Un patient de 46 ans consulte pour une éruption cutanée, non prurigineuse, depuis deux semaines.

Son unique antécédent est une appendicite perforée opérée. Il est tabagique actif.

Il n’a pas de traitement au long cours.

Examen clinique initial : poids = 77 kg ; taille = 172 cm ; température corporelle = 37,7 °C ; tension artérielle : 129/74 mmHg ; pouls : 100 battements par minute (bpm) ; saturation en oxygène : 98 % en air ambiant.

Examen neurologique: pas de signes focaux, examen des paires crâniennes normal, pas de syndrome méningé, pas de syndrome pyramidal ou extrapyramidal, pas de signe de focalisation, pas de céphalée.

Examen cardiologique: bruits du cœur réguliers, sans bruit surajouté, pas de souffle, pouls périphériques perçus, pas de signe d’insuffisance cardiaque, droite ni gauche.

Examen pneumologique: le patient rapporte une dyspnée selon la classification de la New York Heart Association (NYHA II) depuis quelques mois ; pas de signe de tirage, pas de détresse respiratoire aiguë, murmure vésiculaire bilatéral et symétrique, pas de bruit surajouté, pas de toux ni d’expectoration.

Examen abdominal: souple, dépressible, pas de défense, pas d’organomégalie, pas de trouble du transit, pas de signe fonctionnel urinaire.

Polyadénopathie juxtacentimétrique diffuse.

Voici les lésions retrouvées au niveau des mains (fig. 1) : 

Figure 1 (source : E. Le Dault)
Question 1 - Vous évoquez :
Prurit collectif, rechercher les lésions élémentaires : nodule et sillon scabieux au niveau des espaces interdigitaux, aréoles, plis inguinaux et axillaires, organes génitaux externes.
Exanthème papuleux +/- purpurique avec possible atteinte palmo-plantaire.
Catarrhe oculo-nasal fébrile puis exanthème morbilliforme débutant derrière les oreilles puis s’étendant au visage et au tronc. Rechercher le signe de Köplick pathognomonique présent dans les deux tiers des cas (précoce).
Éruption vésiculeuse du cuir chevelu, face, thorax, membres en plusieurs poussées d’âge différent, ombilication, croûtelle puis guérison sans cicatrices. Classiquement, respect des paumes et des plantes
Devant une éruption avec atteinte palmo-plantaire, évoquer :
– rickettsiose : fièvre boutonneuse méditerranéenne = triade escarre d’inoculation (piqûre de tique) + fièvre + exanthème ;
– syphilis : syphilides, gommes ;
– érythème polymorphe (Herpes simplex virus [HSV], mycoplasme) = lésions annulaires en cocarde ;
– syndrome pied-main-bouche dû au virus Coxsackie.
Le reste de l’examen cutané est présenté ci- dessous (fig. 2 et 3). L’examen de la muqueuse orale et génitale est sans anomalie.
Figure 2 (source : E. Le Dault)
Figure 3 (source : E. Le Dault)
Question 2 - Les lésions cutanées observées pourraient correspondre à :
Ulcération indolore à fond propre et induré.
Nodules hypodermiques et muqueux (cavité buccale).
Plaque muqueuse dépapillée (langue).
Lésions maculeuses arrondies, roses, prédominantes au tronc.
Éruption papulo-squameuse, rarement prurigineuse, polymorphe (« grande simulatrice »), prédominant au tronc et au visage, avec possible atteinte palmo-plantaire.
Deux classifications pour la syphilis :
1. Classification clinique :
– syphilis primaire : chancre, adénopathie satellite non inflammatoire ;
– syphilis secondaire : atteintes multiples : cutanéo-muqueuse (roséole puis syphilides, plaques fauchées, ulcérations muqueuses), neurologique (méningite, uvéite), ostéo-articulaire (arthrites, ostéites), hépatite, polyadénopathie, fièvre, glomérulonéphrite… ;
– syphilis tertiaire : cutanéo-muqueuse (gommes), neurologique (tabès, démence), cardiovasculaire (aortite, anévrisme aortique).
2. Classification pour la thérapeutique :
– syphilis précoce : moins d’un an après le chancre : primaire et secondaire et latente précoce < 1 an (sérologie de moins de 1 an négative) ;
– syphilis tardive : plus de 1 an après le chancre : tertiaire et latente tardive (sérologie < 1 an positive et/ou chancre > 1 an et/ou date de contamination inconnue) ;
– neurosyphilis : toute atteinte neuroméningée.
Vous suspectez une syphilis devant les syphilides retrouvées à l’examen et la polyadénopathie.
Question 3 - Vous réalisez en première intention le(s) examen(s) paraclinique(s) suivant(s) :
Le diagnostic sérologique suffit, éviter les examens invasifs inutiles. En cas de réalisation, possibilité de réaliser une polymerase chain reaction (PCR) ; aspect histologique souvent non spécifique.
Examen quasi abandonné : faible valeur prédictive négative et positive (nécessite le matériel et l’expertise).
Examen de seconde attention, non recommandé de manière systématique (la sérologie suffit).
Examen de première intention de dépistage d’une syphilis.
Réalisé en cas de positivité du test tréponémique.
Stratégie de dépistage en deux temps :
– effectuer le test tréponémique : Treponema pallidum hæmagglutination assay (TPHA), T. pallidum particule agglutination assay (TPPA), T. pallidium latex agglutination test (TPLA), test immuno-enzymatique (enzyme-linked immunosorbent assay [ELISA], enzyme immunoessays [EIA]), test de chemiluminescence (chemiluminescent immunoassay [CIA]), fluorescent treponemal assay [FTA] ;
– si le test tréponémique est positif : venereal disease research laboratory (VDRL), rapid plasma reagin (RPR) pour assurer le suivi.
Vous réalisez en première intention un test tréponémique qui s’avère fortement positif.
Question 4 - Vous complétez le test tréponémique par :
Sur point d’appel clinique.
La ponction lombaire est indiquée en cas de :
– syphilis tertiaire ;
– atteinte clinique oculaire, articulaire ou neurologique quel que soit le stade de la maladie ;
– infection asymptomatique :
. virus de l’immunodéficience humaine (VIH)+ ET CD4 ≤ 3 50/mm3 ET/OU à sérum titre VDRL/RPR > 1:32,
. en cas d’échec sérologique,
. en cas d’usage de cyclines dans une syphilis tardive ;
– après traitement en cas d’anormalité (contrôle à 6 semaines et 6 mois).
Selon l’orientation clinique.
Il est indispensable de réaliser le bilan des co-infections. Rajouter la sérologie de l’hépatite A chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH).
Indispensable au suivi du patient.
Le bilan des co-infections retrouve une immunité vaccinale contre l’hépatite B, une sérologie VIH, l’hépatite C négatives. Les PCR Chlamydia et gonocoque sont en cours. Le patient a eu des rapports non protégés avec d’autres hommes. Il n’a pas remarqué de chancre dans l’année précédente.
Il a réalisé un bilan de dépistage des infections sexuellement transmissibles qui s’est avéré négatif pour la syphilis, l’hépatite C, le VIH il y a dix mois.
Question 5 - Vous décidez de débuter un traitement par :
Traitement des syphilis tardives.
Traitement des neurosyphilis.
Traitement de deuxième intention des neurosyphilis (discuté).
Traitement de deuxième intention des syphilis précoces.
Prise en charge thérapeutique de la syphilis :
En cas de présence de chancre : traitement préemptif (même s’il y a discordance entre TPHA et VDRL ou négativité).
• Précoce :
– benzathine benzylpénicilline, 2,4 millions d’unités internationales (MUI), une dose ;
– précoce et troubles de l’hémostase OU allergie OU refus de traitement par voie IV/IM : azithromycine 2 g dose unique orale ou doxycycline 200 mg/j 14 j ;
• Tardive, cardiovasculaire et gomme :
– benzathine benzylpénicilline 2,4 MUI, trois doses à une semaine d’intervalle chacune ;
– en cas d’allergie aux pénicillines : désensibilisation ou doxycycline 200 mg/j, per os 21-28 j ;
Neurosyphilis :
– benzylpénicilline IV, 4 MUI/4 h 10-14 j ;
– deuxième ligne : ceftriaxone 2 g/j 10-14 j (non consensuel) ;
– allergie : désensibilisation.
Vaccination contre l’hépatite B si non protégé.
Traitement des partenaires : sauf si clinique et sérologie négative à J0, S6 et M3.
Pas de déclaration obligatoire.
Devant cette syphilis précoce, vous décidez d’instaurer un traitement par benzathine benzylpénicilline une dose IM.
Quelques heures après la mise en route du traitement par benzathine benzylpénicilline de type G IM, le patient présente une température à 39,5 °C, associée à des frissons, des myalgies. La tension est alors à 143/75 mmHg, le pouls à 105 bpm, la saturation en oxygène à 98 % en air ambiant. L’ensemble des lésions cutanées se sont aggravées.
Question 6 - Vous suspectez :
Anaphylaxie de grade I à évoquer de principe devant toute éruption généralisée survenant au décours immédiat de la délivrance d’une antibiothérapie.
Pas de choc sans hypotension.
Réaction d’hypersensibilité retardée associant hyperéosinophilie, exanthème, polyadénopathie et atteinte multiviscérale. Entre 2 et 6 semaines après le début du traitement.
Classique au cours des syphilis secondaire, survient dans les heures après la mise sous traitement et est liée à la lyse des tréponèmes. Elle se manifeste par : aggravation des lésions cutanées, fièvre, polyadénopathie, parfois hypotension. Elle peut être prévenue par une corticothérapie systémique.
Déclenché lors de la prise d’aspirine chez enfant atteint d’une virose (varicelle) : encéphalite + hépatite.
L’évolution du patient est favorable sous traitement symptomatique.
Question 7 - Vous instaurez le suivi suivant :
VDRL diminue par 4 à 6 mois, négatif à un an (primaire) et à 2 ans (secondaire).
Aucun intérêt, peut rester positif à vie.

Exercez-vous aux ECN avec les dossiers progressifs et les LCA de La Revue du Praticien