réhydratation par sérum salé isotonique ;
- correction d’une éventuelle hypokaliémie et arrêt des digitaliques (risque de troubles du rythme graves) ;
- biphosphonates IV, adaptés à la fonction rénale.
Et éventuellement corticoïdes, très efficaces en cas de granulomatose ou de leucémie aiguë (inhibe l’activation de la vitamine D par les leucocytes).
En cas d’hypercalcémie grave :
- Dialyse avec un bain pauvre en calcium ;
 -En attendant la mise en place de la dialyse :
     - calcitonine,
     - éventuellement entraînement de diurèse par diurétiques de l’anse associés à une hydratation correcte.
M. A. se rétablit au bout de quelques jours. Il est très inquiet et se demande ce qui a pu être responsable de son hospitalisation.
Son bilan est maintenant le suivant :
sodium : 140 mmol/L, potassium 4,0 mmol/L, créatinine = 110 µmol/L, urée = 9 mmol/L, calcium = 2,40 mmol/L
Hb = 13 g/dL, VGM = 78 fL, plaquettes = 250 G/L ;
leucocytes = 10 G/L, dont PNN = 6,9 G/L, lymphocytes = 3,0 G/L, absence de blaste, absence de forme immature.
Question 7 : A ce stade des explorations, les causes les plus probables sont :
Absence de cytopénie, absence de forme immature dans la formule sanguine
Le cancer colorectal n’a pas de tropisme osseux et ne donne pas d’hypercalcémie
- L’hyperparathyroïdie primaire et les étiologies malignes (dont myélome) représentent 80 % des causes d’hypercalcémie
- Les pathologies tumorales responsables d’hypercalcémie sont :
     - les cancers à tropisme osseux : poumon, prostate, rein, sein, thyroïde ;
     - les néoplasies endocriniennes multiples ;
     - le myélome.
- Dans les pathologies malignes, deux mécanismes responsables de l’hypercalcémie sont décrits :
     - l’hypercalcémie liée à la lyse osseuse (libération de calcium médiée par les cytokines inflammatoires) ;
     - la sécrétion parénéoplasique de PTH-rP. Dans ce cas de figure, on peut avoir une hypercalcémie sans métastase osseuse (cancer bronchique [épidermoïdes], cancers ORL, certaines hémopathies).
Vous recevez les résultats suivants :
 - électrophorèse des protéines sériques :

- phosphate = 1,3 mmol/L, 25(OH) vitamine D = 55 UI/L ;
- PTH = 10 pg/mL (N = 15 – 65) ;
- analyse du frottis sanguin : absence de forme immature.
Question 8 : A ce stade des explorations, vous avez éliminé :
Oui, la PTH est inférieure à la norme
Non, il faudrait un myélogramme et/ou un bilan osseux normal
Non, cette hypothèse n’a pas été explorée
Non, cette hypothèse n’a pas été explorée
Le syndrome de malabsorption donne une hypocalcémie, il est donc éliminé d’emblée.
Le profil de l’électrophorèse des protéines sériques est normal : pas de pic monclonal en gamma ni en bêta, pas d’hypogammaglobulinémie qui orienteraient vers un myélome. Si cette hypothèse devient peu probable, elle n’en est pas pour autant éliminée.
La PTH est inférieure à la norme, ce qui est adapté en contexte d’hypercalcémie.
Vous réalisez un toucher rectal et vous retrouvez une prostate d’environ 45 g, indurée, à surface irrégulière. Le PSA est à 95 ng/mL.
Vous suspectez une tumeur de prostate et prescrivez une biopsie transrectale de prostate.
Question 9 : Avant le geste vous prenez les précautions suivantes :
La biopsie transrectale de prostate est un geste très encadré dont les principaux risques sont le risque infectieux (prostatite), le risque hémorragique (hémospermie principalement), et le risque allergique.
La biopsie est réalisée sous guidage échographique. L’opérateur réalise une cartographie de la prostate (12 prélèvements) dans les différents secteurs, auxquels peuvent s’ajouter des prélèvements supplémentaires dans la zone suspecte.
Voici un extrait du compte-rendu d’anatomo-pathologie :
- biopsies de prostate transrectales ;
- adénocarcinome de score de Gleason 4+3, présent sur 8 prélèvements, montrant un franchissement de la capsule prostatique.
Question 10 : Vous prescrivez les examens suivants :
Le diagnostic de carcinome prostatique est confirmé. Ce cancer est très probablement métastatique d’après les éléments du dossier :
- PSA > 20 : doit faire suspecter une maladie métastatique ;
- hypercalcémie : liée à la résorption osseuse = métastase osseuse ;
- dilatation unilatérale des cavités pyélocalicielles à gauche : probable compression urétérale par des adénopathies pelviennes.
Enfin, le nombre de prélèvements positifs (8/12) témoigne d’un envahissement prostatique important.
La priorité est donc au bilan d’extension, en particulier pour préciser l’étendue de la maladie métastatique et déterminer la stratégie thérapeutique.
Le TEP-scanner au 18-FDG n’a pas d’indication dans le bilan d’extension d’un cancer de prostate. Le scanner TAP combiné à la scintigraphie osseuse sont suffisants.
L’IRM cérébrale n’est réalisée qu’en présence de signes neurologiques.
Vous revoyez M. A. en consultation 15 jours plus tard.
Il vous explique qu’il se sent fatigué, mais a repris ses activités habituelles, il ne fait pas de sieste sauf le dimanche. Il vous apporte les résultats d’examens suivants :
- un scanner thoraco-abdomino-pelvien ne retrouvant pas de localisation secondaire viscérale, mais de nombreuses adénopathies iliaques, prédominant à gauche ;
- une scintigraphie osseuse dont voici les images clés :
Question 11 : A l’issue de la consultation, vous envisagez :
La chimiothérapie est toujours associée à la castration
M. A. présente un cancer de prostate métastatique, mais naïf de toute hormonothérapie.
Le fait que ce cancer soit métastatique exclut toute option « curative » à savoir chirurgie ou radiothérapie ciblée sur la prostate (ce qui élimine les propositions A et B).
M. A. présente des localisations osseuses multiples, mais aucune localisation viscérale. Dans ce cas de figure, la castration par hormonothérapie (agonistes de la LH-RH avec prévention du flare-up) sera le traitement de première intention. L’ajout d’une chimiothérapie de type docétaxel se discute, mais il s’agit d’une discussion de spécialiste.
Les hormonothérapies dites de « seconde génération » ne sont pas indiquées car ce cancer n’a pas fait la preuve de sa résistance à la castration.
La chimiothérapie seule n’est pas une option thérapeutique valable dans le cancer de prostate.
Vous revoyez M. A. 18 mois plus tard. Il a été traité par agonistes de la LH-RH seuls et perfusion mensuelle de biphosphonates.
Il est en bon état général et n’a pas de plainte fonctionnelle en dehors d’une baisse importante de la libido.
Voici le résumé de ses PSA :
Début95 ng/mL12 mois50 ng/mL
3 mois75 ng/mL15 mois52 ng/mL
6 mois60 ng/mL18 mois60 ng/mL
9 mois55 ng/mL  
Question 12 : Vous préconisez :
On n’arrête jamais une hormonothérapie bien tolérée
Le PSA est stabilisé et a tendance à remonter doucement, et ce sans symptomatologie. Il est avant tout urgent de s’assurer que l’hormonothérapie permet une castration efficace, d’où le contrôle de la testostéronémie, condition nécessaire pour parler de progression sous castration.
Vous programmez de revoir M. A. quelques jours plus tard.
Entre-temps, M. A. revient aux urgences pour une douleur lombaire apparue brutalement alors qu’il s’asseyait. Vous êtes appelé pour évaluer M. A.
Le rachis lombaire est raide et douloureux au niveau de L4-L5, l’EVA est à 8/10. La sensibilité du siège et la motricité des membres inférieurs sont normales. Le tonus anal est normal et M. A. ne présente pas de symptomatologie urinaire.
Entre temps l’examen suivant a pu être réalisé :
Question 13 : Vos envisagez le (ou les) diagnostic(s) de :
Scanner pathologique avec recul du mur postérieur de L4 associé à des lésions ostéocondensantes, en contexte d’ascension du PSA. Ce tableau est typique d’une complication osseuse du cancer de prostate.
L’absence de signe neurologique exclut les diagnostics de compression de la queue de cheval, et de compression médullaire, ce dernier étant improbable compte tenu de la localisation du syndrome rachidien (L4).
À noter cependant que l’hormonothérapie des cancers de prostate est un facteur de risque d’ostéoporose.
Question 14 : Vous recommandez :
En l’absence de compression, pas d’indication de corticothérapie qui augmente le risque infectieux lié à la chirurgie (immunosuppression, altération de la cicatrisation). Attention cependant, à la moindre symptomatologie neurologique les corticoïdes seront un moyen efficace de soulager transitoirement le patient. Ceci implique une surveillance quotidienne de la symptomatologie neurologique.
En attendant la chirurgie, une immobilisation stricte au lit sera préconisée.
L’urgence est la chirurgie pour réséquer la localisation tumorale, dégager le canal rachidien et consolider le rachis si besoin.
La cimentoplastie est à proscrire en cas de recul du mur postérieur, le geste risque d’aggraver la compression médullaire avec un risque d’effusion de ciment dans le canal rachidien.
La radiothérapie sera réalisée à distance, en complément du geste chirurgical, ou sera le traitement exclusif si le patient est jugé inopérable.
La testostéronémie est à 10 ng/dL (seuil d’efficacité de la castration 20 ng/dL).
Question 15 : D’un point de vue oncologique, les stratégies thérapeutiques possibles sont :
Ici la progression tumorale est avérée (complication osseuse et ascension du PSA).
Le cancer est résistant à la castration, un traitement de seconde ligne doit être proposé.
Des manipulations hormonales peuvent être réalisées devant une progression biologique sous castration bien conduite (ajout d’anti-androgènes, retrait des anti-androgènes…) mais leur efficacité est très transitoire voire aléatoire. Celles-ci ne sont pas recommandées en cas de tableau symptomatique (comme ici).

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