Un patient de 70 ans vous est adressé pour lombalgie aiguë hyperalgique. Il a pour principal antécédent une transplantation rénale pour néphroangiosclérose. Son traitement comprend : ciclosporine, azathioprine, prednisone, aspirine à dose antiagrégante plaquettaire, furosémide, irbésartan et rosuvastatine. Sa fonction rénale de base est estimée à un débit de filtration glomérulaire (DFG) autour de 50 mL/min. Il se plaint d’une lombalgie d’aggravation rapide depuis 7 jours, sans facteur déclenchant identifié. L’état général est conservé.
Question 1 - Quel signe clinique vous orienterait vers une complication de cette lombalgie aiguë (une ou plusieurs réponses exactes) ?
Les signes de complication d’une lombalgie sont essentiellement ceux évoquant une compression neurologique : à l’étage lombaire, il s’agit d’un syndrome de compression médullaire (si la compression est située au-dessus du cône terminal à peu près à hauteur de L2) ou de la queue de cheval (si elle est située en dessous).
La fièvre est un « drapeau rouge » en faveur d’une cause secondaire mais pas un signe de complication de la lombalgie. La consommation d’antalgiques de palier 3 n’est pas un signe de complication.
Il n’y a pas d’anomalie à l’examen neurologique. Le patient rapporte quelques épisodes de frissons, sans prise de température à domicile ni fièvre le jour où vous l’examinez. L’hémodynamique est stable. L’auscultation cardiaque ne révèle pas de souffle. L’examen cutané est normal. Le patient est partiellement soulagé par des antalgiques de palier 3 mais il existe une raideur rachidienne importante.
La biologie prescrite par le médecin généraliste révèle les résultats suivants : hémoglobine = 13,2 g/dL ; leucocytes = 13 000/mm3 ; polynucléaires neutrophiles = 9 500/mm3 ; lymphocytes = 1 700/mm3 ; plaquettes = 400 000/mm3 ; créatinine = 71  µmol/L ; sodium = 135 mmol/L ; potassium = 4,1 mmol/L ; aspartate aminotransférase (ASAT) = 17 U/L ; alanine aminotransférase (ALAT) = 21 U/L ; phosphatases alcalines (PAL) = 91 U/L ; gamma-glutamyl transférase (GGT) = 34 U/L ; protéine C réactive (CRP) = 79 mg/L.
Question 2 - Parmi les examens complémentaires suivants, indépendamment des conditions d’accès aux différents examens, lequel privilégiez-vous dans ce contexte (une seule réponse) ?
L’antécédent d’immunodépression, la corticothérapie au long cours et le syndrome inflammatoire biologique (dont la valeur sémiologique est comparable à la fièvre) sont deux « drapeaux rouges », donc il existe une indication à une imagerie rachidienne. L’examen privilégié dans ce contexte est l’IRM car elle permet de mieux apprécier la présence de signaux inflammatoires dans les différentes structures rachidiennes ainsi que les tissus mous.
L’IRM lombaire révèle un œdème en miroir des plateaux vertébraux inférieur de L3 et supérieur de L4 associé à un œdème du disque L3-L4. La hauteur des corps vertébraux est préservée. Il n’y a pas de collection péri-vertébrale.
Question 3 - Quel diagnostic vous semble le plus probable ?
Incompatible avec l’œdème discal.
Il n’est pas fait mention de déformations vertébrales.
L’image inflammatoire en miroir des plateaux vertébraux autour d’un disque de signal inflammatoire est caractéristique de la spondylodiscite.
Vous suspectez un diagnostic de spondylodiscite L3-L4 non compliquée.
Question 4 - Que proposez-vous ?
On n’administre jamais d’antibiothérapie probabiliste en urgence en l’absence de signe d’instabilité hémodynamique (exceptionnels dans ce contexte) car cela risque de négativer les prélèvements bactériologiques.
Il n’y a pas d’indication en l’absence d’argument clinique ou radiologique pour une compression des structures neurologiques adjacentes.
La documentation bactériologique de la spondylodiscite est nécessaire pour débuter une antibiothérapie adaptée. Les hémocultures sont faites systématiquement mais assez rarement positives. La réalisation d’un ECBU est recommandée mais souvent peu rentable. Le diagnostic bactériologique est généralement posé sur la biopsie disco-vertébrale.
Vous réalisez une biopsie disco-vertébrale qui revient positive à Streptococcus viridans (streptocoque oral) sensible à l’amoxicilline. Vous débutez l’antibiothérapie par amoxicilline intraveineuse.
Question 5 - Quelles mesures associées vous semblent indispensables ?
La recherche de porte d’entrée est systématique.
Pas d’indication si le germe n’est pas un germe digestif.
Systématique devant une spondylodiscite streptococcique.
Le corset rigide a un intérêt antalgique voire de prévention de l’angulation secondaire du rachis.
La rééducation a pour but la prévention de l’amyotrophie et des complications du décubitus.
Il ne faut pas oublier la recherche de porte d’entrée, au risque de récidive après traitement de la spondylodiscite en cas d’absence de traitement de la porte d’entrée. L’association spondylodiscite + endocardite infectieuse n’est pas exceptionnelle.
Il n’y a pas d’image de végétation valvulaire. Le patient débute la rééducation muni de son corset lombaire. L’hyperleucocytose diminue à 9 000/mm3 et la CRP à 21 mg/L. À 5 jours du début de l’antibiothérapie, le patient se plaint d’une douleur brutale à la cheville gauche. À l’examen, la cheville est gonflée, rouge, douloureuse et limitée. L’échographie articulaire révèle un épanchement tibio-talien. La biologie révèle des leucocytes à 10 000/mm3 et une CRP à 94 mg/L.
Question 6 - Que proposez-vous ?
Inutile car le germe est déjà documenté et origine probablement microcristalline.
Il s’agit d’un tableau de monoarthrite aiguë. Les principales hypothèses à évoquer sont une arthrite septique ou microcristalline. L’hypothèse septique est possible dans le contexte d’infection, et doit être recherchée par la ponction articulaire, cependant l’apparition sous antibiothérapie est plutôt en défaveur d’une origine septique et en faveur d’une origine microcristalline. Il n’y a pas d’indication à un lavage articulaire en l’absence d’arthrite septique authentifiée, car les arthrites aiguës microcristallines sont toujours spontanément résolutives.
Vous ponctionnez l’épanchement tibio-talien. Le liquide articulaire révèle 8 000 leucocytes par mm3 dont 78 % de polynucléaires neutrophiles. Il existe de nombreux cristaux d’urate monosodique. La culture est négative à 48 heures. L’uricémie est à 716 µmol/L. Vous concluez à une crise de goutte inaugurale.
Question 7 - Quelle prise en charge pouvez-vous envisager au vu des comorbidités et du traitement actuel du patient ?
L’association colchicine + ciclosporine expose au risque de surdosage en colchicine par inhibition du CYP3A4, d’autant plus qu’il existe une insuffisance rénale chronique.
L’insuffisance rénale chronique de stade 3 contre-indique les anti-inflammatoires non stéroïdiens.
La corticothérapie, qu’elle soit par voie générale ou locale, n’est pas dépourvue de risques chez un patient greffé donc immunodéprimé, mais les autres traitements oraux de la crise de goutte sont contre-indiqués.
L’association inhibiteur de la xanthine oxydase + azathioprine expose au risque d’insuffisance médullaire par inhibition du métabolisme de l’azathioprine.
Le déclenchement d’une arthrite microcristalline à la faveur d’une hospitalisation pour un événement aigu n’est pas exceptionnel. En l’occurrence, le patient a de nombreux facteurs de risque de goutte (insuffisance rénale chronique et trois traitements hyperuricémiants : le diurétique, l’aspirine à dose antiagrégante plaquettaire et la ciclosporine). Un relais de la ciclosporine et de l’azathioprine par d’autres immunosuppresseurs, interagissant moins respectivement avec l’uricémie et avec les traitements hypo-uricémiants, peut être envisagé. La colchicine est également contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale sévère.

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