Vous êtes de garde aux urgences et vous recevez Mme J., 67 ans, qui consulte car elle vomit sans arrêt depuis 48 heures. Elle ne peut plus s’alimenter, pas même boire un verre d’eau. Elle vous dit avoir le ventre gonflé, douloureux et n’avoir pas été à la selle depuis 24 heures.

Elle n’a pas d’antécédent familial ni personnel. Elle prend occasionnellement du paracétamol en cas de douleurs et fume 3 cigarettes par jour.

Ses constantes sont les suivantes : pression artérielle = 159/86 mmHg ; fréquence cardiaque = 100 battements par minute ; température (T°) = 37,3 °C ; saturation en oxygène = 96 % en air ambiant.
Question 1 - Devant ce tableau, quel(s) signe(s) clinique(s) viendraient conforter votre hypothèse diagnostique principale ?
Le météorisme abdominal est un ballonnement abdominal lié à un excès de gaz dans la lumière intestinale.
Une contracture abdominale survient lors d’une inflammation du péritoine, aussi appelée péritonite, qui peut être primaire ou secondaire. Elle est due à une contraction des muscles de la paroi abdominale. On appelle aussi cela le « ventre de bois ».
 À la percussion, on peut distinguer soit une matité, soit un tympanisme. Une matité abdominale est présente lorsqu’il y a du liquide dans le ventre (comme de l’ascite). Elle est le plus souvent déclive en raison de la gravité. Un tympanisme survient quand il y a un excès d’air dans le système digestif.
Le signe de Murphy correspond à une douleur à la palpation de l’hypochondre droit. Il traduit le plus souvent une cholécystite.
Physiologiquement, les intestins se contractent continuellement, ce qui se traduit par des bruits hydro-aériques qu’on entend au stéthoscope. Quand il y a une diminution de la contraction intestinale pour n’importe quelle raison, les bruits hydro-aériques diminuent et peuvent même être abolis.
Ici, la patiente a une absence de gaz et selles depuis 24 heures associée à des vomissements, une distension abdominale et des douleurs : c’est le tableau d’une occlusion digestive.
On s’attend dans ce cas à avoir cliniquement :
– une distension ou un météorisme abdominal, qui traduit l’impossibilité d’évacuer l’air ;
– un tympanisme à la percussion ;
– une abolition des bruits hydro-aériques car les intestins ne se contractent plus ;
– parfois une défense ou une contracture, lorsque le tableau clinique est avancé.
L’abdomen de Mme J. est distendu, tympanique à la percussion. Vous n’entendez aucun bruit hydro-aérique. Vous demandez un scanner abdomino-pelvien dont voici une coupe :

 

Figure 1 (Élisabeth Capelle, La Revue du Praticien)
Question 2 - Après avoir analysé cette coupe de scanner, vous pouvez dire que :  
Pas de dilatation des voies biliaires sur le scanner, on les voit à peine.
Typique de l’occlusion digestive sur tumeur.
On voit une jonction côlon plat-colon dilaté confirmant notre diagnostic.
La lumière colique droite est remplie par des selles.
Il est injecté au temps portal. Lorsque l’injection est au temps artériel, les artères sont d’une densité aussi importante que les os.

 

Figure 2 (Élisabeth Capelle, La Revue du Praticien)
Après avoir vu le scanner, vous faites un diagnostic d’occlusion digestive sur probable tumeur colique.
Question 3 - Quel(s) traitement(s) instaurez-vous ?
Cela permettra de limiter les vomissements et prévenir la pneumopathie d’inhalation.
La prise alimentaire entraînera une persistance des vomissements.
Il faut éviter la déshydratation du patient. Physiologiquement, les sécrétions digestives, l’eau, les ions sont réabsorbés tout au long du tube digestif. Quand on est occlus, les sécrétions persistent mais on ne réabsorbe rien.
Pas d’indication à une antibiothérapie.
On donne une corticothérapie lors d’une occlusion sur nodule de carcinose.
Le traitement d’une occlusion digestive repose sur des mesures communes et des mesures spécifiques à la cause.
Les mesures communes sont :
– pose d’une sonde nasogastrique en aspiration douce pour aspirer les sécrétions digestives gastriques et les résidus alimentaires ;
– hydratation intraveineuse ;
– compensations des pertes digestives volume à volume à partir de 500 mL d’aspiration (on regarde combien de sécrétions ont été aspirées dans la poche de recueil et on perfuse le même volume de Ringer Lactate ou NaCl 0,9 %).
Les mesures spécifiques selon la cause :
– prise en charge chirurgicale pour lever l’occlusion si obstacle bien limité. Attention, la chirurgie ne consiste pas forcément à retirer l’obstacle. Ici par exemple, on ne retire pas d’emblée la tumeur initiale. On réalise uniquement une colostomie (mise du colon à la peau) en amont de la tumeur pour rétablir le transit. Puis on fait le bilan d’extension de la maladie et on réfléchit au traitement en fonction ;
– en cas de carcinose péritonéale (occlusion à la suite d’un nodule de métastase péritonéale qui vient comprimer une anse digestive), pas de prise en charge chirurgicale car il y a souvent plusieurs nodules et on ne peut pas tous les réséquer. Traitement par corticothérapie pour diminuer l’inflammation locale et sandostatine pour diminuer les sécrétions digestives. 
Mme J. est opérée en urgence par les chirurgiens digestifs qui lui font une colostomie de décharge, en laissant en place la masse.
Les biopsies faites pendant la chirurgie mettent en évidence un adénocarcinome colique lieberkühnien bien différencié.
Question 4 - Quel(s) examen(s) organisez-vous afin de faire le bilan d’extension de cette tumeur ?
Lors d’une tumeur colique : 
– coloscopie obligatoire (après la chirurgie lors d’un tableau initial d’occlusion) afin de ne pas méconnaître la présence d’une seconde tumeur colique qui ne serait pas visible au scanner ;
– scanner thoraco-abdomino-pelvien. On a déjà fait le scanner abdomino-pelvien pour l’occlusion, on complète donc avec le thorax.
Ce sont les deux seuls examens indispensables.
Les autres examens ne sont pas indiqués dans le bilan d’extension premier du cancer colorectal
Le scanner thoracique met en évidence de multiples micronodules pulmonaires. En relisant le scanner abdomino-pelvien initial avec vos radiologues, vous relevez de multiples hypodensités hépatiques. Vous concluez à un cancer du côlon avec atteinte secondaire hépatique et pulmonaire.
Question 5 - Vous proposez comme option thérapeutique chez Mme J. (une ou plusieurs réponses exactes) : 
Mme J. a un cancer colorectal métastatique, qu’on ne pourra donc pas guérir. On entre donc dans une logique de chimiothérapie qu’on appelle palliative car elle ne permettra pas la guérison. Elle a pour but de ralentir la progression de la maladie et peut permettre de diminuer la taille des lésions.
La chimiothérapie néoadjuvante est une chimiothérapie qu’on fait avant un geste chirurgical pour diminuer la masse tumorale et ainsi faciliter la chirurgie. Ce traitement n’est envisageable qu’en cas de tumeur localisée, sans métastase. 
La radiothérapie est possible sur certaines métastases mais uniquement lorsqu’elles sont très localisées et en faible nombre, ce n’est pas le cas ici. 
La résection chirurgicale n’est pas envisageable ici car la maladie cancéreuse est trop disséminée.
La chimio-embolisation est une technique qui consiste à délivrer de la chimiothérapie dans la circulation hépatique directement à l’aide d’un cathéter qu’on met en place en radiologie dans une des artères hépatiques. C’est un traitement possible lorsqu’il existe seulement des métastases hépatiques et qu’elles sont en nombre limités. Il faudra de toute façon l’associer à une chimiothérapie systémique. 
La réunion de concertation d’oncologie digestive propose d’initier une chimiothérapie par Folfox (5-fluoro-uracile et oxaliplatine). 
Question 6 - Avant de débuter les cures de chimiothérapie, que demandez-vous comme examen(s) supplémentaire(s) ? 
Le Folfox est composé de deux molécules :
– le 5 fluoro-uracile : un antimétabolite. Il est nécessaire avant d’initier son traitement de doser l’uracilémie à la recherche d’un déficit d’activité de la dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD). Si le patient a un déficit, il n’éliminera pas correctement la molécule et à risque de toxicité majeure. Ce dosage est médicolégal. Son effet indésirable principal est le spasme coronarien mimant un infarctus du myocarde, au moment de la perfusion ;
– l’oxaliplatine : un sel de platine. Son effet indésirable majeur est la neuropathie périphérique touchant d’abord les extrémités et se manifestant par des fourmillements et une diminution de la sensibilité. Elle est déclenchée par le froid.
Avant une chimiothérapie, quel que soit son type, il faut faire des sérologies VHB, VHC afin de ne pas méconnaître une infection latente qui pourrait se réactiver sous chimiothérapie et une sérologie VIH pour ne pas passer à côté d’une autre cause d’immunodépression qui pourrait contre-indiquer temporairement la chimiothérapie. 
On ne fait pas systématiquement de Quantiféron à la recherche d’une tuberculose latente avant une chimiothérapie. Mais il faut vérifier les vaccinations.
On dose la vitamine B en pré-traitement afin de supplémenter une éventuelle carence, qui serait aggravée par la chimiothérapie.
Mme J. est inquiète pour ses enfants : elle a une fille de 45 ans et un fils de 30 ans.
Elle vous demande comment les surveiller au mieux.
Question 7 - Vous lui indiquez que (une ou plusieurs réponses exactes) :
Le cancer colorectal bénéficie d’un dépistage organisé pour la population générale : il s’agit du test fécal immunologique (FIT) qui détecte la présence de sang dans les selles. Il est à faire tous les deux de 50 à 74 ans. 
Lorsque l’on a un antécédent familial au premier degré de cancer colorectal, on sort de ce programme de dépistage organisé et on bénéficie d’un dépistage personnalisé. Il faut faire une coloscopie tous les 5 ans à partir de 45 ans. Le dépistage du cancer colorectal ne repose pas sur le scanner abdominopelvien.
Le syndrome de Lynch ou HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer) est causé par une mutation d’un gène du système de réparation de l’ADN. Il faut y penser chez les patients ayant une tumeur du spectre avant 60 ans. Les tumeurs du spectre Lynch sont les tumeurs coliques, grêliques, tumeur de l’endomètre ou des voies urinaires. On la cherche d’abord chez la personne concernée puis éventuellement chez ses descendants. Ici, il s’agit d’une tumeur colique chez une patiente de 67 ans, on ne cherchera donc pas systématiquement le syndrome de Lynch.

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