De garde aux urgences générales, vous recevez Mme T, âgée de 75 ans, pour palpitations et dyspnée aiguë évoluant depuis 4 jours.

L’histoire est celle d’une dyspnée d’installation rapidement progressive sur les 4 derniers jours, évoluant jusqu’à une orthopnée, la motivant à consulter aux urgences.

À l’arrivée, la pression artérielle est à 165/95 mmHg, la fréquence cardiaque à 145/min, la saturation en air ambiant à 89 % et la température à 37,7 °C.

L’auscultation pulmonaire révèle des crépitants des deux tiers basaux des deux hémichamps pulmonaires. Le reste de l’examen physique est sans particularité.

L’électrocardiogramme (ECG) réalisé à l’entrée est le suivant :

Figure 1 (Source : collection personnelle D. Fard)
Question 1 - Le(s) diagnostic(s) exact(s) concernant cette situation clinique est (sont) :
Tableau de dyspnée aiguë crépitante
Pas de signes droits
Tachycardie irrégulière
Tachycardie irrégulière
Car désaturation en air ambiant
Vous êtes face à une dyspnée aiguë « crépitante » chez une patiente de 76 ans, avec hypertension artérielle (HTA) à la prise en charge, hors contexte fébrile. Le diagnostic le plus probable est donc celui d’œdème aigu du poumon, car toutes les conditions sont réunies :
– tableau d’apparition brutale ;
– associée à une HTA ;
– avec crépitants bilatéraux et symétriques.
Ce tableau d’œdème aigu du poumon se traduit effectivement par une insuffisance respiratoire aiguë puisque la saturation en oxygène en air ambiant est à 89 %. Pour rappel, lorsque la saturation est < 90 %, cela signifie que la pression partielle de l’oxygène (PaO2) véritable est < 60 mmHg. Il existe donc une hypoxémie, conséquence même de l’inondation alvéolaire par du liquide interstitiel. L’énoncé nous indique que « le reste de l’examen physique est sans particularité », il n’y a donc pas de signes d’insuffisance cardiaque droite.
L’électrocardiogramme déroule un rythme irrégulier à QRS larges, tachycarde. Le terme « irrégulier » est la clé du diagnostic. Le diagnostic de choix est donc la fibrillation atriale associée à un bloc de branche, ici gauche. Remarquez l’aspect un peu atypique du bloc de branche gauche car on ne voit pas bien l’aspect rSr’ en V5/V6 mais on le voit très bien en DI/aVL (aspect en « oreille de lapin »). C’est un peu atypique, mais cela peut se voir, donc pensez à regarder les dérivations DI et aVL lorsque vous avez des QRS larges.
Le diagnostic de tachycardie ventriculaire peut ici être éliminé par l’irrégularité des QRS (la tachycardie ventriculaire est une tachycardie régulière à QRS larges).
La radiographie thoracique confirme un aspect de surcharge bilatérale avec un épanchement pleural bibasal de faible abondance.
La biologie n’est pas encore disponible mais un gaz du sang artériel en air ambiant réalisé à l’arrivée montre : pH = 7,34 ; PaO2 = 57 mmHg ; PaCO2 = 51 mmHg ; bicarbonate = 25 mmol/L ; lactate = 2,9 mmol/L.
Question 2 - Le(s) traitement(s) suivant(s) doi(ven)t être entrepris rapidement :
Permis par la pression artérielle élevée
En raison des signes congestifs
En raison de l’acidose hypercapnique
Pas d’argument pour un syndrome coronarien aigu (SCA)
Pas de bêtabloquants en cas d’insuffisance cardiaque décompensée
Le gaz du sang artériel montre une acidose (pH < 7,38), associée à une hypoxémie (PaO2 < 80 mmHg) et une hypercapnie (PaCO2 > 40 mmHg). Le lactate est un peu élevé, ce qui en fait donc une acidose mixte (respiratoire, sur l’hypoventilation alvéolaire, et métabolique, sur l’élévation modérée du lactate en rapport avec l’hypoxémie). Lorsqu’il existe une telle acidose respiratoire, un traitement par ventilation non invasive est indiqué afin de restaurer les échanges gazeux. La pression positive générée par la ventilation non invasive va également permettre de « chasser » le fluide des alvéoles vers le secteur vasculaire.
Tableau 1 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

Ce qui va véritablement améliorer la patiente est la vasodilatation. En effet, dans l’œdème aigu pulmonaire, la pression atriale gauche est constamment élevée. Cela se répercute sur l’arbre pulmonaire et en premier lieu sur le capillaire pulmonaire. La pression augmente dans le capillaire, et du liquide va passer du secteur vasculaire au secteur alvéolaire : c’est l’œdème aigu du poumon. En vasodilatant la circulation générale (et pulmonaire !), on va réduire le retour veineux dans l’oreillette gauche (OG), et donc la pression atriale gauche. Cela va donc réduire la pression capillaire… et diminuer le passage du liquide entre le secteur vasculaire et le secteur alvéolaire. C’est donc un traitement qui améliore rapidement les patients, et qui doit être administré dès que la pression artérielle est normale ou élevée. Évidemment, ce traitement est systématiquement associé à un traitement diurétique.
Tableau 2 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)
Tableau 3 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

Il est possible de ralentir la patiente, ce qui va améliorer le remplissage (et donc l’éjection) du ventricule gauche en allongeant la diastole. Cependant, nous ne pouvons pas introduire de bêtabloquants chez une patiente en insuffisance cardiaque aiguë décompensée. Il faut donc utiliser de la digoxine en attendant la disparition des signes congestifs. Les bêtabloquants pourront alors être introduits.
Enfin, l’angioplastie coronaire n’a sa place qu’en cas de cause ischémique avérée. Ce n’est pas le cas ici, ou en tout cas nous n’avons pour l’instant aucun argument pour le penser. Ce traitement n’est donc pas indiqué pour l’instant.
La patiente est rapidement transférée en unité de soins intensifs cardiologiques (USIC). L’évolution est favorable après 2 séances de ventilation non invasive, déplétion intraveineuse et traitement vasodilatateur par isosorbide dinitrate. La pression artérielle est maintenant contrôlée et, au 3e jour, la patiente est sevrée en oxygène, sans signes congestifs persistants.
L’échographie cardiaque d’entrée montre un ventricule gauche très dilaté, avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 27 %. Il n’y a pas de valvulopathie significative. La fonction ventriculaire droite est conservée. La pression artérielle pulmonaire systolique estimée est à 27 mmHg sur le flux d’insuffisance tricuspide. Il n’y a pas d’épanchement péricardique.
La patiente vous informe qu’en réalité elle présente un diabète de type 2 et une HTA qu’elle a négligés ces cinq dernières années. Elle n’a jamais présenté de douleur thoracique auparavant. Le bilan biologique n’a pas montré d’élévation significative de la troponine. La fonction rénale est normale.
Question 3 - Le bilan étiologique devra comporter :
La maladie coronaire est la 1e cause d’insuffisance cardiaque
Recherche d’une dysthyroïdie
Pour le bilan étiologique de la dysfonction ventriculaire gauche
N’apporte rien au diagnostic
Pas d’argument pour une hypertension pulmonaire

Nous sommes donc face à une découverte de dysfonction ventriculaire gauche sévère, symptomatique.
Les étiologies de l’insuffisance cardiaque sont essentiellement représentées par : 1) la maladie coronaire (principale cause dans les pays industrialisés) ; 2) les causes toxiques (et notamment l’alcool et certaines chimiothérapies) ; 3) les maladies inflammatoires et auto-immunes (notamment le lupus) ; 4) les pathologies infiltratives (amylose, sarcoïdose) ; 5) les causes hormonales et métaboliques (dysthyroïdies, déficits en fer, en sélénium, en phosphates) ; 6) les causes génétiques. Les autres causes incluent essentiellement les arythmies (fibrillation atriale surtout) et les valvulopathies. La maladie coronaire étant la principale cause, une coronarographie est toujours indiquée. Le tableau ci-dessous synthétise toutes les étiologies de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée.
Tableau 4 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

Il faut donc également doser un bilan martial ainsi que la TSH :
Tableau 5 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

L’angioscanner artériel pulmonaire n’apportera pas d’éléments pertinents au diagnostic étiologique.
Le cathétérisme cardiaque droit est réservé à l’évaluation hémodynamique pré-greffe ou assistance circulatoire, ou s’il existe des arguments pour une hypertension pulmonaire sur l’échographie cardiaque (ce qui n’est pas le cas ici) :
Tableau 6 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

La coronarographie montre des lésions tritronculaires sévères avec notamment une lésion serrée du tronc commun distal, associée à une lésion serrée de l’artère circonflexe moyenne et de l’artère interventriculaire antérieure proximale. La coronaire droite est occluse à son segment proximal, reprise en partie par l’interventriculaire antérieure.
La surveillance scopée montre la persistance de la fibrillation atriale avec une fréquence moyenne aux alentours de 90/min.
Question 4 - L’ordonnance de sortie de cette patiente devra comporter :
Indiqué pour l'insuffisance cardiaque
Indiqué pour l’insuffisance cardiaque
Indiqué pour la fibrillation atriale
Non indiqué (patiente anticoagulée)
Non indiqué (patiente anticoagulée)
Le traitement classique de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée comporte en premier lieu des bêtabloquants et des IEC, titrés jusqu’à la dose maximale tolérée.
Tableau 7 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

La patiente est en fibrillation atriale, il faut donc calculer le score CHADS-VASc, qui ici est à 7 : âge de 75 ans (2 points), sexe féminin (1 point), maladie coronaire (1 point), dysfonction ventriculaire gauche (1 point), diabète (1 point) et HTA (1 point). Il y a donc une indication formelle et indiscutable à un traitement anticoagulant.
Tableau 8 (Source : recommandations de l’ESC 2016 sur la fibrillation atriale)

Nous avons mis en évidence une maladie coronaire mais celle-ci est stable (pas de mouvement de troponine, pas de douleur thoracique) : cette patiente n’a donc pas fait d’infarctus. Dans la mesure où elle est déjà anticoagulée, il n’y a pas d’indication à ajouter de l’aspirine ni un anti-P2Y12 (bien sûr, si elle n’avait pas eu d’anticoagulant, nous aurions mis de l’aspirine seule).
En staff multidisciplinaire, vous prenez la décision d’une revascularisation chirurgicale par pontages compte tenu de la dysfonction ventriculaire gauche et des lésions tritronculaires proximales. La chirurgie se déroule bien et vous revoyez la patiente à 3 mois. Celle-ci se dit toujours essoufflée, NYHA III sans autre symptomatologie et en particulier pas de douleur thoracique. L’examen physique est sans particularité.
Son traitement comporte maintenant : bisoprolol 10 mg/j ; ramipril 10 mg/j ; éplérénone 50 mg/j ; atorvastatine 40 mg/j ; rivaroxaban 20 mg/j ; furosémide 60 mg/j ; meftormine 1 000 mg x 3/j.
L’ECG déroule une fibrillation atriale ralentie à 75/min, avec un bloc de branche gauche complet à 175 ms.
L’échographie transthoracique (ETT) pratiquée montre la persistance de la dysfonction ventriculaire gauche avec une FEVG évaluée à 31 %.
La pression artérielle est à 111/80 mmHg.
Question 5 - Concernant l’adaptation du traitement de l’insuffisance cardiaque :
Impossible car fibrillation atriale
Il est trop tôt pour cela
C’est une excellente indication (QRS larges)
Il faut REMPLACER l’IEC par du sacubitril/valsartan
Il n’y a pas d’argument pour une déstabilisation de la maladie coronaire
Cette question fait appel au déroulé de l’algorithme de traitement de l’insuffisance cardiaque :
Tableau 9 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

Nous sommes à la 2e étape : le bisoprolol et le ramipril sont à la dose maximale, et il en est de même pour l’éplérénone (rappel des doses maximales dans le tableau ci-dessous).
Tableau 10 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

En dépit de cette trithérapie, la patiente reste symptomatique avec une FEVG < 35 %. Nos options sont donc :
– une thérapie de resynchronisation (CRT), ce qui est possible car les QRS sont larges à plus de 130 ms ;
– l’ajout d’ivabradine, ce qui n’est pas possible car la patiente est en fibrillation atriale et l’ivabradine ne peut être prescrite qu’en rythme sinusal ;
– le switch de l’IEC par le sacubitril/valsartant (et non l’ajout !!!!).
Tableau 11 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)

Il n’y a pas d’argument pour une déstabilisation de la maladie coronaire (pas de douleur, pas de dégradation de la FEVG), donc il n’y a aucune indication à un contrôle coronarographique.
De même, nous ne sommes pas encore au maximum de toutes les possibilités thérapeutiques, donc il faut attendre avant de proposer la transplantation cardiaque.
Vous remplacez le ramipril par du sacubitril/valsartan et la patiente est implantée d’un pacemaker triple chambre, avec thérapie de resynchronisation. Ses symptômes sont bien améliorés et la situation clinique se stabilise.
Question 6 - Concernant la thérapie de resynchronisation :
Oui, car c’est ce qui cause la désynchronisation
Elle n’est pas contre-indiquée mais peut être moins efficace
Non, on peut implanter un pacemaker triple qui ne fait pas défibrillateur (par contre, tous les défibrillateurs font pacemaker)
Non, il est nécessaire que la FEVG soit 35 %
Lorsque les QRS s’élargissent (bloc de branche), la contraction du ventricule gauche devient désynchronisée par rapport à celle du ventricule droit. Ceci peut contribuer à entretenir les symptômes. Lorsque le traitement médical est maximal et que les patients restent symptomatiques, on peut donc leur proposer de les resynchroniser, c’est-à-dire d’utiliser un dispositif qui va « forcer » les 2 ventricules à se contracter « en même temps ». Il s’agit d’une thérapie de resynchronisation. Cette thérapie consiste en un pacemaker avec une sonde dans le ventricule droit, et une sonde dans le ventricule gauche (au moins ; il peut y avoir une 3e sonde dans l’oreillette droite, ce qui fait un pacemaker triple chambre).
Si cela est indiqué, on peut implanter un défibrillateur automatique implantable en prévention primaire. Ce n’est ni plus ni moins qu’un pacemaker qui a en plus une fonction de défibrillation (donc tous les défibrillateurs sont des pacemakers, l’inverse n’est pas vrai). Les subtilités entre pacemaker, resynchronisation et défibrillateur sont résumées dans le tableau ci-dessous.
Tableau 12 (Source : collection personnelle D. Fard)

La meilleure indication de resynchronisation (et c’est celle que vous devez le mieux connaître pour les ECN car la plus « tombable » si une telle question vous est posée !!) est le bloc de branche gauche (LBBB) > 150 ms chez un patient avec FEVG < 35 % en dépit d’un traitement médical optimal (OMT) et restant symptomatique.
Tableau 13 (Source : recommandations de l’European Society of Cardiology (ESC) 2016 sur l’insuffisance cardiaque)
La patiente vous montre le résultat de son bilan biologique. Le LDL-cholestérol est dosé à 0,47 g/L.
Question 7 - La cible de LDL-cholestérol chez cette patiente est :
Attention ! Les recommandations ont changé en 2019 concernant la cible du LDL-cholestérol.
Pour déterminer la cible de LDL-cholestérol, il faut d’abord stratifier le risque cardiovasculaire des patients.
Tableau 14 (Source : recommandations de l’ESC 2019 sur les dyslipidémies)

Pour les patients à très haut risque comme ici (maladie coronaire connue), la cible de LDL-cholestérol est dorénavant de 0,55 g/L (tableau ci-dessous) car il a été démontré que, plus le LDL-cholestérol était bas, plus la mortalité était faible.
Tableau 15 (Source : recommandations de l’ESC 2019 sur les dyslipidémies)

Pour les autres patients :
– bas risque : cible < 1,16 g/L (traitement immédiat au-delà de 1,90 g/L) ;
– risque intermédiaire : cible < 1,00 g/L (traitement immédiat au-delà de 1,90 g/L) ;
– risque élevé : cible < 0,7 g/L (traitement immédiat au-delà de 1,00 g/L) ;
– très haut risque : cible < 0,55 g/L (traitement immédiat au-delà de 0,7 g/L).

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