Le 5 avril 2021, vous recevez au service d’accueil des urgences M. T., 70 ans, pour des lombalgies basses. Il a pour antécédents un adénome de prostate, une hypertension artérielle et une fibrillation atriale paroxystique. Il n’a jamais fait d’épisode thrombotique ou embolique dans le passé.

Son traitement comporte ramipril 5 mg, apixaban 5 mg x 2, amlodipine 10 mg, lansoprazole 15 mg, cordarone 200 mg.

Il est d’origine vietnamienne, vit à Paris dans le 13e arrondissement avec ses enfants, et reste parfaitement autonome sans troubles cognitifs. Il ne fume pas et ne boit pas d’alcool. Il n’a pas quitté la France depuis son arrivée en 1972.

Il décrit une douleur lombaire basse depuis 6 semaines environ, prédominant en fin de nuit et le matin. Cette douleur s’accompagne d’une fatigue importante et d’une perte de 4 kg car il n’a plus d’appétit. Il n’a pas mesuré sa température au domicile. Son médecin traitant lui a prescrit du kétoprofène la semaine dernière à visée symptomatique, et un bilan en ville qu’il a effectué tôt ce matin. Il consulte au service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) ce jour car les résultats « ne sont pas bons ».

Les constantes sont les suivantes : température (T°) = 38,2 °C ; pression artérielle (PA) = 100/52 mmHg ; fréquence cardiaque (FC) = 115 bpm ; saturation en oxygène (SaO2) = 95 % en air ambiant. À l’examen clinique le patient est stable sur le plan hémodynamique, vous notez un important pli cutané. L’auscultation pulmonaire est claire. À l’auscultation cardiaque vous entendez un souffle diastolique de faible intensité prédominant au foyer aortique. L’examen neurologique est sans particularité. L’abdomen est souple et indolore, il n’y a pas d’hépatosplénomégalie. Vous ne palpez pas d’adénopathie. Les articulations sont indolores et sèches. Absence d’anomalie cutanée.

Vous prenez connaissance des résultats du bilan biologique de ville :

– ionogramme sanguin : sodium (Na+) = 143 mmol/L ; potassium (K+) = 5,7 mmol/L ; chlore (Cl) = 108 mmol/L ; urée = 17 mmol/L ; créatinine = 327 µmol/L ; le débit de filtration glomérulaire estimé à partir de la créatinémie par l’équation CKD-EPI (Chronic Kidney Disease EPIdemiology) [DFG : CKD-EPI] = 14 mL/min ;

– protéine C réactive (CRP) = 93 mg/L ;

– numération formule sanguine (NFS) : Hb = 9,9 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 78fL ; plaquettes = 521 G/L ; leucocytes = 13 G/L dont polynucléaires neutrophiles (PNN) = 11 G/L ; lymphocytes = 1 G/L ; polynucléaires (PN) = 0,2 G/L ; peptide natriurétique de type B (PNB) = 0 G/L ; monocytes = 1,5 G/L.

L’électrocardiogramme est le suivant :

(Source : Jeanne De La Rochefoucauld, La Revue du Praticien)
Question 1 - Quelle(s) est/sont la/les réponse(s) exacte(s) ?
L’hyperkaliémie isolée sans signe ECG n’est pas un critère de dialyse en soi.
Les anticoagulants oraux directs sont contre-indiqués en dessous d’une clairance à 30 mL/min.
L’amiodarone est utilisable en cas d’insuffisance rénale. Par ailleurs, sa demi-vie étant comprise entre 20 et plus de 100 jours selon les individus, sa suspension n’entraînera pas tout de suite la diminution de ses concentrations plasmatiques et constituerait donc une mesure peu efficace dans un contexte aigu.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont à suspendre dans la plupart des situations d’insuffisance rénale aiguë car ils vasodilatent l’artériole efférente et diminuent le débit sanguin glomérulaire.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens vasoconstrictent l’artériole afférente du glomérule et diminuent le débit sanguin rénal. Ils sont néphrotoxiques par ce mécanisme.
Question 2 - Quelle(s) est/sont votre/vos hypothèse(s) diagnostique(s) ?
Il existe une courte-indication formelle à l’association anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) + inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) au vu du risque d’insuffisance rénale aiguë de mécanisme fonctionnel, par effet cumulatif de leurs effets respectifs. Les IEC vasodilatent l’artériole efférente du glomérule, les AINS vasoconstrictent l’artériole afférente ; si vous cumulez les deux le glomérule sera complètement hypoperfusé.
Question 3 - Quelle(s) mesure(s) prenez-vous ?
Le patient est cliniquement hypovolémique (pli cutané, tachycardie, hypotension). La volémie étant la conséquence du pool sodé, pour restaurer sa volémie, vous avez donc besoin de lui apporter du sodium, sous forme de sérum physiologique ou sodium chlorure 0,9 % (9 g/L de sodium). Un apport de sérum glucosé n’est pas utile et risquerait d’induire une hyponatrémie.
Si vous avez du mal à comprendre la physiopathologie des troubles du sodium, ne vous embêtez pas, retenez juste ces deux choses :
– pour corriger une natrémie, il faudra jouer sur les apports d’eau libre (apporter de l’eau sous forme de sérum glucosé en cas d’hypernatrémie, mettre le patient en restriction hydrique en cas d’hyponatrémie) ;
– pour corriger la volémie, il faudra jouer sur les apports de sodium (apporter du sérum physiologique en cas d’hypovolémie, mettre des diurétiques en cas d’hypervolémie).
La volémie s’évalue cliniquement (tension artérielle, variations de poids, pli cutané, ou au contraire signes congestifs).
La natrémie s’évalue surtout biologiquement et sur le retentissement neurologique éventuel des anomalies.
Vous hospitalisez le patient en médecine interne. L’échographie rénale de débrouillage effectuée au service d’accueil et de traitement des urgences (SAU) n’a pas montré d’obstruction sur les voies urinaires. 48 heures plus tard la fonction rénale s’améliore après suspension des IEC, arrêt des AINS et réhydratation, avec une créatinine désormais à 114 µmol/L, la CRP est en hausse à 150 mg/L.
Question 4 - Décidez-vous d’introduire une antibiothérapie, si oui laquelle ?
Il ne faut pas introduire d’antibiotiques probabiliste sur une fièvre d’origine indéterminée sauf en cas de signes de gravité clinique, ou de défaillance d’organe.
Si vous estimez qu’il existe une de ces indications à un traitement antibiotique, ne l’introduisez JAMAIS sans avoir au préalable réalisé des prélèvements infectieux multiples et de qualité.
La seule exception qui permet de surseoir aux prélèvements infectieux est le traitement préhospitalier du purpura fulminans : et encore le Samu fait souvent une paire d’hémocultures.
L’introduction injustifiée d’antibiotiques sans documentation préalable fait ÉNORMEMENT de tort aux patients dans la vie quotidienne.
Question 5 - Quel(s) examen(s) morphologique(s) demandez-vous ?
Il s’agit d’un examen pouvant être pratiqué en première intention au cours du bilan étiologique d’une fièvre d’origine indéterminée. Il peut être remplacé par radiographie de thorax + échographie abdominale mais la rentabilité en est moindre. L’insuffisance rénale n’est qu’une contre-indication relative, qui est levée dans le cas de M. T. au vu de l’évolution rapidement favorable de son chiffre de créatinine.
Chez ce patient qui a une fièvre prolongée avec un souffle cardiaque, le scanner TAP pourra également mettre en évidence des emboles septiques qui conforteraient un diagnostic d’endocardite infectieuse.
Le TEP est un examen de première intention, en cas de négativité du TDM-TAP. Il peut également servir pour le bilan d’extension d’une tumeur ou d’une infection sur matériel, mais nous ne sommes pas dans ce cas de figure.
La suspicion d’endocardite est forte ici, l’ETT est à réaliser rapidement.
L’IRM cardiaque n’est pas utile pour la recherche d’une endocardite.
Vous avez ici une suspicion forte d’endocardite avec spondylodiscite. L’examen de choix pour le diagnostic de spondylodiscite est bien l’IRM rachidienne.
Vous avez choisi de ne pas débuter d’antibiotiques en l’absence de documentation bactériologique et de signes de gravité. Le scanner TAP injecté est sans particularité. Vous avez demandé une IRM cérébrale, une IRM rachidienne et une ETT, ces examens sont toujours en attente.
Vous êtes appelés par le bactériologiste car une paire d’hémocultures périphériques pousse en 18 heures sur les deux flacons à cocci à Gram positif en chaînettes.
Question 6 - Quel(s) antibiotique(s) pouvez-vous initier ?
Vous suspectez fortement une endocardite avec une bactériémie à streptocoques (cocci à Gram positif en chaînettes) à ne pas confondre avec un staphylocoque (cocci à Gram positif en amas).
Vous allez donc initier un antibiotique ciblant les streptocoques, en première intention amoxicilline ou céphalosporine de troisième génération (C3G), couplés à la gentamicine.
L’Augmentin est un anti-staphylocoque ou anti-anaérobies.
La daptomycine est un bon antibiotique anti-staphylococcique que l’on utilise peu en probabiliste (sauf en situation d’infection sur matériel orthopédique) car la diffusion pulmonaire est mauvaise.
L’oxacilline est un bon antibiotique anti-staphylococcique mais n’est donc pas indiquée ici.
Vous avez initié une antibiothérapie par amoxicilline + gentamycine. Finalement vous récupérez l’identification du germe, il s’agit d’un entérocoque faecalis sauvage. Vous avez réalisé une échographie transthoracique (ETT) et une échographie transœsophaginne (ETO) qui montrent plusieurs formations filamenteuses mobiles appendues sur la cuspide antéro-droite de la valve aortique. La plus grande mesure 8 mm. Il existe une fuite aortique de grade 1. L’IRM du rachis montre un hypersignal en miroir des plateaux vertébraux avec épidurite T12-L1. Vous avez complété par une IRM cérébrale qui ne montre ni infarctus ni anomalie à l’étude des vaisseaux.
Question 7 - Quelle est votre attitude (une ou plusieurs réponses exactes) :
Trois grandes classes d’indication chirurgicale dans l’endocardite infectieuse :
– non-contrôle de l’infection ;
– complications hémodynamiques ;
– risque embolique.
La végétation faisant moins de 10 mm, la chirurgie n’est pas indiquée sur le critère embolique. Voir le tableau récapitulatif tiré des recommandations européennes de cardiologie sur les indications chirurgicales.
(Source : Société européenne de cardiologie [recommandations de 2015 sur l’endocardite infectieuse])

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