Un homme de 61 ans, sans antécédent pathologique notable, maçon au chômage depuis 10 ans, est hospitalisé pour une altération de l’état général et une augmentation de volume de l’abdomen. Il consomme 120 g d’alcool par jour depuis une trentaine d’années, mais a spontanément réduit sa consommation à 20 g/j depuis 2 mois, a fumé 40 paquets-années. À l’examen on perçoit une ascite tendue, un foie dur donnant le signe du glaçon, on voit de nombreux angiomes stellaires, une érythrose palmaire, une hypertrophie parotidienne et une maladie de Dupuytren et une maladie de Dupuytren. Il n’y a pas d’encéphalopathie hépatique ni d’ictère, mais d’assez gros œdèmes des membres inférieurs, et une circulation collatérale veineuse périombilicale ainsi qu’une petite hernie ombilicale non compliquée. Le pouls est à 100/min, la TA à 90/60 mm Hg. Le toucher rectal montre des selles normales. Les examens biologiques montrent : Hb 10,5 g/dL, VGM 105 fL, plaquettes 65000/µL, TP 45%, facteur V 55%, bilirubinémie 40 µM, AST 55 UI/L, ALT 35 UI/L, GGT 155 UI/L, PAL 80 UI/L (N 95 UI/L), albumine 27 g/L, gammaglobulines 22 g/L avec un bloc béta-gamma. L’AgHBs est absent, la sérologie de l’hépatite C négative. La créatininémie est à 70 µM, la glycémie à 6,6 mM, la natrémie à 130 mEq/L, la kaliémie à 3,8 mEq/L, il n’y a pas de protéinurie détectable, la natriurèse est à 5mEq/L.
Quels sont les arguments en faveur d’une cirrhose ?
La conjonction d’un foie dur, de signes d’insuffisance hépatique (angiomes, érythème palmaire, baisse du TP et du facteur V, hyperbilirubinémie, hypoalbuminémie) et d’hypertension portale (ascite, circulation veineuse collatérale, thrombopénie) , bloc beta-gamma (lié à une augmentation des IgA).
Quels sont les arguments en faveur de l’origine alcoolique de la cirrhose ?
Avant tout l’interrogatoire, mais aussi la maladie de Dupuytren et l’hypertrophie parotidienne. La macrocytose perd de sa valeur indicative d’alcoolismeen cas de cirrhose. L’augmentation de la GGT est modérée (sans doute parce que le malade s’est spontanément sevré depuis 2 mois).
Y a-t-il des arguments en faveur d’une hépatite alcoolique sévère ? Comment confirmer le diagnostic d’hépatite alcoolique aiguë ? Dans quel but ?
Le score de Maddrey qui repose sur la bilirubinémie et le TP est probablement assez élevé (pour le calculer il faudrait disposer du temps de Quick exprimé en secondes pour le témoin et le malade). Pour confirmer le diagnostic d’ HAA une biopsie hépatique (ici par voir transveineuse) est nécessaire, pour mettre en route la corticothérapie, après avoir éliminé (ou traité) une infection bactérienne.
Que recherche-t-on sur l’échographie faite chez ce malade ?
Une dysmorphie hépatique (foie bosselé, atrophie ou hypertrophie d’un lobe ou d’un segment [notamment du segment I]), la mesure de la taille du foie, la perméabilité du système porte et le sens de circulation du sang portal (hépatopète ou hépatofuge), des signes d’ hypertension portale (dilatation de la veine porte, anastomoses porto-caves spontanées, splénomégalie), l’existence d’une ascite (et le repérage du point de ponction si besoin), une tumeur hépatique, une hyperéchogénicité diffuse évoquant une stéatose.
Quel est le premier geste à faire ?
Une ponction d’ascite pour analyser le liquide dans un but diagnostique (première poussée d’ascite) et éliminer une infection : aspect, protides (éventuellement albumine), lipase, numération et formule des éléments de l’ascite, culture par ensemencement direct sur des flacons d’hémoculture aéro et anaérobie.
Quel traitement de première intention proposez-vous pour l’ascite ?
Une ponction d’ascite évacuatrice de grand volume parce que l’ascite est tendue, associée à la perfusion d’albumine (6g/litre d’ascite évacuée).
Quel traitement proposez-vous pour éviter la récidive de l’ ascite ?
L’association d’un régime pauvre en sodium et d’un traitement diurétique (autorisé par l’absence d’autre complication-vérifier notamment l’absence d’infection-, la normalité de la fonction rénale, du ionogramme). On peut commencer soit par de la spironolactone seule (parce que c’est la première poussée d’ascite), 100 mg/j, soit plutôt par l’association d’emblée de spironolactone (50-100 mg/j) et de furosémide (20 mg/j) en surveillance la clinique (poids, encéphalopathie), la fonction rénale et l’ionogramme 2 fois par semaine.
Quel est le déterminant majeur de la survie de ce patient ?
La gravité de la cirrhose et le traitement de sa cause. La gravité de la cirrhose doit être évaluée par le score de Child-Pugh (ici 1+3+2+3+2= 11 , soit un stade C) et le score de MELD (qu’on ne peut calculer ici parce qu’on n’a pas l’ INR) ; il est probable que ce patient doive faire envisager une transplantation hépatique. Le traitement de la cause de la cirrhose repose ici sur l’obtention et le maintien de l’abstinence alcoolique qui peut permettre une amélioration des fonctions hépatiques, augmente la survie, et est une condition nécessaire à l’inscription sur liste d’attente de transplantation si celle-ci est jugée nécessaire. La demande d’abstinence commence par une information claire et loyale, peut (doit ?) être renforcée par le recours aux équipes d’addictologie, et utiliser si besoin des traitements médicamenteux spécifiques.

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