Vous recevez en consultation de rhumatologie un patient de 74 ans adressé pour découverte de fracture vertébrale. Il a pour seul antécédent un accident ischémique transitoire cérébelleux sans séquelles, pour lequel il est traité par aspirine à doses antiagrégantes. Il avait consulté son médecin traitant pour des lombalgies d’aggravation progressive depuis 3 semaines. Il vous montre un scanner du rachis lombaire réalisé la veille qui révèle une fracture vertébrale L1 avec recul du mur postérieur. À l’interrogatoire, il n’y a pas eu de facteur déclenchant. La douleur est d’horaire mécanique, d’aggravation progressive. Le patient prend du kétoprofène en automédication sans efficacité sur les douleurs.
Question 1 - Quels arguments parmi les suivants vous font évoquer une fracture pathologique ?
L’âge et l’aggravation progressive sont des « drapeaux rouges » des lombalgies devant faire évoquer une cause secondaire. Les fractures ostéoporotiques siègent habituellement entre T4 et L4, ce serait donc une localisation au-dessus de T4 (ou en L5) qui ferait évoquer une ostéopathie fragilisante secondaire. Le recul du mur postérieur est le plus souvent un signe de fracture pathologique, même s’il peut se retrouver de manière plus rare dans les fractures ostéoporotiques.
Question 2 - Quels éléments de gravité recherchez-vous à l’examen clinique ?
Une fracture vertébrale, d’autant plus en cas de recul du mur postérieur, doit faire rechercher des signes de compression neurologique : compression médullaire au-dessus de L2, compression des racines de la queue de cheval en-dessous de L2. Le signe de Lasègue est un signe de conflit discoradiculaire.
Le patient est apyrétique. Les paramètres vitaux sont normaux. Il existe une douleur lombaire à la palpation et à la percussion des épineuses, sans irradiation. Les réflexes ostéotendineux sont normaux. Il n’y a pas de déficit moteur. Il n’y a pas de troubles sphinctériens ni d’hypoesthésie périnéale.
Question 3 - Vous hospitalisez le patient pour bilan étiologique de cette fracture vertébrale. Quels éléments d’orientation étiologique vous semble-t-il pertinent de rechercher à l’interrogatoire et à l’examen clinique ?
Facteur de risque de cancer du poumon et d’ostéoporose.
Cause d’ostéoporose secondaire.
Recherche d’arguments pour un primitif néoplasique.
Peut s’intégrer dans un hypogonadisme, cause d’ostéoporose secondaire.
Recherche d’arguments pour un primitif néoplasique.
On recherche des arguments pour une ostéopathie fragilisante maligne (myélome, métastases osseuses) ou bénigne (hyperparathyroïdie primitive, insuffisance rénale chronique, ostéomalacie, endocrinopathies non parathyroïdiennes…).
Le patient n’a jamais fumé, n’a jamais pris de traitement pourvoyeur d’ostéoporose. Il est à jour pour le dépistage organisé du cancer colorectal qui est négatif.
Il signale une altération de l’état général avec asthénie, anorexie sans dysphagie, et perte de 10 kg en 3 semaines. Il met la perte de poids sur le compte de la difficulté à faire les courses et à cuisiner, en rapport avec la lombalgie mécanique. Il ne se plaint pas d’autre signe fonctionnel.
Hormis l’examen lombaire, l’examen clinique est normal, en particulier l’auscultation cardiopulmonaire et le toucher rectal.
Question 4 - Quels examens biologiques parmi les suivants demandez-vous pour avancer dans le diagnostic étiologique ?
Recherche d’arguments pour un myélome.
Recherche d’arguments pour un myélome.
Recherche d’arguments pour une insuffisance rénale chronique, un myélome.
Recherche d’arguments pour un myélome.
Recherche d’arguments principalement pour une hyperparathyroïdie primitive (hypercalcémie, hypophosphatémie), une ostéolyse (hypercalcémie, hyperphosphatémie), une insuffisance rénale chronique (hypocalcémie, hyperphosphatémie), une carence en vitamine D (hypocalcémie, hypophosphatémie).
Voici les premiers résultats du bilan que vous avez demandé :
– hémoglobine (Hb) = 7,6 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 95 fL ; réticulocytes = 62 000/mm3 ; leucocytes = 7 500/mm3 dont polynucléaires neutrophiles (PNN) 3 300/mm3 et lymphocytes 1 250/mm3 ; plaquettes 174 000/mm3 ;
– taux de prothrombine (TP) = 97 % ; temps de céphaline activée (TCA) = 1,04 ;
– vitesse de sédimentation (VS) = 23 mm ; protéine C réactive (CRP) = 1 mg/L ;
– sodium (Na) = 141 mmol/L ; potassium (K) = 4,7 mmol/L ; bicarbonate = 24 mmol/L ; urée = 10,7 mmol/L ; créatinine = 201 µmol/L ; calcium = 2,44 mmol/L ; albumine = 48 g/L ; phosphates = 1,14 mmol/L ;
– aspartate aminotransférase (ASAT) = 37 U/L (N 10-45) ; alanine aminotransférase (ALAT) = 30 U/L (N 10-45) ; gamma GT = 31 U/L (N 7-55) ; phosphatases alcalines (PAL) = 59 U/L (N 35-120) ; bilirubine totale = 5,8 µmol/L ;
– bandelette urinaire négative ;
– électrocardiogramme normal.
Question 5 - Quelles mesures prenez-vous parmi les suivantes ?
L’anémie à 7,6 g/dL, d’ancienneté inconnue (même arégénérative), doit faire éliminer de principe un saignement actif.
En l’absence de mauvaise tolérance et en l’absence de cardiopathie ischémique, il n’y a pas d’indication à une transfusion de culots globulaires en urgence.
L’insuffisance rénale doit faire éliminer de principe une cause obstructive.
Il n’y a pas de critère de dialyse en urgence.
La prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) est déjà risquée chez ce patient à haut risque de complications gastroduodénales (l’âge > 65 ans et la coprescription d’aspirine étant 2 critères indiquant la prescription d’un inhibiteur de la pompe à protons). L’insuffisance rénale contre-indique sa poursuite.
Vous ne mettez pas en évidence d’argument pour un saignement actif.
L’électrophorèse des protéines sériques révèle les résultats suivants : albumine = 39 g/L (N 35-45) ; alpha-1 globulines = 2,9 g/L (N 2.1-3.5) ; alpha-2 globulines = 8,0 g/L (5.1-8.5) ; bêta-1 globulines = 4,4 g/L (N 3.4-5.2) ; bêta-2 globulines = 2,4 g/L (N 2.3-4.7) ; gamma globulines = 2,8 g/L (N 8.0-13.5). La ferritine, les vitamines B9 et B12 et la TSH (thyroid-stimulating hormone) sont normales.
L’échographie rénale ne révèle pas de dilatation des cavités pyélocalicielles. Les reins sont de taille normale.
Vous réalisez également un scanner thoraco-abdomino-pelvien, sans injection du fait de l’insuffisance rénale, qui ne révèle pas d’autre anomalie que la fracture vertébrale L1.
Question 6 - À ce stade, quel examen complémentaire vous semble le plus pertinent pour confirmer votre principale hypothèse diagnostique en ce qui concerne la fracture vertébrale (une seule réponse) ?
Une hyperparathyroïdie n’est pas la principale hypothèse diagnostique au vu du bilan phosphocalcique normal.
Il est peu probable que l’insuffisance rénale soit chronique (bilan phosphocalcique normal, reins de taille normale), donc très peu probable qu’elle soit à l’origine de la fracture vertébrale. Par ailleurs, il faut d’abord les résultats des examens urinaires (ionogramme urinaire, examen cytobactériologique des urines [ECBU], protéinurie) avant d’envisager la biopsie rénale.
L’hypogammaglobulinémie profonde associée à une fracture d’allure pathologique doit faire évoquer un myélome à chaînes légères.
Pas en première intention.
Permettrait, dans le contexte de suspicion de myélome, de rechercher une amylose AL, mais pas de confirmer le diagnostic étiologique de la fracture vertébrale.
L’hypogammaglobulinémie profonde (sans hypoalbuminémie donc en défaveur d’un excès de pertes) associée à une fracture d’allure pathologique doit faire évoquer un myélome à chaînes légères. En cas de négativité du myélogramme et de forte suspicion diagnostique de myélome, une biopsie ostéomédullaire pourra être réalisée.
Devant l’association d’une fracture vertébrale et d’une hypogammaglobulinémie profonde, vous avez évoqué un myélome à chaînes légères.
Le myélogramme révèle une moelle riche infiltrée par 57 % de plasmocytes dystrophiques.
L’immunofixation sérique révèle la présence de chaînes légères libres monoclonales lambda dans le sérum.
Le dosage des chaînes légères libres kappa est à 14,9 mg/L (N 3.3-19.4) et lambda à 48,15 mg/L (N 5.7-26.4).
Le diagnostic de myélome à chaînes légères lambda est confirmé.
En ce qui concerne l’insuffisance rénale aiguë, l’ionogramme urinaire révèle une natriurèse à 46 mmol/L et une kaliurèse à 32 mmol/L. L’ECBU ne révèle ni leucocyturie ni hématurie. La protéinurie sur échantillon est à 859 mg/mmol de créatininurie.
Question 7 - Quelles affirmations sont vraies ?
Ce n’est pas une insuffisance rénale aiguë obstructive (pas de dilatation des cavités pyélocalicielles) ni fonctionnelle (natriurèse > kaliurèse).
La bandelette urinaire ne détecte que l’albuminurie : la dissociation entre une protéinurie négative à la bandelette urinaire et positive par dosage doit faire évoquer la présence de chaînes légères dans les urines.
L’amylose AL se manifeste par une protéinurie majoritairement constituée d’albumine. La bandelette urinaire aurait été positive pour les protéines.
La prise d’AINS favorise la précipitation rénale des chaînes légères. Il faudra contre-indiquer les AINS à vie chez ce patient.
La néphropathie à cylindres myélomateux est plus fréquente dans le myélome à chaînes légères qu’à immunoglobuline entière.

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