Vous recevez en consultation de rhumatologie un patient de 81 ans pour des lombalgies évoluant depuis 3 mois. Le patient est employé de bureau à la retraite. Il est consommateur actif de tabac à 44 paquets-années. Il a pour antécédents une hypertension artérielle traitée par irbésartan et un adénocarcinome de prostate diagnostiqué 3 ans auparavant et traité par radio-hormonothérapie par analogue de la LH-RH. Sa dernière consultation d’urologie date d’un an et concluait à une rémission. Un traitement par risédronate oral lui est prescrit depuis le début de l’hormonothérapie, en prévention primaire des fractures sous analogue de LH-RH.

L’interrogatoire ne révèle pas de facteur déclenchant. Les douleurs évoluent depuis plusieurs mois, sont localisées au rachis lombaire, d’horaire mécanique, sans irradiation, partiellement soulagées par le paracétamol. L’état général est conservé. L’examen clinique révèle une raideur lombaire, une douleur à la palpation paravertébrale lombaire bilatérale reproduite à l’hyperextension lombaire. L’examen neurologique moteur et sensitif est normal. Il n’y a pas d’anomalie clinique par ailleurs.
Question 1 - Quelle(s) hypothèse(s) parmi les suivantes pourrai(en)t rendre compte de la plainte douloureuse du patient ?
Un conflit disco-radiculaire pourrait rendre compte d’une radiculalgie, mais pas d’une lombalgie isolée.
Une ostéoporose densitométrique isolée n’est pas douloureuse en l’absence de fracture.
On évoque une lombalgie secondaire (tumorale, fracturaire, infectieuse ou inflammatoire) en présence de « drapeaux rouges » (âge  20 ou > 55 ans ; traumatisme récent ; douleur d’horaire non mécanique, progressive ; antécédent de cancer ; antécédent de corticothérapie au long cours ; toxicomanie intraveineuse ; immunodépression ; perte de poids inexpliquée ; fièvre ; signes neurologiques étendus ; déformation structurale ; douleurs constantes).
Question 2 - Quelle vous paraît la meilleure conduite à tenir lors de cette consultation ?
L’antécédent de cancer est un « drapeau rouge ».
Les anomalies dégénératives aux radiographies lombaires peuvent effectivement être observées chez des sujets asymptomatiques ; cependant il y a un drapeau rouge donc une indication à une imagerie dans tous les cas pour rechercher une métastase osseuse prostatique.
Il ne semble pas prudent de prescrire un AINS chez un sujet de plus de 65 ans d’autant plus qu’il est traité par irbésartan.
Il faut d’abord poser un diagnostic étiologique.
Une imagerie lombaire est recommandée en présence de « drapeaux rouges » évoquant une lombalgie secondaire. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est l’examen à privilégier, mais n’est pas toujours facile d’accès. La radiographie standard est moins sensible mais peut suffire pour mettre en évidence notamment une métastase osseuse ou une fracture vertébrale.
Vous prescrivez au patient un traitement antalgique et demandez des radiographies du rachis lombaire.
Le patient revient vous voir en consultation avec les radiographies, qui révèlent une fracture de la vertèbre L4 ainsi qu’une importante arthrose interapophysaire postérieure étagée de L3-L4 à L5-S1. Il vous a apporté sa dernière imagerie thoraco-abdomino-pelvienne réalisée dans le cadre du suivi de son cancer de prostate, 4 mois auparavant, sur laquelle vous constatez que la fracture vertébrale était absente. Il vous a apporté également l’ostéodensitométrie réalisée 3 ans auparavant, au début de l’hormonothérapie, qui révélait un T-score à -2,6 DS au rachis et -2,9 DS à la hanche.
Question 3 - Quelles hypothèses pourraient expliquer la survenue d’un événement fracturaire sous risédronate ?
À évoquer devant tout échec thérapeutique.
Au contraire, il s’agit d’une règle d’administration.
Le respect du non-décubitus dans les 30 minutes suivant la prise du bisphosphonate oral permet d’éviter les effets secondaires œsophagiens mais ne module pas l’efficacité du traitement.
Il faut évoquer devant cet échec apparent du bisphosphonate l’apparition d’une nouvelle cause de fragilité osseuse, locale (métastase) ou générale (hyperparathyroïdie primitive, etc.).
Il faut évoquer devant cet échec apparent du bisphosphonate l’apparition d’une nouvelle cause de fragilité osseuse, locale (métastase) ou générale (hyperparathyroïdie primitive, etc.).
Devant cet échec thérapeutique apparent, il faut évoquer soit un défaut d’observance/d’absorption/de posologie, soit un nouvel événement dont la cause n’est pas couverte par le traitement en cours.
Vous n’identifiez pas de signe de malignité aux radiographies standard (absence d’ostéolyse, respect de la corticale osseuse, respect du mur postérieur). Par ailleurs, le patient ne prenait pas le risédronate depuis le 2e mois de traitement en raison d’une mauvaise tolérance digestive.
Question 4 - Comment interprétez-vous les examens d’imagerie dont vous disposez ?
La radiographie standard est moins sensible que les imageries en coupe (scanner ou IRM) pour mettre en évidence des signes de malignité. Par ailleurs, un bilan biologique est nécessaire pour éliminer une ostéopathie fragilisante secondaire.
Les fractures ostéoporotiques sont généralement localisées entre T4 et L4, mais une localisation entre T4 et L4 n’élimine pas une fracture pathologique. Par ailleurs, un bilan biologique est nécessaire pour éliminer une ostéopathie fragilisante secondaire.
La radiographie standard est moins sensible que les imageries en coupe (scanner ou IRM) pour mettre en évidence des signes de malignité. Par ailleurs les métastases prostatiques peuvent être ostéolytiques.
La mise en évidence d’une anomalie radiologique particulière ne permet pas forcément d’y imputer une douleur. Les fractures vertébrales peuvent être asymptomatiques. Lorsqu’elles sont douloureuses, elles le sont surtout à la phase aiguë (ici, la durée de 3 mois paraît longue pour imputer les douleurs à la fracture). Les fractures vertébrales peuvent favoriser une arthrose interapophysaire postérieure secondaire à la déformation rachidienne, pouvant occasionner des lombalgies chroniques.
L'ostéodensitométrie ne permet pas de préjuger du caractère secondaire ou non de la diminution de la densité minérale osseuse. Une imagerie en coupes et un bilan biologique sont nécessaires pour éliminer une ostéopathie fragilisante secondaire.
Vous demandez un complément de bilan étiologique de cette fracture vertébrale.
Les résultats du bilan sanguin que vous avez demandés sont les suivants : hémoglobine (Hb) = 12,2 g/dL ; volume globulaire moyen (VGM) = 82 fL ; leucocytes = 8 400/mm3 ; plaquettes = 320 000/mm3 ; vitesse de sédimentation (VS) = 11 mm ; protéine C réactive (CRP) = 2 mg/L ; créatinine = 71 mmol/L ; sodium = 135 mmol/L ; potassium = 4,1 mmol/L ; calcium = 2,22 mmol/L ; albumine = 34 g/L ; phosphate = 0,99 mmol/L ; 25-hydroxyvitamine-D (25-OH-D) = 79 nmol/L ; phosphatase alcaline (PAL) = 64 U/L (normale) ; ferritine = 95 mg/L ; coefficient de saturation de la transferrine (CST) = 39 % ; thyréostimuline (TSH) = 1,6 mU/L (normale) ; électrophorèse des protéines sériques = normale ; antigène spécifique de la prostate (PSA) = 0,1 ng/mL.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) du rachis lombaire confirme la fracture L4, d’allure ancienne (sans œdème osseux), sans signe de malignité, et une arthrose interapophysaire postérieure étagée importante, congestive en L4-L5 bilatérale.
La tomographie par émission de positons-tomodensitométrie (TEP-TDM) à la 18F-choline, demandée par l’urologue référent, ne révèle pas non plus de signe de récidive du cancer de prostate, ce qui vous permet d’écarter raisonnablement cette dernière hypothèse.
Question 5 - Comment interprétez-vous ce bilan étiologique ?
La biopsie vertébrale semble inutilement invasive, devant l’état général conservé, la normalité du bilan biologique, la normalité de l’imagerie thoraco-abdomino-pelvienne, et l’absence de signes de malignité local à l’IRM.
Le myélome est effectivement une cause d’ostéopathie fragilisante secondaire, mais semble très peu probable en l’absence de gammapathie monoclonale, d’hypogammaglobulinémie, d’anémie, d’hypercalcémie, d’insuffisance rénale, d’autre lésion osseuse, et de signe de malignité local à l’IRM.
L’hyperparathyroïdie primitive est effectivement une cause d’ostéopathie fragilisante secondaire, mais la calcémie basse la rend très peu probable.
Une nouvelle ostéodensitométrie sera utile avant reprise d’un traitement anti-ostéoporotique, pour le suivi, mais ne permet pas de conclure sur l’origine de la fracture.
Les principales causes d’ostéoporose médicamenteuse sont les corticoïdes et les hormonothérapies des cancers du sein et de la prostate. Les autres facteurs de risque d’ostéoporose chez ce patient sont l’âge et le tabagisme.
Vous réalisez une nouvelle ostéodensitométrie qui révèle un T-score à -3,2 à la hanche et non interprétable au rachis lombaire (en raison de la fracture). Vous retenez l’indication à la reprise d’un traitement anti-ostéoporotique.
Question 6 - Quel(s) traitement(s) pouvez-vous proposer au patient, qui préfère ne pas reprendre le risédronate ?
Les bisphosphonates intraveineux n’ont pas les effets secondaires œsophagiens des bisphosphonates oraux.
Il existe deux contre-indications au tériparatide chez le patient (antécédent de cancer et de radiothérapie).
SERM (modulateur sélectif des récepteurs aux œstrogènes) réservé à l’ostéoporose post-ménopausique chez les patientes avec un risque de facteur périphérique peu élevé.
Anticorps anti-sclérostine, non disponible en France en 2022.
Le tériparatide est un médicament ostéoformateur contre-indiqué en cas d’antécédent néoplasique, d’antécédent de radiothérapie et d’hypercalcémie.
Vous concluez à une lombalgie chronique du patient sur arthrose interapophysaire postérieure lombaire, probablement aggravée par les modifications de la statique lombaire secondaires à la fracture vertébrale.
Question 7 - Quelle prise en charge pouvez-vous proposer au patient ?
Non recommandée, et surtout à éviter chez un patient avec une ostéoporose fracturaire.
Non recommandées, et surtout à éviter chez un patient à risque de fracture (favorisent les chutes).
Le traitement médicamenteux est souvent moins efficace dans les lombalgies chroniques dégénératives (antalgiques de palier 2 maximum, éventuellement AINS lors des poussées douloureuses en l’absence de contre-indication). La rééducation et la reprise d’une activité physique sont les éléments principaux de la prise en charge.

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