Mme N., 42 ans, secrétaire dans un garage automobile, consulte au service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) pour une douleur épigastrique ayant débuté il y a 3 jours, alors qu’elle rentrait de son dîner d’anniversaire. Elle est célibataire, n’a pas d’enfant. Elle dit prendre un traitement contre la tension (lercanidipine 20 mg) et un traitement contre le cholestérol (atorvastatine 40 mg). Elle pèse 115 kg pour 1,59 m, soit un indice de masse corporelle (IMC) de 45,5 kg/m2.

En l’interrogeant plus précisément, elle décrit une douleur épigastrique et en hyponchondre droit, irradiant dans le dos, majorée par la respiration.

Ses constantes : tension artérielle (TA) à 140/85 mmHg ; fréquence cardiaque (FC) à 100 bpm ; saturation en oxygène (SpO2) à 97 % et température (T°) à 38,6 °C.
Question 1 - Vous recherchez un ou des diagnostic(s) compatible(s) avec ce que Mme N. a décrit à l’interrogatoire.
La douleur ulcéreuse est épigastrique, calmée par la prise alimentaire, mais n’irradie pas et n’est pas influencée par la respiration.
Il faut y penser systématiquement devant une douleur épigastrique mais le fait que la douleur n’irradie pas dans le bras ni la mâchoire n’est pas en faveur de ce diagnostic. La douleur allant dans l’hyponchondre droit et exacerbée par la respiration est un des éléments contre l’origine cardiaque.
La cholécystite se traduit par un syndrome infectieux avec une douleur de l’hypochondre droit. C’est une possibilité.
La douleur de la pancréatite est épigastrique irradiant dans le dos, majorée par la respiration profonde et la position antalgique est en chien de fusil.
L’absence d’altération de l’état général et la douleur apparaissant après un repas gras il y a 3 jours n’est pas en faveur de ce diagnostic. Le cancer du pancréas n’entraîne des douleurs souvent qu’à un stade très avancé, qui sont plus progressives.
Question 2 - Vous évoquez le diagnostic de pancréatite aiguë. Vous souhaitez réaliser des examens biologiques pour étayer votre diagnostic :
Le dosage de l’amylase est inutile au diagnostic de pancréatite aiguë.
Vrai.
L’origine alcoolique de la pancréatite ne se diagnostique pas sur une alcoolémie mais à l’interrogatoire. De plus, elle n’est pas forcément positive lors de la pancréatite aiguë alcoolique : parfois lorsqu’elle survient sur un terrain de pancréatite chronique les patients peuvent se présenter après plusieurs jours de douleurs et ont arrêté de boire à cause de douleurs.
Le bilan hépatique est indispensable. Si la pancréatite aiguë est une lithiase, il y aura une cytolyse hépatique prédominant sur les ASAT les 24 premières heures, puis sur les ALAT. Une augmentation de la bilirubinémie peut aussi être possible lorsqu’il y a une angiocholite associée à la pancréatite.
Pour faire le diagnostic de pancréatite aiguë, le seul examen nécessaire est le dosage de la lipase.
Les autres examens biologiques vous aideront à déterminer la cause de la pancréatite aiguë.
 
Causes de pancréatite aiguë :
– lithiasique : la plus fréquente ; 
– alcoolique : elle survient le plus souvent sur un terrain de pancréatite alcoolique chronique mais peut aussi exister en dehors de l’alcoolisme chronique, sur alcoolisation aiguë massive (beaucoup plus rare).
Ces 2 causes représentent environ 80 % des pancréatiques aiguës.
– hypertriglycéridémie : cause plus rare mais à ne pas oublier, les triglycérides baissent très rapidement après l’événement aigu, il est donc essentiel de les doser dans le bilan initial ;
– médicamenteuses : azathioprine ;
– hypercalcémie ;
– auto-immune : pancréatite à IgG4 ;
– génétique : CFTR (gène de la mucoviscidose, qui peut être responsable de pancréatite aiguë).
Ces deux dernières étiologies sont plus rares et à rechercher chez des patients ayant une pancréatite sans cause évidente uniquement.
La biologie montre un syndrome inflammatoire avec des leucocytes à 30 G/L dont 20 G/L de polynucléaires neutrophiles (PNN) et une protéine C réactive (CRP) à 250 mg/L. La lipase à 1 084 UI/L (N : 5-70), le bilan hépatique montre une cytolyse à 8N prédominant sur les ALAT et une bilirubinémie augmentée à 117 μmol/L, des gamma GT à 300 UI/L et des phosphatases alcalines (PAL) à 200 UI/L. Le taux de prothrombine (TP) est abaissé à 50 %, le temps de céphaline activée (TCA) est normal ainsi que le facteur V. Les triglycérides sont normaux ainsi que la calcémie.
Question 3 - Concernant la biologique de Mme N. :
Pour le diagnostic de pancréatite aiguë, il faut une lipase > 3N associée à une douleur épigastrique. Aucune imagerie n’est nécessaire. Ici, le diagnostic est donc fait.
Le scanner abdomino-pelvien doit être réalisé à 48-72 h des douleurs et pas avant, pour ne pas sous-estimer la gravité de la pancréatite aiguë. Ici, Mme N. a mal depuis 3 jours, nous sommes donc dans les délais.
Il n’y a aucune corrélation entre la gravité de la pancréatite aiguë et la valeur de la lipase.
Oui. Mme N. a la triade douleur, fièvre et ictère (bilirubine à 116 μmol/L), ce qui signifie qu’elle est également en angiocholite. Le calcul est donc situé dans la papille et bloque à la fois le canal cholédoque et le canal de Wirsung.
Oui. Ici, le TP est abaissé car la bilirubine augmentée empêche l’absorption de la vitamine K et donc la synthèse des facteurs X, IX, VII et II.
Voici les coupes de scanner de Mme N. (figures 1 et 2) :
Figure 1 (source : PACS-CHSD)
Figure 2 (source : PACS-CHSD)
Question 4 - Vous déduisez de ces 2 coupes scannographiques que :
Les voies biliaires sont trop bien visibles sur la première coupe, ce qui signifie qu’elles sont dilatées.
Il y a un élargissement du pancréas.
Il y a des coulées de nécrose.
Voici la correction :
Correction figure 1 (source : PACS-CHSD)
Correction figure 2 (source : PACS-CHSD)
Le radiologue vous rend le compte-rendu du scanner : aspect tomodensitométrique compatible avec une pancréatite aiguë de stade E de Balthazar modifiée (score de CTSI = 4), associée à une angiocholite aiguë avec présence d’un calcul de 6 mm enclavé au niveau de la papille.
Question 5 - Concernant votre prise en charge :
Mme N. est obèse et sa CRP est > 150 mg : 2 critères de gravité de la pancréatite aiguë. Elle a également un SIRS (leucocytes > 12 G/L, fièvre > 38 °C et tachycardie > 90 bpm), elle doit donc être dans un service de soins continus.
Si la pancréatite aiguë est associée à une angiocholite, il y a une indication à réaliser une cholangiopancréatographie rétrograde endoscopique (CPRE) en urgence avec sphinctérotomie pour aller lever l’obstacle. Lors de la CPRE, l’endoscopiste retirera le calcul en cathétérisant la papille et réalisera une sphinctérotomie afin d’éviter qu’un nouveau calcul se « coince ».
Oui, car Mme N. est en angiocholite.
Pas d’indication. Mme N. est tachycarde, mais a une tension normale.
Devant la pancréatite aiguë lithiasique associée à une angiocholite, vous avez initié une antibiothérapie par ceftriaxone + métronidazole et adressé Mme N. en endoscopie interventionnelle pour sphinctérotomie avec retrait du calcul enclavé.
Après 48 h de surveillance en soins continus, elle est désormais hospitalisée dans votre service de gastro-entérologie.
Question 6 - Concernant la suite de la prise en charge :
Non. La pancréatite aiguë étant sévère, il y aura trop d’inflammation dans la cavité abdominale pour permettre une cicatrisation optimale. Il faut attendre au moins 4 semaines pendant lesquelles la patiente sera sous nutrition entérale et réaliser ensuite un scanner de contrôle afin de vérifier que la nécrose a disparu. Si c’est le cas, on pourra alors réaliser une cholécystectomie, traitement étiologique nécessaire pour éviter la récidive.
Non. La nutrition parentérale est source de complications infectieuses très fréquentes et est à éviter dès que possible. Ici, le tube digestif de Mme N. est fonctionnel, c’est une nutrition entérale par sonde nasogastrique qu’il faut instaurer. La nutrition entérale n’entraîne pas de contraction de la vésicule et permet de mettre le tube digestif au repos.
Non, il faut les poursuivre au moins 7 jours.
Oui, car Mme N. a une pancréatite aiguë sévère. La nutrition entérale va diminuer le risque d’infection de la nécrose en limitant le risque de translocation bactérienne.
Non. C’est la clinique et la biologie qui permettront de juger de la levée de l’obstacle : régression de l’ictère et de la cytolyse, diminution des douleurs.
Mme N. est maintenant à J12 de sa pancréatite aiguë. Elle n’a plus d’antibiotique, tolère bien sa nutrition entérale et ses douleurs ont disparu.
Le matin, en arrivant, l’infirmière vous signale que Mme N. est en sueurs et a une douleur abdominale diffuse.
Ses constantes : T° = 38,5 °C ; FC = 110 bpm ; TA = 150/80 mmHg.
Question 7 - Concernant votre attitude thérapeutique :
C’est la complication à suspecter devant la dégradation de la patiente. L’infection des coulées de nécrose survient généralement 10 jours après la pancréatite aiguë.
Pas d’antibiothérapie sans documentation bactériologique dans la surinfection de coulées de nécrose. Il faudra aller drainer la coulée de nécrose en endoscopie interventionnelle et envoyer du matériel en bactériologie pour obtenir un germe et initier une antibiothérapie adaptée.
Il faut réaliser un bilan infectieux complet.
C’est la présence de bulles d’air au sein de la coulée de nécrose qui signera l’infection au scanner.
Le pseudokyste correspond à une organisation de la nécrose en collection. Il survient classiquement dans les 4 semaines après la pancréatite. Il peut entraîner des douleurs ou être asymptomatique, mais ne se manifeste classiquement pas par de la fièvre.

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