Le 15 avril 2018, vous recevez à votre cabinet de médecine générale pour la première fois M. B, un jeune homme de 22 ans récemment arrivé à Lyon pour ses études. Il vous consulte pour une toux d’apparition rapide cette semaine avec expectorations épaisses et purulentes. Il n’a pas pu aller en cours depuis 4 jours car se dit très fatigué et gêné pour respirer, avec un point de côté persistant à droite. Il ne rapporte pas de contage particulier, pas de voyage récent ni de changement de ses habitudes. Il fume 10 cigarettes par jour et consomme un peu de cannabis et d’alcool occasionnellement.

Il vous indique une « allergie » à la pénicilline, manifestée par une éruption cutanée généralisée à l’âge de 8 ans lors d’une angine, et qui s’était renouvelée à l’âge de 12 ans suite à une prise d’amoxicilline pour une pneumonie. En lui faisant préciser les choses, il ne semble jamais avoir présenté de manifestation anaphylactique sévère. Il a par la suite pris, sans survenue d’effet secondaire particulier, plusieurs autres antibiotiques pour des épisodes d’otites et de sinusites.

Cliniquement, vous retrouvez une tension artérielle (TA) à 109/58 mmHg, une fréquence cardiaque (FC) à 105/min, une saturation en oxygène (SaO2) à 95 % en air,une température à 39,8 °C, une fréquence respiratoire (FR) à 27/min. Vous retrouvez uniquement à l’auscultation pulmonaire une diminution du murmure vésiculaire en base droite. Les examens cardiovasculaire et abdominal sont normaux.
Question 1 : Que nécessite la prise en charge à ce stade ?
La prise en charge d’une pneumopathie communautaire du sujet jeune se fait en ambulatoire. Seule une radiographie thoracique est recommandée dans le bilan de première intention.
Question 2 : Que faites-vous ?
Une consultation de suivi doit être systématique à 48-72 heures
La fièvre élevée impose un traitement symptomatique par paracétamol en cas de fièvre mal tolérée
ATTENTION : Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont formellement contre-indiqués avec un risque d’aggravation du problème septique
Il est recommandé de débuter l’antibiothérapie le plus rapidement possible, en principe dans les 4 heures
La prise en charge de ce patient se fait en ambulatoire puisqu’il ne présente ni signe de gravité ni condition particulière nécessitant une hospitalisation, et moins de 2 facteurs de risque de mortalité parmi (cf. recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française [SPILF] et du Collège des enseignants de pneumologie [CEP]) :
– âge > 65 ans ;
– insuffisance cardiaque congestive ;
– maladie cérébrovasculaire (antécédents d’accident vasculaire cérébral ou d’accident ischémique transitoire) ;
– maladie rénale (insuffisance rénale chronique ou élévation de la créatininémie) ;
– maladie hépatique (cirrhose hépatique ou autre hépatopathie chronique) ;
– bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ;
– immunodépression (corticothérapie par voie générale ou traitement immunosuppresseur dans les 6 mois, splénectomie, chimiothérapie dans les 6 mois, sida, cachexie…) ;
– drépanocytose homozygote ;
– antécédent de pneumonie bactérienne : le seul facteur de risque présent ici ;
– hospitalisation dans l’année ;
– vie en institution.
Vous décidez donc de laisser le patient regagner son domicile avec un traitement par paracétamol et une antibiothérapie à débuter en urgence, avec un rendez-vous de consultation systématique dans 48-72 heures avec le résultat de la radiographie thoracique.
Question 3 : Quel antibiotique choisissez-vous ?
ATTENTION : L’amoxicilline est bien sûr contre-indiquée devant l’antécédent allergique
Dans la pneumopathie, les macrolides sont plutôt à réserver en deuxième intention, sauf exception, l’enjeu étant de couvrir le pneumocoque qui est LA bactérie pourvoyeuse de mortalité
La pristinamycine est l’alternative de choix en cas d’allergie aux pénicillines et a un spectre plus favorable sur le pneumocoque que les macrolides
Les fluoroquinolones anti-pneumococciques, même si elles sont très avantageuses en termes de spectre, diffusion et biodisponibilité, sont à éviter au maximum pour des raisons d’écologie bactérienne
Les céphalosporines de troisième génération (C3G) sont à réserver aux pneumopathies graves chez les patients hospitalisés
Pas de bi-antibiothérapie en première intention dans les pneumopathies communautaires non graves.
Il revient vous voir comme prévu le surlendemain. Il se dit mieux depuis l’introduction de la pristinamycine même s’il tousse encore. La température est à 38,3 °C sans prise de paracétamol, l’auscultation pulmonaire s’est améliorée avec, cette fois-ci, de discrets crépitants en base droite isolés.
Question 4 : Quelle attitude adoptez-vous à ce stade ?
Aucun tableau clinico-radiologique n’est spécifique d’un germe en particulier, on ne peut pas conclure à un pneumocoque sur la simple présentation clinique
Une radio de contrôle est inutile avant au moins 3 semaines, il existe un retard radiologique pour la normalisation de la radio
Aucun tableau clinico-radiologique n’est spécifique d’un germe en particulier, on ne peut pas conclure à un pneumocoque sur la simple présentation clinique.
Il persiste ici une fébricule (hors prise de paracétamol) qui n’est pas inquiétante. Le plus important est de noter une « cassure » de la courbe thermique notée initialement à 40 °C, maintenant, à moins de 38,5 °C. Par ailleurs, le patient se dit amélioré. On maintient donc cet antibiotique jusqu’à 7 jours.
Vous le revoyez 1 mois plus tard pour une consultation de suivi. Il se dit complètement guéri et a pu retourner en cours. Sa radiographie de contrôle qu’il vient de réaliser est normale. Vous reprenez avec lui ses antécédents infectieux. Il rapporte avoir eu dans son enfance des otites et sinusites à répétition nécessitant des antibiothérapies régulières. Il dit avoir également été hospitalisé en pédiatrie à deux reprises pour une pneumopathie communautaire à l’âge de 12 ans et une méningite bactérienne à l’âge de 14 ans.
Question 5 : Quel bilan complémentaire réalisez-vous ?
Devant ses nombreux antécédents infectieux, en particulier ses antécédents graves (hospitalisations), il est important à ce stade de dépister un déficit immunitaire avec au minimum les 4 éléments cités
L’hémogramme est normal, de même que le dosage du complément.
Voici le résultat de l’électrophorèse des protéines sériques :
Question 6 : Dans ce contexte, cette anomalie peut vraisemblablement être expliquée par 
L’infection VIH donne un lymphopénie T (CD4) mais pas d’hypo-gamma-globulinémie
L’entéropathie exsudative et le syndrome néphrotique peuvent donner des hypo-gamma-globulinémies, mais l’absence d’hypo-albuminémie associée rend peu probables ces diagnostiques
Un épisode infectieux bactérien n’entraîne pas d’hypo-gamma-globulinémie
Question 7 : Pour préciser les choses, vous réalisez :
Le dosage pondéral des Ig pour confirmer l’hypo-gamma-globulinémie et préciser le(s) type(s) d’Ig impliquée(s)
Éliminer un syndrome néphrotique
L’absence d’anticorps post vaccinaux est un argument supplémentaire
Le phénotypage des lymphocytes sert à confirmer la lymphopénie : lymphocytes B mémoire « switchés » dans le déficit immunitaire commun variable (DICV), et à éliminer une lymphopénie T ou NK associée
Le scanner thoracique à la recherche d’un thymome, de bronchectasies ou d’adénopathies 
Il s’agit du bilan complémentaire de déficit immunitaire et de suspicion de DICV.
Voici le résultat de votre bilan paraclinique : sérologie VIH négative. L’immunofixation des protéines sériques et le dosage des chaînes légères libres sériques sont normales. Le dosage pondéral des Ig retrouve des IgG et IgA effondrés et un taux d’IgM normal. La sérologie diphtérie, tétanos, polio (DTP) retrouve un taux quasi nul d’anticorps alors que le patient était correctement vacciné. Le phénotypage complet des lymphocytes B retrouve un défaut de lymphocytes B mémoire « switchés ». Le phénotypage des lymphocytes T et NK est normal. Le scanner thoracique est également normal.
Question 8 : À la vue de ces éléments, que concluez-vous ?
La présentation clinique (âge, sévérité des infections), l’absence de déficit profond en lymphocytes T déterminé par le phénotypage lymphocytaire T permet d’exclure le diagnostic de DICS
La confirmation du diagnostic est apportée par un faisceau d’arguments : critères 2013 de l’European Society for Immunodeficiencies (ESID) associant ici :
– susceptibilité aux infections ;
– diminution marquée des IgG et des IgA ;
– faible réponse vaccinale et le résultat du phénotypage lymphocytaire B ;
– exclusion des autres causes d’hypogammaglobulinémie secondaires ;
– début après la 4e année de vie ;
– absence de déficit profond en lymphocyte T.
https://esid.org/Media/Files/Common-Variable-Immunodeficiency-diagnostic...
Vous concluez donc au diagnostic de DICV certain, isolé.
Question 9 : La prise en charge à ce stade consiste à :
Pas d’antibioprophylaxie systématique dans le DICV, en revanche l’antibiothérapie doit être mise en place de manière réflexe en cas d’infection débutante. De plus, l’antibioprophylaxie par cotrimoxazole est plutôt indiquée en cas de déficit de l’immunité cellulaire. 
Le but du traitement est de limiter au maximum les infections ; pour cela on pratique des cures d’IgIV à dose substitutive très régulièrement, sans objectif de chiffre mais plutôt avec un objectif clinique. 
La réalisation de tests allergologiques aux bêtalactamines est indispensable chez ce patient qui a un risque d’infections récurrentes et pour lesquelles les antibiotiques les plus efficaces sont les bêtalactamines. Il faut donc confirmer le type d’hypersensibilité et la présence d’allergie croisée.
Vous revoyez le patient 3 semaines après la première perfusion d’IgIV. Le contrôle du dosage pondéral des Ig retrouve des IgA à 1,3 g/L (n = 1,5-4), des IgG à 1,1 g/L (N 8-16) et des IgM à 1,5 g/L (n = 0,5-2).
Question 10 : Quel(s) vaccin(s) réalisez-vous ?
Recommandation du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 2012 : « Le bénéfice de la vaccination des patients recevant un traitement de substitution par immunoglobulines n’est pas démontré. La vaccination n’est donc pas indiquée chez ces patients. Toutefois, les données disponibles laissent penser que la vaccination antigrippale et la vaccination contre les infections invasives à pneumocoque pourraient être bénéfiques ».
Le patient vous interroge plus précisément concernant ce diagnostic. Il vous demande à quelle(s) complication(s) à long terme il est exposé.
Question 11 : Que répondez-vous ?
Ces patients font des infections respiratoires à répétition qui peuvent être à l’origine de complications à long terme à type de dilatation des bronches
Il existe également un risque de développer des hémopathies lymphoïdes notamment au niveau digestif, ainsi que des manifestations auto-immunes
Le patient est bien pris en charge dans un centre spécialisé et poursuit ses perfusions d’immunoglobulines toutes les 3 semaines.
Il revient finalement vous voir 1 an plus tard car, depuis 15 jours, sont apparues des lésions cutanées qu’il n’avait jusqu’alors jamais remarquées (photos). Il vous rapporte par ailleurs sa satisfaction de la prise en charge qui a permis de réduire grandement la fréquence de ses épisodes infectieux. Son dernier épisode de fièvre remonte d’ailleurs à il y a 3 mois, où il avait été traité par une antibiothérapie courte. Il se dit actuellement en bon état général et ne présente aucun symptôme particulier hormis cet aspect sur ses mollets et chevilles :

 

Question 12 : Qu’évoquez en premier lieu ?
Il s’agit en effet d’un purpura thrombopénique, la caractéristique principale étant l’aspect de pétéchies. Les télangiectasies sont généralement des lésions plus éparses et surtout localisées au tronc ou au visage
Après avoir complètement examiné le patient, qui ne présente aucune autre anomalie clinique, vous lui prescrivez un bilan biologique qu’il vous ramène le jour même : Hb 112 g/L, leucocytes 6 G/L sans anomalie de la formule, plaquettes  10 G/L. Le frottis sanguin est normal.
Question 13 : Avec l’ensemble des données dont vous disposez, quel(s) mécanisme(s) évoquez-vous quant à l’origine de ce purpura ?
Aucun argument pour une étiologie infectieuse (apyrétique, examen normal)
L’aspect du purpura et la présence d’une thrombopénie profonde n’est pas en faveur de l’origine vascularitique
Pas d’argument non plus pour une thrombopénie de consommation (coagulation intravasculaire disséminée [CIVD], micro-angiopathie thrombotique [MAT], septicémie ou paludisme), renforcé par le fait que le frottis est normal
On est devant un cas typique de purpura thrombopénique isolé. Le plus probable reste le mécanisme auto-immun (purpura thrombopénique idiopathique [PTI]).
Vous suspectez un PTI.
Question 14 : Quelle(s) est (sont) la (les) mesure(s) à prendre à ce stade ?
Une hospitalisation conventionnelle est nécessaire pour surveillance médicale rapprochée, faire le bilan et débuter un traitement en urgence
Une hospitalisation conventionnelle est nécessaire pour surveillance médicale rapprochée, faire le bilan et débuter un traitement en urgence.
Pas de critère d’hospitalisation en réanimation car patient stable [NB : la seule indication de réanimation en cas de thrombopénie chez un patient qui va bien est la micro-angiopathie thrombotique (purpura thrombotique thrombocytopénique [PTT] ou syndrome hémolytique et urémique [SHU]) pour la mise en place en urgence d’échanges plasmatiques et une surveillance très rapprochée.
Pas de transfusion de plaquettes dans le PTI sauf exception (« dans les cas les plus sévères avec mise en jeu du pronostic vital ou fonctionnel ») car les plaquettes transfusées sont vouées à une destruction périphérique rapide. Retenir : pas d’indication sur le chiffre de plaquettes en tout cas.
Le patient est donc hospitalisé le jour même en service de médecine.
Question 15 : Le bilan réalisé doit comporter au minimum :
La sérologie VIH fait partie des examens systématiques en cas de suspicion de PTI, au même titre que la sérologie des virus de l’hépatite B (VHB) et C (VHC) (mais pas CMV-EBV) et les ACAN. 
Les ANCA ne sont pas indiqués ici, on ne suspecte pas une vascularite. Le myélogramme se discute dans ce cas. Pour rappel, chez l’adulte, les indications indiscutables sont la présence d’au moins un élément parmi les suivants : 
– âge > 60 ans ; 
– anomalie d’autre lignée ou du frottis ; 
– organomégalie ; 
– absence de réponse à un traitement de première ligne ; 
– avant splénectomie, +/- avant rituximab.
Il existe ici une anémie associée, on réalise donc le myélogramme.

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