Vous recevez aux urgences Mme T., âgée de 32 ans, pour des céphalées pulsatiles d’intensité modérée évoluant depuis deux mois. Elle est originaire de Turquie, mariée et mère de trois enfants de 2, 4 et 6 ans. Elle a pour seul antécédent une amygdalectomie et prend une contraception orale estroprogestative depuis son dernier accouchement. Elle présente depuis deux mois des céphalées pulsatiles bilatérales, d’intensité croissante, partiellement calmées par la prise pluriquotidienne d’Efferalgan codéiné. Il lui est arrivé d’avoir quelques épisodes de nausées et vomissements. Depuis quinze jours maintenant, elle signale un flou visuel bilatéral qui l’amène à consulter aux urgences.
Question 1 : Quelles conclusions pouvez-vous tirer de l’analyse sémiologique présentée ?
Mme T présente un tableau d’hypertension intracrânienne associant des céphalées, des nausées- et vomissements, un flou visuel en lien avec un probable œdème papillaire et une diplopie binoculaire horizontale secondaire à une paralysie du VI uni- ou bilatérale non localisatrice (qui ne signifie pas qu’il y a une lésion dans le tronc cérébral).
Ce n’est pas un état de mal migraineux (céphalée de caractéristique migraineuse qui dure plus de 72 heures) ni un syndrome méningé (il n’est pas mentionné de raideur méningée, ni de fébricule. Le syndrome méningé associe raideur de nuque + céphalées + nausées et ou vomissements).
Une céphalée par abus médicamenteux est une céphalée chronique isolée évoluant depuis ≥ 3 mois avec une surconsommation d’antalgiques (≥ 15 jours par mois pour les antalgiques palier 1).
La thrombophlébite cérébrale est une des causes d’hypertension intracrânienne et on ne peut pas affirmer cette hypothèse diagnostique à ce stade. Seule l’imagerie complétée par un bilan biologique permettra de faire le diagnostic étiologique du syndrome d’hypertension intracrânienne.
Question 2 : Quel examen complémentaire demandez-vous dans un premier temps pour confirmer votre diagnostic d’hypertension intracrânienne ?
Devant ce tableau clinique de céphalées et vomissements peu spécifique, l’examen du fond d’œil en montrant un œdème papillaire bilatéral, permettra de confirmer le diagnostic d’hypertension intracrânienne et motivera la réalisation d’une imagerie cérébrale en urgence.
Vous disposez par chance d’un ophtalmoscope et voici ce que vous voyez (figure1) :
Question 3 : Indiquez les propositions exactes 
Il existe un œdème papillaire bilatéral sévère de grade 4 avec des hémorragies en flammèche péri-papillaires (figure 2, flèches bleues).

Le pronostic des œdèmes papillaires de stase est conditionné par la taille de l’œdème et les hémorragies n’ont pas de valeur pronostique.
Les druses de la papille sont des calcifications au niveau de la tête du nerf optique qui peuvent parfois donner un aspect de pseudo-œdème papillaire 

Les points blanchâtres au sein de l’œdème sont des exsudats de résorption et non pas des nodules cotonneux (figure 2, flèches rouges).
Les bords d’un nerf optique normal sont nets (figure4).
L’examen du fond d’œil confirme votre diagnostic d’hypertension intracrânienne. Mme T se plaint par ailleurs d’une vision double apparue hier.
Question 4 : Les éléments cliniques suivants seraient compatibles avec le diagnostic d’hypertension intracrânienne 
Classiquement, dans l’hypertension intracrânienne, les céphalées sont à prédominance matinale ou au clinostatisme, contrairement à l’hypotension intracrânienne où elles prédominent à l’orthostatisme.
L’hypertension intracrânienne idiopathique est une pathologie liée au surpoids et une prise de poids importante récente est fortement évocatrice de ce diagnostic sous réserve d’une imagerie cérébrale et d’une composition du LCR normales.
Une limitation de l’aBDuction uni- ou bilatérale par atteinte du nerf VI est un autre signe clinique évocateur d’hypertension intracrânienne en association avec les céphalées et l’œdème papillaire.
Vous réalisez l’imagerie cérébrale suivante en urgence (figure 5) :
Question 5 : Vous constatez
L’IRM (figure 6) montre une dilatation de la gaine des nerfs optiques sur l’IRM T2 en coupe coronale (flèches bleues), des sténoses bilatérales des sinus transverses sur l’angio-IRM veineuse (flèches vertes) et un aplatissement de la partie postérieure du globe oculaire (flèche jaune) sur l’IRM T1 injectée en coupe sagittale. On ne voit pas d’arachnoïdocèle intra sellaire que l’on peut parfois retrouver dans l’hypertension intracrânienne qui est représenté sur la figure D (flèche rouge). Il faut distinguer les sténoses des sinus transverses que l’on retrouve dans l’hypertension intracrânienne chronique qui sont une compression extrinsèque des veines et les thromboses veineuses qui sont un obstacle intrinsèque. Il s’agit ici de sténoses et l’on voit bien que le flux en aval et en amont du rétrécissement est préservé.
La normalité de l’IRM cérébrale vous fait suspecter le diagnostic d’hypertension intracrânienne idiopathique. MmeT vous signale qu’elle a pris 10kg à chacune de ses grossesses et a pris 20kg tout au long de l’année précédente.
Question 6 : Les examens complémentaires indispensables pour pouvoir poser ce diagnostic sont 
Le diagnostic d’hypertension intracrânienne repose sur les critères de Dandy modifiés en 2013 qui associent :
– la présence d’un œdème papillaire bilatéral et symétrique le plus souvent, ;
– un examen neurologique normal (à l’exception de la paralysie du VI) ;
– une neuro-imagerie avec des séquences vasculaires normale ;
– une composition du LCR normale ;
– une pression d’ouverture du liquide cérébro-spinal (LCS)≥ 25 chez l’adulte.
Question 7 : Les grands principes de la prise en charge de la patiente seront les suivants :
L’hospitalisation en neurologie va permettre de faire la ponction lombaire. Celle ci a un double intérêt, à la fois de confirmer le diagnostic en mesurant la pression du LCR et en s’assurant que la composition du LCR est normale et aussi thérapeutique en retirant quelques ml de LCR. Un bilan ophtalmologique complet est indispensable et déterminera la fréquence du suivi en fonction de la gravité du tableau initial. Le traitement principal est la perte de poids et le traitement symptomatique par inhibiteur de l’anhydrase carbonique permet de faire baisser la pression intracrânienne le temps que l’objectif de perte de poids soit atteint.
La pression d’ouverture du LCR est mesurée à 43cm d’eau et l’évacuation de 20cc de LCR permet d’améliorer de manière immédiate les céphalées. La composition du LCR est normale. Le bilan ophtalmologique confirme l’œdème papillaire bilatéral et symétrique sévère de gradeIV. L’acuité visuelle est préservée à 10/10 Parinaud2 aux deux yeux. Voici le résultat de son champ visuel et du schéma de Lancaster (figures 7 et 8).

 

Question 8 : Que pouvez-vous en conclure ?
Le risque visuel dépend de la sévérité de l’œdème papillaire. L’acuité visuelle est très longtemps préservée alors que le champ visuel est touché précocement. On peut donc avoir une atteinte visuelle sévère avec un déficit important du champ visuel et une acuité visuelle normale.
Sur l'image c-dessous
Champ visuel automatisé de Humphrey 30.2 (des 30 degrés centraux). 
Élargissement de la tache aveugle : flèche bleue ; ressaut nasal : flèche rouge.

Figure 10. Schéma de Lancaster : limitation de l’abduction de l’œil gauche (flèche bleue) ; hyperaction compensatrice de l’agoniste controlatéral (loi de Hering) ([flèche rouge)].
Vous réalisez un bilan biologique complémentaire qui retrouve les résultats suivants : hémoglobine 10,8 g/dL, VGM 102 m3, GB 6700/mm3, plaquettes 350 000/mm3, sodium 142 mmol/l, potassium 4,64 mmol/L, chlore 101 mmol/L, urée 3,6 mmol/L, créatinine 70 umol/L, glycémie 4,5 mmol/L, ASAT 25 UI/L, ALAT 33 UI/L, LDL 2,5 g/L, CPK 600 UI/L, TSH 26 mUI/L (0,27- 4,2), T4 3,5 pmol/L (8,6-25), calcémie 2,3 mmol/L (2,2- 2,6), cortisol à 8h 305 nmol/L (275-685). Vous suspectez une hypothyroïdie.
Question 9 : En première intention, vous demandez les examens complémentaires suivants 
Le bilan retrouve une anémie macrocytaire avec augmentation des CPK et LDL qui sont des conséquences de l’hypothyroïdie. La carence martiale à l’inverse donne une anémie microcytaire.
L’association TSH élevée et T4 basse confirme qu’il s’agit d’une hypothyroïdie périphérique. Il n’est pas utile de contrôler le dosage de la TSH pour confirmer le diagnostic.
La scintigraphie n’est pas indiquée en première intention.
Question 10 : En plus de l’hypothyroïdie, vous recherchez chez votre patiente d’autres facteurs susceptibles d’entraîner une hypertension intracrânienne 
Les anticorps anti TPO reviennent très positifs et l’échographie thyroïdienne met en évidence un volumineux goitre. Vous posez donc le diagnostic de thyroïdite de Hashimoto compliquée d’une hypertension intracrânienne secondaire à la prise de poids.
Question 11: Quels traitements instaurez-vous ?
Pour le traitement de l’hypertension intracrânienne il faut introduire un traitement par inhibiteur de l’anhydrase carbonique accompagné d’une supplémentation potassique en raison de son effet hypokaliémiant.
Question 12 : Quels sont les effets indésirables fréquents du traitement par inhibiteur de l’anhydrase carbonique dont vous prévenez la patiente ?
Question 13 : Quel est l’objectif de la perte de poids ?
Question 14 : Quelles vont être les modalités de la surveillance ultérieure ?
Le contrôle de la TSH seule et non de la T4 suffit et en doit pas se faire avant 4 semaines après le début du traitement.
Il est nécessaire de surveiller l’ionogramme sanguin en cas de traitement par inhibiteur de l’anhydrase carbonique car il existe un risque d’hypokaliémie.
Six mois plus tard, vous revoyez la patiente. La perte de poids vient à peine d’atteindre son objectif, la TSH est normalisée et les symptômes ont disparu. Voici le résultat du bilan ophtalmologique réalisé récemment (figures 11 et 12):

 

Question 15: Qu’en concluez-vous ?
Les rétinophotographies montrent une pâleur papillaire qui traduit une perte en fibres des nerfs optiques. Il n’y a plus d’œdème papillaire, l’aspect encore flou des bords est un aspect « post stase ». La sévérité de l’hypertension intracrânienne et le risque de séquelles visuelles dépend de la sévérité de l’œdème papillaire initial et n’a pas de lien direct avec la rapidité de la perte de poids.

Exercez-vous aux ECN avec les dossiers progressifs et les LCA de La Revue du Praticien